La toute dernière création de la dramaturge Carole Fréchette, une coproduction du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et du Théâtre des Récréâtrales d’Ouagadougou, allie l’intime et le politique dans un récit soutenu par une mise en scène stupéfiante. Marie-Odile se rend au Burkina Faso pour assister à un colloque sur l’agriculture urbaine, prétexte pour répandre les cendres de sa sœur regrettée sur la seule terre au monde qu’elle ne détestait pas. Alors qu’elle s’enlise dans un passé qui l’accable, le congrès est interrompu par un jeune garçon armé d’une kalachnikov. Marie-Odile et les autres intervenant·es se retrouvent face au mur, dans toute l’équivocité de l’expression.
Le texte qui porte Nassara est remarquable d’un point de vue narratif. Dans une chaleur étouffante, un ventilateur tourne faiblement et l’esprit de Marie-Odile frôle le court-circuit. Son discours se démantèle progressivement; Marie-Odile, incohérente et désemparée, se bat sur trois fronts, sur trois temporalités à la fois. D’abord, elle relate la situation du colloque en simultané avec une distance rappelant le monologue intérieur. Ensuite, elle replonge malgré elle dans des souvenirs lointains, extirpés d’une vie que Marie-Odile semble avoir laissée derrière elle, au Québec. Finalement, surgissent des bribes d’une rencontre troublante survenue la veille. Une telle superposition discursive peut perdre en puissance et en cohésion dans le passage de l’écriture à la parole. Or, soutenu par le jeu de Marie-Thérèse Fortin et de Stephie Mazunya, l’effet est réussi : on ressent l’égarement, la perte, la fuite, le conflit.
Donner la violence en spectacle
Nassara aborde l’enjeu de la radicalisation et du terrorisme en donnant accès à la subjectivité de tous les partis impliqués. En ce sens, le jeu clair et transparent des interprètes permet au récit de prendre la place dont il a besoin pour se déployer pleinement. Ali, incarné par Moussa Sidibé, cache une kalachnikov sous son gilet et une grande peur dans son ventre. Il n’apparaît sur scène qu’en paroles et en projections, faisant de la violence une chose vocale qui imprègne l’air, suspendue comme une menace, comme une tristesse inconsolable. Ali n’est pas le seul personnage absent, la dizaine d’intervenant·es du colloque n’ont pas de voix qui leur est propre; ils et elles prennent tous et toutes vie à travers celle de Marie-Odile. Ainsi, tous les éléments du récit gravitent autour d’elle et dépendent de son champ de force discursif. D’ailleurs, les mouvements et le jeu corporel des deux interprètes sur scène traduisent cette idée de gravitation; Marie-Odile est en quelque sorte une conteuse autour de laquelle s’orchestre l’histoire qu’elle raconte. Cette perspective a comme seul défaut de se donner la tâche, lourde, d’illustrer une immense violence, une violence planétaire, à l’intérieur d’une histoire spécifique, laissant s’échapper, par moments, quelques généralités ou stéréotypes.
La configuration de la salle Michelle-Rossignol permet au public de prendre place sur deux des côtés de la scène, comme si celui-ci forçait les interprètes à jouer dans un coin. La mise en scène de Sophie Cadieux permet aux spectateurs et spectatrices de ressentir le même sentiment de réclusion, physique et mentale, qu’éprouvent les personnages de Nassara. Au centre se trouve une structure de pierre imposante, entre auditorium grec et monument funéraire, de laquelle part un escalier qui mène sous la scène par une trappe au sol, ce qui donne à l’espace de jeu une profondeur jusqu’à maintenant peu explorée au théâtre. Au plafond, un ventilateur tourne au rythme de l’intrigue, s’emballe et se calme en même temps que le discours de Marie-Odile. Il semble d’ailleurs avoir été au centre des préoccupations scénographiques, puisqu’à son mouvement s’accordent les éclairages et, par le fait même, les ombres projetées. C’est notamment grâce à ces choix esthétiques subtils que Nassara ne manque pas d’unité, de logique et de force.
Texte : Carole Fréchette. Mise en scène : Sophie Cadieux. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphane Capistran-Lalonde. Scénographie : Max-Otto Fauteux. Éclairages : Martin Sirois. Costumes : Rouquaïya Yerima. Musique originale : Ghislain Poirier. Réalisation vidéo : Amadou Diagabaté. Avec Marie-Thérèse Fortin, Stephie Mazunya et Moussa Sidibé. Une production du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et du Théâtre des Récréâtrales (Ouagadougou), présentée à la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 25 septembre 2021.
