Alors que la majorité du Québec est passé en zone orange lundi, les représentations théâtrales ont-elles déjà repris d’assaut nos scènes ? Force est de constater que ce changement de palier n’aura pas nécessairement eu des effets immédiats partout en région. Rencontre avec des professionnel∙les du milieu, dont la réalité a été bouleversée à plusieurs reprises au cours de la saison 2020-2021.
Certaines compagnies établies, plutôt que de présenter séance tenante un spectacle à un public restreint, ont plutôt poursuivi les projets de longue haleine entamés au cours de la dernière année. C’est le cas notamment du Théâtre de la Petite Marée, qui a vu le jour en 1994 à Bonaventure, en Gaspésie. Étant donné que plusieurs initiatives de développement sont sur la glace et que d’autres, de médiation culturelle, sont tombés à l’eau, la compagnie, qui a récemment adapté le roman jeunesse de Boucar Diouf, Jo Groenland et la route du nord, en un radio-théâtre de huit épisodes enregistrés au studio Tracadièche à Carleton, a aussi profité du temps qu’elle avait pour réfléchir à la pérennité de sa salle de spectacles et pour « prendre en main ce gros vide culturel » laissé par la fermeture des théâtres, cinémas et musées de la région.
Le directeur artistique, Jacques Laroche, a usé des derniers mois pour créer de nouveaux liens avec des gens du milieu artistique gaspésien ainsi qu’avec la communauté. « Habituellement, on est pris avec notre production, explique-t-il, alors que là, on est devenu un genre de service communautaire. On s’est allié avec le Musée acadien du Québec à Bonaventure, on a participé activement aux fêtes acadiennes, on a trouvé du monde, on a arrimé des concepts; on a animé la municipalité. On s’est rendu compte qu’on était en train de développer quelque chose qu’on avait peut-être un peu « négligé », sans le vouloir ».
Une réflexion stratégique a aussi amené le TPM à réévaluer sa salle de spectacle, actuellement peu adaptée aux mesures sanitaires requises. Avec la municipalité de Bonaventure, l’équipe étudie la possibilité d’avoir accès à un nouvel espace qui pourrait être chauffé ou climatisé. « On s’enligne pour jouer cet été, poursuit Laroche. C’est un show qui a été créé avant que la pandémie tombe. La mise en place existe, je peux faire des italiennes dans la cuisine, mais ça se peut que ça ne marche pas, alors on est aussi en train de songer à une autre option ». Un autre projet se concrétise en parallèle : « Il y a quelques années, on avait conçu un castelet, avec lequel on jouait une sorte de « Mon ami Guignol », avec des personnages typiquement gaspésiens, qui a beaucoup tourné dans la région. On a décidé de s’en servir à nouveau et de créer une nouvelle aventure pour laquelle on s’inspire de l’exposition en cours au Musée acadien, qui porte sur la maison Arsenault-Gallagher, un bâtiment de 250 ans. On va la jouer dans la cour du musée. La municipalité va nous acheter dix représentations qu’on va offrir gratuitement aux spectateurs et spectatrices. »
C’est dans une volonté de se rapprocher de son milieu que le Théâtre de la Petite Marée participe à l’énergie et à la synchronicité municipale. Dès qu’elle le pourra, l’équipe reprendra les initiatives de médiation culturelle qu’elle avait lancées au sein des écoles gaspésiennes. D’ici là, elle fera tout en son pouvoir pour faire sourire les petit∙es et grand∙es de la région.
Le tout pour le tout
À Saint-Jérôme, le Théâtre Gilles-Vigneault n’a pas encore obtenu le feu vert pour la diffusion de spectacles. Pour le directeur général et artistique de cet établissement culturel des Laurentides, David Laferrière, même si le désir de présenter du théâtre se fait sentir, plusieurs défis financiers et sanitaires se posent. « Je suis en train de compléter la programmation de mai-juin, dit-il, et de voir ce que je peux faire en théâtre. Les compagnies ont besoin de faire des répétitions. Ce n’est pas tous les diffuseurs qui se sont mis en action, ne sachant pas ce qui se tramait. La circulation du spectacle au Québec, dans un contexte de pandémie, c’est un défi assez imposant. Il y a beaucoup de productions qui ne sont pas COVID-proof. »
En ce moment, les salles favorisent la cohabitation entre les œuvres qui étaient initialement prévues, celles qui avaient été reportées et d’autres qui ont été pensées et conçues en fonction de la crise. Si tout va bien, Duceppe entend débuter la tournée de King Dave cette semaine, avec des représentations à Rivière-du-Loup, Rimouski et Amqui. Il en est de même pour La Sagouine, dont la reprise est attendue pour demain, à Victoriaville.
