Entrevues

Pandémie : Les attaché·es de presse au centre de la tempête

© Michel de Silva

Ils et elles œuvrent dans un entre-deux reliant les artistes de théâtre aux journalistes qui s’intéressent à cette discipline. La plupart du temps dans l’ombre, les attaché·es de presse ont aussi souffert de la fermeture des salles, étant bien placé·es, entre la scène et les médias, pour comprendre les réalités de tout le monde.

Le choc de la fermeture des salles a affecté profondément tout le milieu théâtral, que ce soit du côté de la diffusion, de la production, de la création, mais aussi des communications. « La COVID-19 a été un véritable choc, pour être franche. À Rugicomm, on a été aidées par le fait qu’on avait commencé à diversifier nos activités avant le début de la crise. Nous avons également reçu du soutien gouvernemental pour les salaires », explique la présidente de l’agence, Valérie Grig.

Sa firme de relations publiques emploie une quinzaine de femmes et s’occupe des relations de presse d’autant de compagnies d’arts vivants. Rugicomm œuvre désormais aussi en littérature, en cinéma et en télévision. « Il y a eu du mouvement de personnel et beaucoup de changements partout en théâtre, dit-elle. Je crois que cela a tissé des liens plus forts entre nous. » Elle dirige une équipe tricotée serrée, souligne-t-elle. « Le bureau, c’est comme une maison. On avait l’habitude de se faire des déjeuners-réunions ; là, on le fait en visioconférence. La pandémie a changé les façons de travailler. »

Daniel Meyer avoue d’ailleurs que le confinement peut-être dévalorisant pour un travailleur autonome comme lui. Il misait beaucoup sur la reprise de janvier pour voir enfin naître la production de Bluff du Théâtre Quitte ou double. « C’est la troisième fois que je reprenais ce mandat. Il faut presque recommencer à zéro pour les relations de presse. Et quand je travaille pour de petites compagnies, je fais souvent en plus le placement publicitaire. Là aussi, il faut tout annuler auprès des médias. »

Solidarité

Valérie Grig dit avoir senti beaucoup de solidarité dans le milieu des arts vivants, autant au sein des institutions qu’avec les journalistes. Même son de cloche, d’ailleurs, du côté de Ginette Ferland, qui fait beaucoup de relations de presse au Théâtre La Licorne, et de Julie Morin, à Québec. « Quand les entreprises culturelles ont commencé à travailler en ligne, les médias ont bien répondu, note cette dernière. Tout le monde sentait qu’il fallait supporter le secteur et les artistes, en quelque sorte. Les journalistes ont été généreux et généreuses depuis le début de la crise. »

Ginette Ferland © Courtoisie

Les changements causés par la pandémie ont tout de même représenté un casse-tête important en relations publiques. Les communiqués de presse se sont multipliés pour expliquer la position des directions artistiques selon chaque théâtre, en tenant compte de mesures sanitaires toujours en mouvance : distanciation, jauges, masques, bulles familiales, passeport vaccinal, sécurité des artistes et artisan·es.… « On joue aux fous depuis deux ans, estime Ginette Ferland. Heureusement, autant du côté des diffuseurs que des journalistes, je n’ai pas senti de pression indue de la part de qui que ce soit durant la pandémie. Tout le monde s’est montré solidaire, malgré le fait que plusieurs décisions ont été prises à la dernière minute. »

Depuis quelques années, et devant l’espace de plus en plus restreint accordé aux arts de la scène dans les médias de masse, les attaché·es de presse sentaient un peu de frustration et d’impatience de tout ce beau monde. Toutefois, la pandémie semble avoir mis les artistes et les médias devant le fait que les arts vivants étaient désormais menacés.

Travail en amont

Les attaché·es de presse travaillent en amont des spectacles, parfois jusqu’à un mois avant la première. Dans bien des cas, les entrevues et autres prépapiers avaient été enregistrés ou planifiés en décembre pour la rentrée d’hiver. Il a donc fallu tout recommencer en janvier en raison du nouveau confinement. « Durant la pandémie, on découvre les gens, confie Ginette Ferland. J’ai pu voir en Philippe Lambert [le directeur de La Licorne] quelqu’un de très résilient et optimiste. On était sur un fil dans les dernières semaines en gardant toutes les équipes sur un pied d’alerte. Quand on reporte une pièce, par exemple, on ne peut pas faire de photos de productions parce qu’on ignore qui sera de la distribution si la pièce prend l’affiche finalement. »

Daniel Meyer © Courtoisie

Le bouleversement des horaires occasionne des anachronismes dans les médias, notamment dans les magazines, qui sont préparés des mois à l’avance. « Dans le magazine Châtelaine de janvier-février, souligne Ginette Ferland, on parle de la production de Deux femmes en or (reportée en 2023) avec une photo sur une moitié de page. On était dans tous les magazines. Quand la pièce reprendra, ces publications ne pourront pas refaire les mêmes reportages. »

Le momentum entourant la sortie des spectacles a été brisé à plusieurs reprises depuis le début de la pandémie. Les défis étaient importants, et les attaché·es de presse se sont retrouvé·es au centre de la tempête : fragilisation des compagnies, manque de ressources humaines, taux d’anxiété élevé, déceptions, perte de repères… « Sur le plan humain, c’est difficile parce qu’on n’avait plus de contact avec personne, note Daniel Meyer. Normalement, on a des réunions, on assiste à des répétitions, on rencontre des gens en conférence de presse… et tout cela disparaît. Je n’ai vu personne du milieu durant le dernier confinement. Et lors du premier confinement, on ignorait combien de temps cela allait durer. »

Tâches connexes

Comme la place des arts et de la culture diminue constamment dans les grands médias, la tâche des attaché·es de presse s’est diversifiée avec le temps. Ginette Ferland travaille également comme agente de diffusion, secteur également bouleversé par la crise, et agit bien souvent comme « recherchiste » afin de proposer des angles de reportages inédits aux journalistes débordé·es.

Qui plus est, la fermeture des salles a mis bien souvent les nerfs à vif depuis deux ans, tant au sein des directions artistiques que parmi les membres des médias. « Il se présente toujours quelques cas difficiles ou délicats, mais j’étais psychoéducatrice dans une autre vie, ça me sert encore. Parfois, je défends des journalistes devant un diffuseur, parfois, c’est le contraire. Dans mon travail, je vois les un·es et les autres comme des allié·es. Nous sommes tous et toutes dans le même écosystème. »

De son côté, Julie Morin traite avec des clients comme le Grand Théâtre de Québec, le théâtre La Bordée et le Carrefour international de théâtre. Elle est également travailleuse autonome spécialisée dans l’événementiel. « J’ai vu mon calendrier d’événements disparaître du jour au lendemain, au même titre que les contrats et les rentrées d’argent. J’ai vécu une certaine panique, au départ, mais quand les choses ont recommencé, c’est reparti en grand puisqu’il y a eu beaucoup d’événements virtuels. »

« Cependant, poursuit-elle, j’aime être sur la route, en tournée avec les artistes, ce qui n’est plus le cas ou presque. Personnellement, je planifie les entrevues pour être sur place et présenter le ou la journaliste aux artistes et vice-versa. Ça m’a beaucoup manqué. Tout comme le fait d’avoir des premières où on rencontre la presse et où on peut mieux se connaître. Je fais des relations de presse parce que j’aime les gens. »