Après deux premières expériences de documentaires scéniques, Vrais Mondes présentant une suite de portraits d’humain·es hors norme, puis Pôle Sud, qui mettait en lumière une poignée de citoyen·nes de l’éclectique quartier montréalais Centre-Sud, Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier nous offrent en ce moment Pas perdus, à la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Ici encore, aucun acteur ni actrice sur scène, que des gens aux parcours fort différents, mais qui ont en commun une passion qu’on ne divulguera pas dans ces lignes, laissant au public le plaisir de le découvrir par lui-même. Soulignons néanmoins que le devoir de mémoire et la transmission sont au cœur de cette nouvelle création.
L’approche du prolifique duo se démarque du théâtre documentaire plus didactique que propose des productions telles J’aime Hydro de Christine Beaulieu ou Tout inclus de François Grisé. Le travail anthropologique fait en amont, des enregistrements réalisés sur le terrain avec des individus vivant aux quatre coins du Québec, est la matière première de ce spectacle. En véritable ethnologue, Anaïs Barbeau-Lavalette, armée d’un simple micro, a récolté les mots de huit personnes, cinq hommes et trois femmes. Des entrevues captées, entre autres, en Abitibi, en Gaspésie et à Montréal-Nord. Grâce à la sensibilité de l’intervieweuse et à ses questions ouvertes, ils et elles ont livré sans retenue des pans de leur passé et de leur présent. Puis, sur scène, enveloppé·es par les délicats éclairages de Mathieu Roy, tous et toutes accomplissent, comme un rituel sacré, les gestes de leur quotidien, alors qu’on entend leurs voix amplifiées et magnifiées par le travail méticuleux d’Émile Proulx-Cloutier.
Parole poétique
Il y a Réal qui, tout en terminant la confection d’une raquette prête à affronter la neige folle des forêts gaspésiennes, relate les moments difficiles qu’il traverse auprès de sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer. Et aussi Sylvain, cet Attikamek, qui, jadis victime des sévices d’un curé omnipotent, répare aujourd’hui tout ce qui cloche dans l’église de la paroisse où il vit. Il raconte tout cela de sa voix rauque et avec un brin d’humour, tandis qu’il met la dernière main à un porte-bébé traditionnel. Un des témoignages les plus poignants est assurément celui d’Elisabeth, orthophoniste, qui évite à l’un de ses jeunes patient·es, ayant perdu l’usage de la parole à la suite d’un accident, de finir ses jours dans un CHSLD. Son travail acharné aura gain de cause.
Tout est exprimé avec beaucoup de spontanéité. Les petits silences en disent long. Le registre des langages, la tessiture des voix, les accents ajoutent à la poésie de l’ensemble. La subtile présence de Barbeau-Lavalette aux côtés des protagonistes est sûrement rassurante pour ces néophytes de la scène. Elle sait discrètement les accompagner, mais elle établit aussi une habile connivence avec le public tant son écoute semble naturelle.
La scénographie de Julie Vallée-Léger est simple et efficace : une table, quelques chaises, mais surtout un vaste plancher en bois franc rappelant la structure fondamentale de nos maisons ancestrales. Et cet immense mur à l’arrière-scène, où se découpent portes et fenêtres servant aux différents témoignages et sur lequel sont projetées des images en noir et blanc, traces de notre passé, comme ces fabuleux extraits du lumineux film de Pierre Perreault : Pour la suite du monde. Parfois, y apparaissent aussi des animations aux traits furtifs et naïfs ajoutant un vivifiant soupçon d’instantanéité. Il se dégage de cette production une volonté irrésistible de créer des liens solides entre le Québec contemporain et ses riches traditions, qui ont malheureusement tendance à s’évanouir dans une indifférence généralisée. En ce moment, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, on se fait un devoir de retracer les pas perdus. C’est à voir et à entendre.
