Publié en 2017 chez Leméac, Aller jusqu’au bout des mots. Correspondance 1954-1959 a révélé au monde une histoire d’amour secrète entre le peintre Paul-Émile Borduas et Rachel Laforest, une femme progressiste qui avait joint le groupe des automatistes quelques années auparavant. C’est le fils de celle-ci, Pascal, qui a découvert, à la mort de sa mère, près d’une centaine de lettres échangées entre l’amoureux et l’amoureuse.
Amoureux et amoureuse l’un·e de l’autre, oui, de l’amour aussi sans doute, passionnément. Amant·s ? On ne saura pas vraiment. Cette passion naît et fleurit probablement pour échapper, en partie, aux défis de leur vie respective, elle, élevant seule son fils, lui, père du manifeste du Refus global et exilé volontaire à New York, puis à Paris.
Dans l’une de ses missives, Rachel Laforest décrit parfaitement ce que les deux vivront jusqu’à la mort du peintre : « un amour où n’entreraient ni promesse, ni engagement, ni date fixe, ni limites géographiques ». Un sentiment idéalisé par ces deux divorcé·es qui se jettent à corps perdu dans une relation épistolaire. Leur langue est élégante, mais quelque peu surannée.
Mais c’est bien de l’amour dont parle la pièce de l’autrice et metteuse en scène Alexia Bürger. La créatrice des Hardings démontre tout son savoir-faire en adaptant cette idée originale de Pascale Bussières et de Jean-François Casabonne, qui interprètent les deux protagonistes. Elle s’applique à réfléchir aux ramifications psychologiques et philosophiques de ce sentiment humain.
Pour aller plus loin dans le sujet, la dramaturge fait appel à des textes de Platon et de Jacques Derrida abordant leur définition de l’amour. La metteuse en scène utilise également un troisième personnage, le musicien Joseph Marchand, tel un coryphée intervenant sur le rythme des échanges par des compositions musicales ou des effets comiques.
Mise en scène astucieuse
Autre astuce de la metteuse en scène, une lettre jamais écrite par Rachel Laforest est insérée dans l’intrigue et teinte encore davantage les sentiments de l’admiratrice du peintre. Avec l’aide du chorégraphe Wynn Holmes, Alexia Bürger favorise un théâtre, par moments, très physique qui vient contrebalancer un texte qui aurait pu devenir lassant s’il n’avait été que récité.
Pascale Bussières, qui n’a pas passé toute sa carrière sur les planches, rappelons-le, se débrouille bien dans le rôle de Rachel Laforest, mais c’est la palette très étendue de Jean-François Casabonne qui assure au spectacle son élan dynamique. Son Borduas, tout aussi amoureux qu’il dit être, reste un grand artiste avec ce que cela comporte d’égocentrisme et de passion excluant l’idée de la vie à deux. De son côté, Rachel Laforest avouera plusieurs fois envier sa liberté, elle qui est d’abord mère de famille monoparentale, ce qui n’avait rien de facile dans les années 1950.
Toute en angles obliques, la scénographie de l’artiste visuelle Caroline Cloutier sert à la fois le propos de la pièce et les mouvements des interprètes. Les costumes de Mérédith Caron, sont magnifiques, dont les robes que porte Pascale Bussières. Par contre, les projections vidéo n’apportent pas grand-chose au récit, ignorant notamment que la palette du peintre québécois comportait beaucoup plus que le noir et le blanc.
Alors, demande Jacques Derrida, on aime qui – quelqu’un dans sa singularité – ou on aime quoi – la façon dont quelqu’un est ? L’amour à distance vécu ici s’inscrit dans la deuxième partie de son interrogation. Et, d’ajouter le pertinent Platon, l’amour est désir et le désir est manque.
Ce lien entre Borduas et Laforest est beau et intense, mais restera, somme toute, platonique. Il emprunte les couleurs contrastantes du peintre et les pensées plus rationnelles de la mère. Serait-ce là une vision de l’amour idéal, un sentiment préservé par sa nature épistolaire, puisqu’il ne connaîtra jamais les affres du quotidien ? Fantasmé et d’autant plus fort parce qu’impossible dans le monde réel ? Au théâtre, chose certaine, il fait rêver.
Idée originale : Pascale Bussières et Jean-François Casabonne. Adaptation, dramaturgie et mise en scène : Alexia Bürger. Assistance à la mise en scène : Stéphanie Capistran. Scénographie : Caroline Cloutier. Lumières : Étienne Boucher. Musique : Joseph Marchand. Costumes : Mérédith Caron. Coupe et confection masculine : Jacques Doucet. Coupe et confection féminine : Amélie Doucet. Accessoires : Julie Measroch. Chorégraphies : Wynn Holmes. Maquillages et coiffures : Amélie Bruneau-Longpré. Conception vidéo : Thomas Payette (HUB Studio). Conception visuelle : Hugues Caillères (HUB Studio). Intégration sonore : Frédéric Auger. Régie : Emanuelle Kirouac-Sanche. Régie son : Serge Rodrigue. Habilleuse : Nicole Langlois. Direction de production : Audrey Blouin et Marie-Christine Martel. Direction technique : Alex Gendron. Avec Pascale Bussières, Jean-François Casabonne et Joseph Marchand, ainsi que les voix d’André Lacoste et de Louis Marchand. Une production d’Espace GO présentée jusqu’au 20 juin 2021
Publié en 2017 chez Leméac, Aller jusqu’au bout des mots. Correspondance 1954-1959 a révélé au monde une histoire d’amour secrète entre le peintre Paul-Émile Borduas et Rachel Laforest, une femme progressiste qui avait joint le groupe des automatistes quelques années auparavant. C’est le fils de celle-ci, Pascal, qui a découvert, à la mort de sa mère, près d’une centaine de lettres échangées entre l’amoureux et l’amoureuse.