D’après Laferrière, « même s’il y a beaucoup d’initiatives importantes et un support accru, le voyagement demeure un grand défi. Beaucoup de spectacles ne circulent pas assez au Québec. Il n’y en a pas assez qui prennent la route. Je pense qu’il faut que le théâtre roule plus en région, et on a tous et toutes un rôle à jouer là-dedans ». Il salue cependant l’apport du CALQ en ce qui concerne l’accompagnement et le choix des compagnies qui entreprendront une tournée.
Étant donné que le Théâtre Gilles-Vigneault a lui aussi dû remettre plusieurs projets en perspective, il a misé sur l’accueil de résidences artistiques et offre, à coup d’une ou deux semaine(s), un espace de création à ceux et celles qui lui en font la requête. Il a notamment appuyé Paméla Dumont du Théâtre la Foulée avec sa pièce Lolita n’existe pas. Il s’agit d’un apport considérable qui a permis à l’autrice et comédienne de réaliser une captation vidéo de sa création, qui lui sera utile pour des demandes de subvention visant à faire rouler le spectacle en région. « Il faut mettre l’artiste au centre de notre mission, aménager le calendrier pour des projets originaux et innovateurs, conclut Laferrière. On ne veut pas annuler des shows et passer à autre chose. Ce qui m’inquiète le plus de cette année de résidences, c’est qu’il importe que ces spectacles soient diffusés. Il faut trouver le moyen de les faire circuler. »
Une solidarité intarissable
De son côté, le Théâtre La Rubrique de Jonquière a tenu à conserver le plus intact possible le lien qu’il avait avec les spectateurs et spectatrices de la région. « On a monté une sorte d’émission qui s’appelle Les Rencontres théâtrales, où on parle avec des artistes d’un peu partout au Québec qui devaient venir présenter leur projet ici », raconte Philippe Joncas, directeur des communications et du marketing de cette institution qui a vu le jour en 1979.
Grâce à un partenariat avec le Conseil des arts et lettres du Québec ainsi qu’avec Balado Boréal, la compagnie planche également sur Espace scénique, une émission de 12 épisodes enregistrés en direct et mettant en valeur un côté méconnu du théâtre. « On souhaite faire découvrir des métiers qui sont exercés à l’ombre des projecteurs, qui sont essentiels à un spectacle, mais que le grand public ne connaît pas tant que ça. On veut montrer des éclairagistes, des concepteurs et conceptrices sonores et de costumes, entre autres », ajoute-t-il.
Bien qu’il soit difficile, avec toutes les mesures sanitaires mises en place, de présenter une pièce en tournée à travers le Québec, il est possible d’aller voir, à La Rubrique, la production jeunesse Petite Sorcière, élaborée par Projet Mù. On travaille également sur le Festival international des arts de la Marionnette à Saguenay, qui aura lieu du 27 juillet au 1er août. « On a décidé de relever le défi de produire des spectacles devant public, donc on ne souhaite pas aller vers la webdiffusion. On veut vraiment offrir la meilleure expérience possible, que ce soit en salle, à l’extérieur ou même dans des conditions insolites. On veut proposer quelque chose qui soit physique et tangible. C’est aussi là que la marionnette parait le mieux », soutient Joncas.
Malgré toutes les difficultés qu’il a dû surmonter au fil des derniers mois, ce théâtre a pu compter sur l’appui du public qui lui restait fidèle grâce aux médias sociaux. « Dans un petit milieu comme à Saguenay, les gens sont tissés serrés et sont prêts à s’entraider. On a essayé de trouver des petits projets qui permettaient à tout le monde de s’asseoir autour de la table. On a aussi créé un spectacle immersif cet automne, le Bestiaire obscur des anciens géants, qui demandait une centaine de personnes et pour lequel on a fait appel à plusieurs compagnies de théâtre. C’est un lieu au complet qu’on transformait alors en grand parcours déambulatoire », poursuit-il. Sans la solidarité et l’appui de chacun, La Rubrique, comme bien d’autres, aurait difficilement pu survivre à cette période précaire.
