Grande première hier soir dans le plus petit théâtre de Québec. La conjoncture était parfaite. Après des mois de confinement, la fermeture des salles de spectacle, la disparition des scènes avec de vrai·es artistes sur le plateau, voici la bombe, le feu d’artifice du collectif Hommeries ! qui présente enfin Meet_Inc., attendu depuis le printemps 2020.
Les 80 places de la jauge usuelle du Théâtre Premier Acte réduites à 25 semblent irréelles dans leur dispersion à deux mètres d’intervalle. Les bouffon·nes, en manque de victimes (et de public, disons-le tout net), interpellent les rares spectateurs et spectatrices de cette salle comble (!). C’est un petit apéritif en guise d’apprivoisement. Public et bouffon·nes sont désormais dans le même bateau. Attention, c’est parti ! Bienvenue dans la multinationale aux contours flous dont le capital repose sur les employé·es qui, confirmant le principe de Peter, ont tous et toutes atteint leur niveau d’incompétence. C’est pourquoi on recrute dans la salle pour alimenter la bête incontrôlable. Il faut que ça roule, même si l’objectif est inconnu, surtout s’il est inconnu.
Douchebag, Lacharrue (« c’t’une fille, mais est ben vulgaire, est ben correct’ ») et Wannabe brossent un tableau d’un univers parallèle improbable et pourtant si réel dans son absurdité absolue. Aucune dimension n’échappe à cette compagnie cannibale qui manipule avec dérision et désinvolture toutes les ficelles : le monde kafkaïen des travailleurs et travailleuses de bureau inutiles et indispensables, disposé·es en grappes entre le coin café et le coin photocopie, la pollution, le sexisme, la bourse, le fisc, l’incompétence, la mesquinerie, les congrès (nommés ici congraines), les 5 à 7, les potluck exaspérants, les injustices sociales, les relations interpersonnelles toxiques, l’appel du sexe entre collègues, le marketing, l’image de la compagnie à reconstruire, le capital qui percole jusqu’en bas de la pyramide (grâce à des bonus bidon et autres stratégies trompeuses) par le pisse-président et nourri par des employé·es qui ne produisent plus rien. Que du vide qui continue d’enrichir la machine. Meet_Inc. est un portrait sans pitié de l’effondrement généralisé de l’humanité.
Nos bouffon·nes, dont les parties génitales sont magnifiées par des pièces indécentes mais amovibles (« Ho ! c’est ma bite là sur ton bureau ! »), dont les courbes anatomiques sont amplifiées jusqu’à l’hypertrophie, s’inscrivent dans la tradition archétypale de leur confrérie. Ces trois personnages sont nés avec l’Hommeries ! en 2017 (La Cour suprême) et ne cessent depuis de jouer leur rôle dévastateur de critique sociale.
En ces temps de pandémie, de censure omniprésente, de sensibilité excessive, de recherche identitaire, de polarisation, d’exclusion raciale, Meet_inc. explose comme un OVNI libérateur. Les protagonistes sont vulgaires et irrévérencieux. Ils exacerbent nos petits démons pour en faire des monstres soudainement échappés de la boîte. Et ils sont tellement bienvenus, ces démons, que le public rit gros et gras. Dans ce rire, il y a le relâchement du diaphragme et la dilatation de la rate qui permettent à nouveau de respirer librement. Il y a ce moment de grâce où la bien-pensance et la langue châtiée sont temporairement abolies et remplacées par l’indécence de tout nommer crûment. Une heure trente de plaisir illicite, avec tentation rabelaisienne.
Les situations s’enchaînent dans un chaos absolu, sans aucune logique, forçant les portes et barrages mentaux, qu’il vaut mieux laisser au vestiaire. Il faut lâcher prise pour trouver la joie, une joie coupable de bêtise assumée. Le temps des bouffon·nes, c’est la revanche des petit·es contre les grand·es, de la crasse contre la pureté, de la vulgarité contre la bienséance, et Douchbag, Lacharrue et Wannabe s’en donnent à cœur joie, avec énergie ainsi qu’un plaisir manifeste de montrer leur derrière, de s’agresser, d’exposer leurs fantasmes avec volupté. Par cette irrévérence sans limites et la mise à nu des vices ordinaires, Meet_Inc. est un exutoire jouissif. Un spectacle bénéfique en ces temps de contention généralisée. Cœurs sensibles, s’abstenir.
Texte : Nicola Boulanger, Valérie Boutin, Paul Fruteau de Laclos et François-Guillaume Leblanc. Mise en scène : Nicola Boulanger. Direction de production : Laurence Croteau Langevin. Conception de la scénographie, des costumes et des éclairages : Jean-Philippe Côté, Nathalie Côté, Jérôme Huot et Roberto Schilling Pollo Duarte. Mentorat : Michel Nadeau. Avec Valérie Boutin, Paul Fruteau de Laclos et François-Guillaume Leblanc. Une production du Collectif Hommeries ! présentée au Théâtre Premier Acte jusqu’au 3 avril 2021.
