La Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement : Le peuple russe, entre drames et rêves
Pour adapter le livre de l’écrivaine Svetlana Aleksievitch, prix Nobel de littérature en 2015, Catherine De Léan a choisi quatre récits parmi les quelque 500 pages que compte La Fin de l’homme rouge, un portrait à la fois émouvant et sans fard d’une Russie en lambeaux après la chute de l’URSS.
Dans une forme littéraire polyphonique très convaincante, on retrouve d’abord le balayeur (Benoît Mauffette), diplômé en philosophie et fin analyste de l’âme russe. L’économie de la mise en scène incite à fermer les yeux, à se concentrer au portrait nostalgique qu’il brosse d’une Russie révolue. Avec l’arrivée du capitalisme, le règne de l’argent a tué celui des idées, contaminé l’amour. « Avoir lu tout Hegel n’intéresse plus personne », écrit Svetlana Aleksievitch. Parler d’hier, finalement, revient surtout à saisir le présent.
Et puis il y a le témoignage d’Anna Maia, une mère courage magnifiquement interprétée par Dominique Quesnel. La comédienne parvient à transmettre toute l’émotion contenue de son récit, celui d’une femme partie sur le chemin de son orphelinat, aux confins des steppes poussiéreuses et du passé esclavagiste soviétique. La puissance évocatrice du texte magnifiée par la sensibilité de l’actrice, l’expression de la voix, l’intensité du timbre, nous emportent magistralement.
Autre génération, autre énergie. Larissa Corriveau s’approprie, elle aussi, pleinement son texte pour camper une jeune « executive woman » aguicheuse, éprise de liberté et d’un féminisme solitaire. Elle incarne l’ouverture au monde d’une Russie qui s’est brusquement modernisée. Étonnante quand, juchée sur une échelle, elle évoque la déconfiture de ses relations amoureuses et sa quête de bonheur… À mille lieues du personnage livré par Paul Ahmarani, pétri de traumatismes de guerre, mais dont on peine, parfois, à saisir le texte au fond du Théâtre Prospero.
Restera, à la sortie de cette mise en lecture, une photographie sensible de la société russe qui donne très envie de se plonger dans les écrits de Svetlana Aleksievitch.
Texte : Svetlana Aleksievitch. Mis en scène : Catherine De Léan. Projections : Gaspard Philippe. Paul Ahmarani, Larissa Corriveau, Catherine De Léan, Benoît Mauffette et Dominique Quesnel. Une production du Groupe de la Veillée, dans le cadre de Territoires de paroles, présentée au Théâtre Prospero à l’occasion du Festival international de la littérature (FIL).
Le Salon de Madame Baudelaire : Conversations intimes
Couple non conformiste qui fascina ses contemporain·es, formé d’un dandy poète et d’une femme traitée de « mulâtresse », Charles Baudelaire et Jeanne Duval tiennent salon au Théâtre Outremont, campé·es par Emmanuel Schwartz et Marie-Madeleine Sarr derrière des pupitres…à la manière d’une conférence de presse.
Si le dispositif surprend d’emblée, cette curieuse modernisation concerne aussi le texte, puisqu’il est signé par l’écrivain Serge Lamothe avec des extraits baudelairiens (et autres références littéraires classiques). Très influencée par les débats de notre ère, son adaptation exacerbe la situation difficile de Jeanne (la « muse », la « Vénus noire » de Baudelaire) qui a été stigmatisée par les préjugés de l’époque, tout en y greffant les débats littéraires de la même période, entourant la censure des Fleurs du mal. Rappelons que l’année 2021 marque aussi le 200e anniversaire de la naissance de Charles Baudelaire.
Sous la plume joyeusement anachronique de Serge Lamothe, le grand poète se laisse prénommer « Carlo », coquetterie que Marie-Madeleine Sarr parvient à nous faire accepter avec son air mutin et sa grâce altière. Face à elle, Emmanuel Schwartz incarne un Baudelaire plus débonnaire qu’agressif, un génie laborieux qui cherche moins à en découdre avec la bourgeoisie qu’à remettre sa mèche de cheveux en place toutes les 10 secondes.
Il paraît que, sans cesse, Jeanne et Charles s’aimèrent, se disputèrent et puis se réconcilièrent, ce que la mise en lecture reflète fidèlement en insistant sur la complicité du couple. Dommage, toutefois, d’avoir imposé à l’ami Nadar (Alexis Martin) une présence continue sur scène pour un simple rôle de figuration et quelques répliques sans relief.
Texte : Serge Lamothe. Mise en lecture : Alexis Martin. Assistance et régie : Dominique Cuerrier. Lumières : Anne-Marie Rodrigue Lecours. Avec Emmanuel Schwartz, Marie-Madeleine Sarr et Alexis Martin. Une production du Festival international de la littérature, présentée au Théâtre Outremont jusqu’au 30 septembre 2021.
La Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement : Le peuple russe, entre drames et rêves
Pour adapter le livre de l’écrivaine Svetlana Aleksievitch, prix Nobel de littérature en 2015, Catherine De Léan a choisi quatre récits parmi les quelque 500 pages que compte La Fin de l’homme rouge, un portrait à la fois émouvant et sans fard d’une Russie en lambeaux après la chute de l’URSS.
Dans une forme littéraire polyphonique très convaincante, on retrouve d’abord le balayeur (Benoît Mauffette), diplômé en philosophie et fin analyste de l’âme russe. L’économie de la mise en scène incite à fermer les yeux, à se concentrer au portrait nostalgique qu’il brosse d’une Russie révolue. Avec l’arrivée du capitalisme, le règne de l’argent a tué celui des idées, contaminé l’amour. « Avoir lu tout Hegel n’intéresse plus personne », écrit Svetlana Aleksievitch. Parler d’hier, finalement, revient surtout à saisir le présent.
Et puis il y a le témoignage d’Anna Maia, une mère courage magnifiquement interprétée par Dominique Quesnel. La comédienne parvient à transmettre toute l’émotion contenue de son récit, celui d’une femme partie sur le chemin de son orphelinat, aux confins des steppes poussiéreuses et du passé esclavagiste soviétique. La puissance évocatrice du texte magnifiée par la sensibilité de l’actrice, l’expression de la voix, l’intensité du timbre, nous emportent magistralement.
Autre génération, autre énergie. Larissa Corriveau s’approprie, elle aussi, pleinement son texte pour camper une jeune « executive woman » aguicheuse, éprise de liberté et d’un féminisme solitaire. Elle incarne l’ouverture au monde d’une Russie qui s’est brusquement modernisée. Étonnante quand, juchée sur une échelle, elle évoque la déconfiture de ses relations amoureuses et sa quête de bonheur… À mille lieues du personnage livré par Paul Ahmarani, pétri de traumatismes de guerre, mais dont on peine, parfois, à saisir le texte au fond du Théâtre Prospero.
Restera, à la sortie de cette mise en lecture, une photographie sensible de la société russe qui donne très envie de se plonger dans les écrits de Svetlana Aleksievitch.
La Fin de l’homme rouge
Texte : Svetlana Aleksievitch. Mis en scène : Catherine De Léan. Projections : Gaspard Philippe. Paul Ahmarani, Larissa Corriveau, Catherine De Léan, Benoît Mauffette et Dominique Quesnel. Une production du Groupe de la Veillée, dans le cadre de Territoires de paroles, présentée au Théâtre Prospero à l’occasion du Festival international de la littérature (FIL).
Le Salon de Madame Baudelaire : Conversations intimes
Couple non conformiste qui fascina ses contemporain·es, formé d’un dandy poète et d’une femme traitée de « mulâtresse », Charles Baudelaire et Jeanne Duval tiennent salon au Théâtre Outremont, campé·es par Emmanuel Schwartz et Marie-Madeleine Sarr derrière des pupitres…à la manière d’une conférence de presse.
Si le dispositif surprend d’emblée, cette curieuse modernisation concerne aussi le texte, puisqu’il est signé par l’écrivain Serge Lamothe avec des extraits baudelairiens (et autres références littéraires classiques). Très influencée par les débats de notre ère, son adaptation exacerbe la situation difficile de Jeanne (la « muse », la « Vénus noire » de Baudelaire) qui a été stigmatisée par les préjugés de l’époque, tout en y greffant les débats littéraires de la même période, entourant la censure des Fleurs du mal. Rappelons que l’année 2021 marque aussi le 200e anniversaire de la naissance de Charles Baudelaire.
Sous la plume joyeusement anachronique de Serge Lamothe, le grand poète se laisse prénommer « Carlo », coquetterie que Marie-Madeleine Sarr parvient à nous faire accepter avec son air mutin et sa grâce altière. Face à elle, Emmanuel Schwartz incarne un Baudelaire plus débonnaire qu’agressif, un génie laborieux qui cherche moins à en découdre avec la bourgeoisie qu’à remettre sa mèche de cheveux en place toutes les 10 secondes.
Il paraît que, sans cesse, Jeanne et Charles s’aimèrent, se disputèrent et puis se réconcilièrent, ce que la mise en lecture reflète fidèlement en insistant sur la complicité du couple. Dommage, toutefois, d’avoir imposé à l’ami Nadar (Alexis Martin) une présence continue sur scène pour un simple rôle de figuration et quelques répliques sans relief.
Le Salon de Madame Baudelaire
Texte : Serge Lamothe. Mise en lecture : Alexis Martin. Assistance et régie : Dominique Cuerrier. Lumières : Anne-Marie Rodrigue Lecours. Avec Emmanuel Schwartz, Marie-Madeleine Sarr et Alexis Martin. Une production du Festival international de la littérature, présentée au Théâtre Outremont jusqu’au 30 septembre 2021.