La toute dernière création de la dramaturge Carole Fréchette, une coproduction du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et du Théâtre des Récréâtrales d’Ouagadougou, allie l’intime et le politique dans un récit soutenu par une mise en scène stupéfiante. Marie-Odile se rend au Burkina Faso pour assister à un colloque sur l’agriculture urbaine, prétexte pour répandre les cendres de sa sœur regrettée sur la seule terre au monde qu’elle ne détestait pas. Alors qu’elle s’enlise dans un passé qui l’accable, le congrès est interrompu par un jeune garçon armé d’une kalachnikov. Marie-Odile et les autres intervenant·es se retrouvent face au mur, dans toute l’équivocité de l’expression.
Le texte qui porte Nassara est remarquable d’un point de vue narratif. Dans une chaleur étouffante, un ventilateur tourne faiblement et l’esprit de Marie-Odile frôle le court-circuit. Son discours se démantèle progressivement; Marie-Odile, incohérente et désemparée, se bat sur trois fronts, sur trois temporalités à la fois. D’abord, elle relate la situation du colloque en simultané avec une distance rappelant le monologue intérieur. Ensuite, elle replonge malgré elle dans des souvenirs lointains, extirpés d’une vie que Marie-Odile semble avoir laissée derrière elle, au Québec. Finalement, surgissent des bribes d’une rencontre troublante survenue la veille. Une telle superposition discursive peut perdre en puissance et en cohésion dans le passage de l’écriture à la parole. Or, soutenu par le jeu de Marie-Thérèse Fortin et de Stephie Mazunya, l’effet est réussi : on ressent l’égarement, la perte, la fuite, le conflit.
Donner la violence en spectacle
Nassara aborde l’enjeu de la radicalisation et du terrorisme en donnant accès à la subjectivité de tous les partis impliqués. En ce sens, le jeu clair et transparent des interprètes permet au récit de prendre la place dont il a besoin pour se déployer pleinement. Ali, incarné par Moussa Sidibé, cache une kalachnikov sous son gilet et une grande peur dans son ventre. Il n’apparaît sur scène qu’en paroles et en projections, faisant de la violence une chose vocale qui imprègne l’air, suspendue comme une menace, comme une tristesse inconsolable. Ali n’est pas le seul personnage absent, la dizaine d’intervenant·es du colloque n’ont pas de voix qui leur est propre; ils et elles prennent tous et toutes vie à travers celle de Marie-Odile. Ainsi, tous les éléments du récit gravitent autour d’elle et dépendent de son champ de force discursif. D’ailleurs, les mouvements et le jeu corporel des deux interprètes sur scène traduisent cette idée de gravitation; Marie-Odile est en quelque sorte une conteuse autour de laquelle s’orchestre l’histoire qu’elle raconte. Cette perspective a comme seul défaut de se donner la tâche, lourde, d’illustrer une immense violence, une violence planétaire, à l’intérieur d’une histoire spécifique, laissant s’échapper, par moments, quelques généralités ou stéréotypes.
La configuration de la salle Michelle-Rossignol permet au public de prendre place sur deux des côtés de la scène, comme si celui-ci forçait les interprètes à jouer dans un coin. La mise en scène de Sophie Cadieux permet aux spectateurs et spectatrices de ressentir le même sentiment de réclusion, physique et mentale, qu’éprouvent les personnages de Nassara. Au centre se trouve une structure de pierre imposante, entre auditorium grec et monument funéraire, de laquelle part un escalier qui mène sous la scène par une trappe au sol, ce qui donne à l’espace de jeu une profondeur jusqu’à maintenant peu explorée au théâtre. Au plafond, un ventilateur tourne au rythme de l’intrigue, s’emballe et se calme en même temps que le discours de Marie-Odile. Il semble d’ailleurs avoir été au centre des préoccupations scénographiques, puisqu’à son mouvement s’accordent les éclairages et, par le fait même, les ombres projetées. C’est notamment grâce à ces choix esthétiques subtils que Nassara ne manque pas d’unité, de logique et de force.
Nassara
Texte : Carole Fréchette. Mise en scène : Sophie Cadieux. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphane Capistran-Lalonde. Scénographie : Max-Otto Fauteux. Éclairages : Martin Sirois. Costumes : Rouquaïya Yerima. Musique originale : Ghislain Poirier. Réalisation vidéo : Amadou Diagabaté. Avec Marie-Thérèse Fortin, Stephie Mazunya et Moussa Sidibé. Une production du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et du Théâtre des Récréâtrales (Ouagadougou), présentée à la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 25 septembre 2021.