Critiques

Warm Up : Instinct de survie

© Maxime Côté

Dans Warm Up, Mykalle Bielinski poursuit son exploration du sacré, amorcée avec Gloria et Mythe. Hantée par les conséquences des changements climatiques sur l’être humain et son environnement, l’artiste multidisciplinaire est partie d’une contrainte pour entreprendre le processus créatif qui l’a menée à son troisième spectacle : produire une œuvre en se passant des ressources naturelles. Pour ce faire, elle s’est entourée d’une toute petite équipe. Après plus de trois ans de travail, elle présente au public sa réflexion sur l’interconnexion entre les âmes et la nature, à La Chapelle Scènes contemporaines.

Sur le plancher (peint en noir, tout comme les murs), est posée une toile de plastique blanc et, dessus, une batterie. Mykalle Bielinski effectue de multiples va-et-vient pour apporter sur scène ce qui lui permettra de produire l’électricité nécessaire à la présentation de la pièce. Elle installe sa bicyclette stationnaire, puis la relie à la batterie avec du filage. L’air à la fois déterminé et serein, elle lit à haute voix la quantité de courant disponible dans la boîte noire : zéro pour cent. L’artiste enfourche sa bécane et commence à pédaler, ce qu’elle fait pendant de longues minutes. Puis, haletante, elle assemble le matériel nécessaire pour sa performance musicale : haut-parleur, ordinateur, carte de son, projecteur. Elle peut enfin saisir le micro et faire entendre sa voix riche au public, le temps de quelques envolées, avant de reprendre l’exercice du début une fois, deux fois… Un rituel hypnotique, qui fait prendre conscience de l’effort considérable requis pour générer l’énergie consommée lors d’un spectacle, aussi simple et dépouillé soit-il. La créatrice, épuisée et fâchée par l’ampleur de la tâche à accomplir, finit par lancer la serviette, jugeant que la responsabilité de protéger la planète n’incombe pas qu’à elle. Avec une gestuelle solennelle, elle démonte son attirail pour le transformer en sculpture, une manière pour elle de redéfinir les concepts d’utilité et de productivité. La deuxième partie de l’œuvre est consacrée à ce cérémonial, enrichi de propos scientifiques et philosophiques.

© Maxime Côté

De nouveaux possibles

Au terme écoanxiété, Mykalle Bielinski préfère l’expression instinct de survie. Plutôt que de se concentrer sur les ravages causés par la pollution, elle met l’accent sur les avenues qui s’offrent à l’être humain pour repenser son mode de vie et son rapport à la nature. Selon l’autrice et interprète, la solution se situe bien au-delà de la création et de l’usage des énergies vertes. Nous devons envisager une décroissance, remettre en question le capitalisme, un système qui mène à l’exploitation de la nature, mais aussi de la population. Un discours optimiste, bien que tout à fait lucide, sur l’état de la planète. Pour donner vie à Warm Up, elle a puisé ses influences un peu partout : penseurs et penseuses (notamment l’écrivain français Pablo Servigne), artistes, voyages, rencontres, événements. Aux idées glanées ici et là, elle a juxtaposé ses propres pensées et questionnements.

Pour Mykalle Bielinski, l’artiste a une responsabilité de réagir à ce qui l’entoure. Son désir, pour ce troisième spectacle, était de servir d’intermédiaire entre les scientifiques et les citoyens et citoyennes. Et elle réussit à le faire, elle qui excelle à faire coexister l’histoire, la tradition, la modernité et l’espoir d’un monde meilleur, comme elle nous l’a prouvé avec ses deux précédentes propositions, Gloria et Mythe. Toute son œuvre s’appuie sur la transmission, sur l’héritage du passé et les leçons qu’on peut en tirer dans notre quête d’identité individuelle et collective. Avec des productions qui allient poésie, chant, performance et usage de la technologie, elle émeut, touche la corde sensible de son public, offre un catalyseur pour inciter à la réflexion, à l’action.

Warm Up est aussi un cri du cœur adressé à plus grand que nous, à une puissance supérieure, quelle qu’elle soit. Face à cette œuvre, l’acte de spectature relève davantage de l’expérience spirituelle. C’est une communion que Mykalle Bielinski souhaite établir avec son public, qui se laisse volontiers bercer par son chant envoûtant, des paroles tirées de textes liturgiques latins et grecs, couchées sur des mélodies électroniques. Il émane de ses créations une réelle bienveillance, et son habileté à faire ressortir la beauté de l’être humain, même dans ses plus sombres paradoxes, est indéniable.

L’univers de l’autrice et interprète est reconnaissable entre tous. Au fil de ses propositions – ses spectacles, mais également le recueil de poésie publié il y a un peu moins d’un an et l’album musical qui devrait paraître bientôt –, Mykalle Bielinski développe une voix unique, qui trouve écho chez un public fidèle, qui la suit, captivé, dans ses expérimentations. Hors du temps, ses œuvres offrent une pause bienvenue, à mille lieues du fourmillement du monde extérieur.

© Maxime Côté

Warm Up

Idéation, texte, conception, interprétation : Mykalle Bielinski. Dramaturgie : Myriam Stéphanie Perraton Lambert. Collaboration à la mise en scène : Édith Patenaude. Yeux extérieurs : Hugo Dalphond et Eve Tagny. Direction technique : Gabriel Duquette.  Une coproduction de La Chapelle Scènes contemporaines en collaboration avec le Théâtre Aux Écuries, La Bellone – Bruxelles, La Serre – Arts vivants et Rurart, présentée à La Chapelle Scènes contemporaines jusqu’au 19 décembre 2021.