Amoureux et amoureuse l’un·e de l’autre, oui, de l’amour aussi sans doute, passionnément. Amant·s ? On ne saura pas vraiment. Cette passion naît et fleurit probablement pour échapper, en partie, aux défis de leur vie respective, elle, élevant seule son fils, lui, père du manifeste du Refus global et exilé volontaire à New York, puis à Paris.
Dans l’une de ses missives, Rachel Laforest décrit parfaitement ce que les deux vivront jusqu’à la mort du peintre : « un amour où n’entreraient ni promesse, ni engagement, ni date fixe, ni limites géographiques ». Un sentiment idéalisé par ces deux divorcé·es qui se jettent à corps perdu dans une relation épistolaire. Leur langue est élégante, mais quelque peu surannée.
Mais c’est bien de l’amour dont parle la pièce de l’autrice et metteuse en scène Alexia Bürger. La créatrice des Hardings démontre tout son savoir-faire en adaptant cette idée originale de Pascale Bussières et de Jean-François Casabonne, qui interprètent les deux protagonistes. Elle s’applique à réfléchir aux ramifications psychologiques et philosophiques de ce sentiment humain.
Pour aller plus loin dans le sujet, la dramaturge fait appel à des textes de Platon et de Jacques Derrida abordant leur définition de l’amour. La metteuse en scène utilise également un troisième personnage, le musicien Joseph Marchand, tel un coryphée intervenant sur le rythme des échanges par des compositions musicales ou des effets comiques.
Mise en scène astucieuse
Autre astuce de la metteuse en scène, une lettre jamais écrite par Rachel Laforest est insérée dans l’intrigue et teinte encore davantage les sentiments de l’admiratrice du peintre. Avec l’aide du chorégraphe Wynn Holmes, Alexia Bürger favorise un théâtre, par moments, très physique qui vient contrebalancer un texte qui aurait pu devenir lassant s’il n’avait été que récité.
Pascale Bussières, qui n’a pas passé toute sa carrière sur les planches, rappelons-le, se débrouille bien dans le rôle de Rachel Laforest, mais c’est la palette très étendue de Jean-François Casabonne qui assure au spectacle son élan dynamique. Son Borduas, tout aussi amoureux qu’il dit être, reste un grand artiste avec ce que cela comporte d’égocentrisme et de passion excluant l’idée de la vie à deux. De son côté, Rachel Laforest avouera plusieurs fois envier sa liberté, elle qui est d’abord mère de famille monoparentale, ce qui n’avait rien de facile dans les années 1950.
Toute en angles obliques, la scénographie de l’artiste visuelle Caroline Cloutier sert à la fois le propos de la pièce et les mouvements des interprètes. Les costumes de Mérédith Caron, sont magnifiques, dont les robes que porte Pascale Bussières. Par contre, les projections vidéo n’apportent pas grand-chose au récit, ignorant notamment que la palette du peintre québécois comportait beaucoup plus que le noir et le blanc.
Alors, demande Jacques Derrida, on aime qui – quelqu’un dans sa singularité – ou on aime quoi – la façon dont quelqu’un est ? L’amour à distance vécu ici s’inscrit dans la deuxième partie de son interrogation. Et, d’ajouter le pertinent Platon, l’amour est désir et le désir est manque.
Ce lien entre Borduas et Laforest est beau et intense, mais restera, somme toute, platonique. Il emprunte les couleurs contrastantes du peintre et les pensées plus rationnelles de la mère. Serait-ce là une vision de l’amour idéal, un sentiment préservé par sa nature épistolaire, puisqu’il ne connaîtra jamais les affres du quotidien ? Fantasmé et d’autant plus fort parce qu’impossible dans le monde réel ? Au théâtre, chose certaine, il fait rêver.
J’ai cru vous voir
Idée originale : Pascale Bussières et Jean-François Casabonne. Adaptation, dramaturgie et mise en scène : Alexia Bürger. Assistance à la mise en scène : Stéphanie Capistran. Scénographie : Caroline Cloutier. Lumières : Étienne Boucher. Musique : Joseph Marchand. Costumes : Mérédith Caron. Coupe et confection masculine : Jacques Doucet. Coupe et confection féminine : Amélie Doucet. Accessoires : Julie Measroch. Chorégraphies : Wynn Holmes. Maquillages et coiffures : Amélie Bruneau-Longpré. Conception vidéo : Thomas Payette (HUB Studio). Conception visuelle : Hugues Caillères (HUB Studio). Intégration sonore : Frédéric Auger. Régie : Emanuelle Kirouac-Sanche. Régie son : Serge Rodrigue. Habilleuse : Nicole Langlois. Direction de production : Audrey Blouin et Marie-Christine Martel. Direction technique : Alex Gendron. Avec Pascale Bussières, Jean-François Casabonne et Joseph Marchand, ainsi que les voix d’André Lacoste et de Louis Marchand. Une production d’Espace GO présentée jusqu’au 20 juin 2021