Entrevues

Réouverture des théâtres à Québec : Retour aux sources

Le Pometier, Théâtre Périscope 2020© Mario Villeneuve

Tout comme la flore au printemps, les arts vivants se réveillent tranquillement d’une période de jachère. Les théâtres renouent avec leurs publics qui, eux, regagnent peu à peu leurs sièges. Après une aussi longue attente, la reprise des spectacles paraît quasi irréelle. Rencontre avec Marc Gourdeau, Élie St-Cyr et Agnès Zacharie, qui témoignent des enjeux entourant la relance des activités scéniques à Québec.

Le directeur artistique de Premier Acte, Marc Gourdeau, en avait long à dire au sujet de cette réouverture tant espérée. Toutes les représentations de Meet_Inc. affichaient déjà complet peu de jours après la mise en vente des billets, une preuve tangible que ce rendez-vous manquait énormément au public. « Pour la première fois, les gens ont applaudi après le message d’accueil du show présenté juste avant que le spectacle commence. Je pense que ça montre à quel point ils étaient heureux d’être là, autant que les acteurs et les actrices étaient content∙es d’être sur scène », affirme-t-il. Il va même jusqu’à avancer qu’il ne serait pas surpris qu’après la pandémie, les théâtres battent des records d’assistance.

Malgré tout, le respect des règles sanitaires, en ce qui concerne tant l’accueil du public que le travail des comédien∙nes en répétition, demeure un enjeu majeur. Cela ajoute un lot considérable de tâches et impose une logistique accrue. « Dans le cas du Premier Acte, on est chanceux puisque les deux spectacles qui étaient prévus sur scène étaient COVID-proof. Pour d’autres, les contraintes mises en place les obligent à revoir leur programmation. L’an dernier, j’ai contacté les compagnies en leur demandant d’essayer de penser à une adaptation de leur spectacle ou à un projet alternatif », raconte Gourdeau. Contrairement au Théâtre du Trident ou au Théâtre La Bordée, la webdiffusion n’était pas une option pour cette institution principalement dédiée aux artistes émergents. Le manque de moyens financiers et techniques contrecarrait l’obtention de productions de qualité.

Chaque année, Premier Acte offre aussi une pièce mettant en vedette des finissant∙es d’écoles de théâtre. L’an prochain y fera toutefois exception, étant donné que l’établissement devra présenter ce qui était prévu cette saison-ci. « Il y a deux cohortes de nouveaux et nouvelles professionnel∙les qui seront 18 mois, un an, sans pouvoir travailler. C’est un des effets collatéraux les plus dommageables de la pandémie », atteste le directeur artistique.

© David Mendoza Hélaine

L’éveil du printemps

L’acteur Élie St-Cyr ne pouvait espérer davantage de cette reprise des activités théâtrales, car, pour lui, les projets se multiplient. Après des mois à subir la suspension de nombreux contrats de jeu et à répéter dans l’incertitude, il entreprend d’abord un retour sur les planches aujourd’hui même, le 30 mars, dans une mise en lecture publique de La Meute, dirigée par Marie-Hélène Gendreau à La Bordée.

S’il a hâte de se produire sur scène, il appréhende aussi les réactions du public, qui sera assurément très enthousiaste d’être présent, mais peut-être aussi passablement stressé, puisqu’il s’agira d’une première « grande » sortie depuis un an. « C’est sûr qu’il y a une crainte de rencontrer un public moins disposé, moins généreux », dit-il, étant donné que le port du masque peut venir restreindre certaines réactions. Toutefois, le cœur et la générosité y seront incontestablement du côté des comédien∙nes : « On fait ça pour le monde, ajoute-t-il. On a recommencé à répéter et c’est quasiment euphorisant de travailler. Je n’ai jamais été aussi heureux depuis un an. Juste de faire ce que tu aimes, c’est déjà beaucoup. »

Vu le jeu de chaise musicale qui a cours dans le milieu depuis l’annonce gouvernementale, Élie St-Cyr a hérité de nouveaux contrats pour pallier l’indisponibilité de certains comédiens. Il a notamment été appelé par le Festival Jamais Lu Québec, par le Carrefour international de théâtre ainsi que par un metteur en scène qui lui a demandé de jouer dans un de ses projets; « J’ai bon espoir de tout faire. J’ai envie de travailler, plus que jamais. »

L’importance de la rencontre

Quant à Agnès Zacharie, directrice de la compagnie Ubus Théâtre, elle reprendra les représentations du Pommetier, du 16 avril au 9 mai au Théâtre Périscope, après sept mois d’interruption. Comme que le spectacle avait été monté de sorte à faire face à la pandémie, il s’avère déjà adapté aux conditions sanitaires actuelles et n’a subi aucun changement majeur entre-temps. « On a repris où on avait laissé », indique Zacharie, autrice, interprète et metteuse en scène de la pièce. Par ailleurs, durant le mois ayant suivi l’arrêt des activités, en octobre dernier, les artisan∙es du Pommetier ont recouvert l’autobus – dans lequel avait lieu le spectacle – de branchages et ont réalisé une œuvre sonore singulière qui a été nommée Le Murmure du Pommetier. « On passait devant le bus et c’était comme s’il continuait de monter la garde », précise-t-elle.

Pour la créatrice, le plus important en théâtre, c’est la rencontre. Elle a envie de poursuivre son travail en respectant ce désir d’échanges et cette mission personnelle qu’elle s’était donnée : « Avec le Pommetier, je demandais à chaque personne qui venait dans l’autobus « comment vas-tu ? ». Mon théâtre, ça a toujours été des spectacles très intimes, qui relèvent du social et d’un rendez-vous avec l’autre. » Elle continue en affirmant que le plus grand défi de cet art en 2021 est de « rester vivant, à tout prix ». Que ce soit en allant jouer chez les gens ou leur racontant des histoires autour d’un feu, la parole doit demeurer active et bidirectionnelle.

Est-ce que les créateurs et créatrice interrogé·es craignent l’annonce d’une nouvelle fermeture ? « En ce moment, c’est peut-être de l’inconscience, du déni, de l’aveuglement volontaire, mais je ne veux juste pas y penser, lance Marc Gourdeau. Si ça arrive, ça arrivera et on avisera. On veut aller de l’avant et présentement, le feeling qu’on vit, d’accueillir du monde dans notre théâtre, est immense. On est tellement heureux et heureuses qu’on n’a pas envie de penser à du gris. »

Le Pommetier, Théâtre Périscope 2020