Grande première hier soir dans le plus petit théâtre de Québec. La conjoncture était parfaite. Après des mois de confinement, la fermeture des salles de spectacle, la disparition des scènes avec de vrai·es artistes sur le plateau, voici la bombe, le feu d’artifice du collectif Hommeries ! qui présente enfin Meet_Inc., attendu depuis le printemps 2020.
Les 80 places de la jauge usuelle du Théâtre Premier Acte réduites à 25 semblent irréelles dans leur dispersion à deux mètres d’intervalle. Les bouffon·nes, en manque de victimes (et de public, disons-le tout net), interpellent les rares spectateurs et spectatrices de cette salle comble (!). C’est un petit apéritif en guise d’apprivoisement. Public et bouffon·nes sont désormais dans le même bateau. Attention, c’est parti ! Bienvenue dans la multinationale aux contours flous dont le capital repose sur les employé·es qui, confirmant le principe de Peter, ont tous et toutes atteint leur niveau d’incompétence. C’est pourquoi on recrute dans la salle pour alimenter la bête incontrôlable. Il faut que ça roule, même si l’objectif est inconnu, surtout s’il est inconnu.
Douchebag, Lacharrue (« c’t’une fille, mais est ben vulgaire, est ben correct’ ») et Wannabe brossent un tableau d’un univers parallèle improbable et pourtant si réel dans son absurdité absolue. Aucune dimension n’échappe à cette compagnie cannibale qui manipule avec dérision et désinvolture toutes les ficelles : le monde kafkaïen des travailleurs et travailleuses de bureau inutiles et indispensables, disposé·es en grappes entre le coin café et le coin photocopie, la pollution, le sexisme, la bourse, le fisc, l’incompétence, la mesquinerie, les congrès (nommés ici congraines), les 5 à 7, les potluck exaspérants, les injustices sociales, les relations interpersonnelles toxiques, l’appel du sexe entre collègues, le marketing, l’image de la compagnie à reconstruire, le capital qui percole jusqu’en bas de la pyramide (grâce à des bonus bidon et autres stratégies trompeuses) par le pisse-président et nourri par des employé·es qui ne produisent plus rien. Que du vide qui continue d’enrichir la machine. Meet_Inc. est un portrait sans pitié de l’effondrement généralisé de l’humanité.
Nos bouffon·nes, dont les parties génitales sont magnifiées par des pièces indécentes mais amovibles (« Ho ! c’est ma bite là sur ton bureau ! »), dont les courbes anatomiques sont amplifiées jusqu’à l’hypertrophie, s’inscrivent dans la tradition archétypale de leur confrérie. Ces trois personnages sont nés avec l’Hommeries ! en 2017 (La Cour suprême) et ne cessent depuis de jouer leur rôle dévastateur de critique sociale.
En ces temps de pandémie, de censure omniprésente, de sensibilité excessive, de recherche identitaire, de polarisation, d’exclusion raciale, Meet_inc. explose comme un OVNI libérateur. Les protagonistes sont vulgaires et irrévérencieux. Ils exacerbent nos petits démons pour en faire des monstres soudainement échappés de la boîte. Et ils sont tellement bienvenus, ces démons, que le public rit gros et gras. Dans ce rire, il y a le relâchement du diaphragme et la dilatation de la rate qui permettent à nouveau de respirer librement. Il y a ce moment de grâce où la bien-pensance et la langue châtiée sont temporairement abolies et remplacées par l’indécence de tout nommer crûment. Une heure trente de plaisir illicite, avec tentation rabelaisienne.
Les situations s’enchaînent dans un chaos absolu, sans aucune logique, forçant les portes et barrages mentaux, qu’il vaut mieux laisser au vestiaire. Il faut lâcher prise pour trouver la joie, une joie coupable de bêtise assumée. Le temps des bouffon·nes, c’est la revanche des petit·es contre les grand·es, de la crasse contre la pureté, de la vulgarité contre la bienséance, et Douchbag, Lacharrue et Wannabe s’en donnent à cœur joie, avec énergie ainsi qu’un plaisir manifeste de montrer leur derrière, de s’agresser, d’exposer leurs fantasmes avec volupté. Par cette irrévérence sans limites et la mise à nu des vices ordinaires, Meet_Inc. est un exutoire jouissif. Un spectacle bénéfique en ces temps de contention généralisée. Cœurs sensibles, s’abstenir.
Meet_Inc.
Texte : Nicola Boulanger, Valérie Boutin, Paul Fruteau de Laclos et François-Guillaume Leblanc. Mise en scène : Nicola Boulanger. Direction de production : Laurence Croteau Langevin. Conception de la scénographie, des costumes et des éclairages : Jean-Philippe Côté, Nathalie Côté, Jérôme Huot et Roberto Schilling Pollo Duarte. Mentorat : Michel Nadeau. Avec Valérie Boutin, Paul Fruteau de Laclos et François-Guillaume Leblanc. Une production du Collectif Hommeries ! présentée au Théâtre Premier Acte jusqu’au 3 avril 2021.