Alors que la majorité du Québec est passé en zone orange lundi, les représentations théâtrales ont-elles déjà repris d’assaut nos scènes ? Force est de constater que ce changement de palier n’aura pas nécessairement eu des effets immédiats partout en région. Rencontre avec des professionnel∙les du milieu, dont la réalité a été bouleversée à plusieurs reprises au cours de la saison 2020-2021.
Certaines compagnies établies, plutôt que de présenter séance tenante un spectacle à un public restreint, ont plutôt poursuivi les projets de longue haleine entamés au cours de la dernière année. C’est le cas notamment du Théâtre de la Petite Marée, qui a vu le jour en 1994 à Bonaventure, en Gaspésie. Étant donné que plusieurs initiatives de développement sont sur la glace et que d’autres, de médiation culturelle, sont tombés à l’eau, la compagnie, qui a récemment adapté le roman jeunesse de Boucar Diouf, Jo Groenland et la route du nord, en un radio-théâtre de huit épisodes enregistrés au studio Tracadièche à Carleton, a aussi profité du temps qu’elle avait pour réfléchir à la pérennité de sa salle de spectacles et pour « prendre en main ce gros vide culturel » laissé par la fermeture des théâtres, cinémas et musées de la région.
Le directeur artistique, Jacques Laroche, a usé des derniers mois pour créer de nouveaux liens avec des gens du milieu artistique gaspésien ainsi qu’avec la communauté. « Habituellement, on est pris avec notre production, explique-t-il, alors que là, on est devenu un genre de service communautaire. On s’est allié avec le Musée acadien du Québec à Bonaventure, on a participé activement aux fêtes acadiennes, on a trouvé du monde, on a arrimé des concepts; on a animé la municipalité. On s’est rendu compte qu’on était en train de développer quelque chose qu’on avait peut-être un peu « négligé », sans le vouloir ».
Une réflexion stratégique a aussi amené le TPM à réévaluer sa salle de spectacle, actuellement peu adaptée aux mesures sanitaires requises. Avec la municipalité de Bonaventure, l’équipe étudie la possibilité d’avoir accès à un nouvel espace qui pourrait être chauffé ou climatisé. « On s’enligne pour jouer cet été, poursuit Laroche. C’est un show qui a été créé avant que la pandémie tombe. La mise en place existe, je peux faire des italiennes dans la cuisine, mais ça se peut que ça ne marche pas, alors on est aussi en train de songer à une autre option ». Un autre projet se concrétise en parallèle : « Il y a quelques années, on avait conçu un castelet, avec lequel on jouait une sorte de « Mon ami Guignol », avec des personnages typiquement gaspésiens, qui a beaucoup tourné dans la région. On a décidé de s’en servir à nouveau et de créer une nouvelle aventure pour laquelle on s’inspire de l’exposition en cours au Musée acadien, qui porte sur la maison Arsenault-Gallagher, un bâtiment de 250 ans. On va la jouer dans la cour du musée. La municipalité va nous acheter dix représentations qu’on va offrir gratuitement aux spectateurs et spectatrices. »
C’est dans une volonté de se rapprocher de son milieu que le Théâtre de la Petite Marée participe à l’énergie et à la synchronicité municipale. Dès qu’elle le pourra, l’équipe reprendra les initiatives de médiation culturelle qu’elle avait lancées au sein des écoles gaspésiennes. D’ici là, elle fera tout en son pouvoir pour faire sourire les petit∙es et grand∙es de la région.
Le tout pour le tout
À Saint-Jérôme, le Théâtre Gilles-Vigneault n’a pas encore obtenu le feu vert pour la diffusion de spectacles. Pour le directeur général et artistique de cet établissement culturel des Laurentides, David Laferrière, même si le désir de présenter du théâtre se fait sentir, plusieurs défis financiers et sanitaires se posent. « Je suis en train de compléter la programmation de mai-juin, dit-il, et de voir ce que je peux faire en théâtre. Les compagnies ont besoin de faire des répétitions. Ce n’est pas tous les diffuseurs qui se sont mis en action, ne sachant pas ce qui se tramait. La circulation du spectacle au Québec, dans un contexte de pandémie, c’est un défi assez imposant. Il y a beaucoup de productions qui ne sont pas COVID-proof. »
En ce moment, les salles favorisent la cohabitation entre les œuvres qui étaient initialement prévues, celles qui avaient été reportées et d’autres qui ont été pensées et conçues en fonction de la crise. Si tout va bien, Duceppe entend débuter la tournée de King Dave cette semaine, avec des représentations à Rivière-du-Loup, Rimouski et Amqui. Il en est de même pour La Sagouine, dont la reprise est attendue pour demain, à Victoriaville.
D’après Laferrière, « même s’il y a beaucoup d’initiatives importantes et un support accru, le voyagement demeure un grand défi. Beaucoup de spectacles ne circulent pas assez au Québec. Il n’y en a pas assez qui prennent la route. Je pense qu’il faut que le théâtre roule plus en région, et on a tous et toutes un rôle à jouer là-dedans ». Il salue cependant l’apport du CALQ en ce qui concerne l’accompagnement et le choix des compagnies qui entreprendront une tournée.
Étant donné que le Théâtre Gilles-Vigneault a lui aussi dû remettre plusieurs projets en perspective, il a misé sur l’accueil de résidences artistiques et offre, à coup d’une ou deux semaine(s), un espace de création à ceux et celles qui lui en font la requête. Il a notamment appuyé Paméla Dumont du Théâtre la Foulée avec sa pièce Lolita n’existe pas. Il s’agit d’un apport considérable qui a permis à l’autrice et comédienne de réaliser une captation vidéo de sa création, qui lui sera utile pour des demandes de subvention visant à faire rouler le spectacle en région. « Il faut mettre l’artiste au centre de notre mission, aménager le calendrier pour des projets originaux et innovateurs, conclut Laferrière. On ne veut pas annuler des shows et passer à autre chose. Ce qui m’inquiète le plus de cette année de résidences, c’est qu’il importe que ces spectacles soient diffusés. Il faut trouver le moyen de les faire circuler. »
Une solidarité intarissable
De son côté, le Théâtre La Rubrique de Jonquière a tenu à conserver le plus intact possible le lien qu’il avait avec les spectateurs et spectatrices de la région. « On a monté une sorte d’émission qui s’appelle Les Rencontres théâtrales, où on parle avec des artistes d’un peu partout au Québec qui devaient venir présenter leur projet ici », raconte Philippe Joncas, directeur des communications et du marketing de cette institution qui a vu le jour en 1979.
Grâce à un partenariat avec le Conseil des arts et lettres du Québec ainsi qu’avec Balado Boréal, la compagnie planche également sur Espace scénique, une émission de 12 épisodes enregistrés en direct et mettant en valeur un côté méconnu du théâtre. « On souhaite faire découvrir des métiers qui sont exercés à l’ombre des projecteurs, qui sont essentiels à un spectacle, mais que le grand public ne connaît pas tant que ça. On veut montrer des éclairagistes, des concepteurs et conceptrices sonores et de costumes, entre autres », ajoute-t-il.
Bien qu’il soit difficile, avec toutes les mesures sanitaires mises en place, de présenter une pièce en tournée à travers le Québec, il est possible d’aller voir, à La Rubrique, la production jeunesse Petite Sorcière, élaborée par Projet Mù. On travaille également sur le Festival international des arts de la Marionnette à Saguenay, qui aura lieu du 27 juillet au 1er août. « On a décidé de relever le défi de produire des spectacles devant public, donc on ne souhaite pas aller vers la webdiffusion. On veut vraiment offrir la meilleure expérience possible, que ce soit en salle, à l’extérieur ou même dans des conditions insolites. On veut proposer quelque chose qui soit physique et tangible. C’est aussi là que la marionnette parait le mieux », soutient Joncas.
Malgré toutes les difficultés qu’il a dû surmonter au fil des derniers mois, ce théâtre a pu compter sur l’appui du public qui lui restait fidèle grâce aux médias sociaux. « Dans un petit milieu comme à Saguenay, les gens sont tissés serrés et sont prêts à s’entraider. On a essayé de trouver des petits projets qui permettaient à tout le monde de s’asseoir autour de la table. On a aussi créé un spectacle immersif cet automne, le Bestiaire obscur des anciens géants, qui demandait une centaine de personnes et pour lequel on a fait appel à plusieurs compagnies de théâtre. C’est un lieu au complet qu’on transformait alors en grand parcours déambulatoire », poursuit-il. Sans la solidarité et l’appui de chacun, La Rubrique, comme bien d’autres, aurait difficilement pu survivre à cette période précaire.