Recherche et entrevues : Anaïs Barbeau-Lavalette. Conception narrative, mise en scène et montage sonore : Émile Proulx-Cloutier. Assistance à la mise en scène et régie : Charlotte Ménard. Scénographie : Julie Vallée-Léger. Éclairages : Mathieu Roy. Musique originale : Guido Del Fabbro. Conception sonore : Ilyaa Ghafouri. Images et animation 2D : Marielle Dalpé. Avec Dominic, Elisabeth, Eva, Jérôme, Quentin, Réal, Sylvain et Yaëlle, accompagné·e·s d’Anaïs Barbeau-Lavalette. Une coproduction du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui d’Anaïs Barbeau-Lavalette et d’Émile Proulx-Cloutier, présentée à la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 2 avril 2022.
Après deux premières expériences de documentaires scéniques, Vrais Mondes présentant une suite de portraits d’humain·es hors norme, puis Pôle Sud, qui mettait en lumière une poignée de citoyen·nes de l’éclectique quartier montréalais Centre-Sud, Anaïs Barbeau-Lavalette et Émile Proulx-Cloutier nous offrent en ce moment Pas perdus, à la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui. Ici encore, aucun acteur ni actrice sur scène, que des gens aux parcours fort différents, mais qui ont en commun une passion qu’on ne divulguera pas dans ces lignes, laissant au public le plaisir de le découvrir par lui-même. Soulignons néanmoins que le devoir de mémoire et la transmission sont au cœur de cette nouvelle création.
L’approche du prolifique duo se démarque du théâtre documentaire plus didactique que propose des productions telles J’aime Hydro de Christine Beaulieu ou Tout inclus de François Grisé. Le travail anthropologique fait en amont, des enregistrements réalisés sur le terrain avec des individus vivant aux quatre coins du Québec, est la matière première de ce spectacle. En véritable ethnologue, Anaïs Barbeau-Lavalette, armée d’un simple micro, a récolté les mots de huit personnes, cinq hommes et trois femmes. Des entrevues captées, entre autres, en Abitibi, en Gaspésie et à Montréal-Nord. Grâce à la sensibilité de l’intervieweuse et à ses questions ouvertes, ils et elles ont livré sans retenue des pans de leur passé et de leur présent. Puis, sur scène, enveloppé·es par les délicats éclairages de Mathieu Roy, tous et toutes accomplissent, comme un rituel sacré, les gestes de leur quotidien, alors qu’on entend leurs voix amplifiées et magnifiées par le travail méticuleux d’Émile Proulx-Cloutier.
Parole poétique
Il y a Réal qui, tout en terminant la confection d’une raquette prête à affronter la neige folle des forêts gaspésiennes, relate les moments difficiles qu’il traverse auprès de sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer. Et aussi Sylvain, cet Attikamek, qui, jadis victime des sévices d’un curé omnipotent, répare aujourd’hui tout ce qui cloche dans l’église de la paroisse où il vit. Il raconte tout cela de sa voix rauque et avec un brin d’humour, tandis qu’il met la dernière main à un porte-bébé traditionnel. Un des témoignages les plus poignants est assurément celui d’Elisabeth, orthophoniste, qui évite à l’un de ses jeunes patient·es, ayant perdu l’usage de la parole à la suite d’un accident, de finir ses jours dans un CHSLD. Son travail acharné aura gain de cause.
Tout est exprimé avec beaucoup de spontanéité. Les petits silences en disent long. Le registre des langages, la tessiture des voix, les accents ajoutent à la poésie de l’ensemble. La subtile présence de Barbeau-Lavalette aux côtés des protagonistes est sûrement rassurante pour ces néophytes de la scène. Elle sait discrètement les accompagner, mais elle établit aussi une habile connivence avec le public tant son écoute semble naturelle.
La scénographie de Julie Vallée-Léger est simple et efficace : une table, quelques chaises, mais surtout un vaste plancher en bois franc rappelant la structure fondamentale de nos maisons ancestrales. Et cet immense mur à l’arrière-scène, où se découpent portes et fenêtres servant aux différents témoignages et sur lequel sont projetées des images en noir et blanc, traces de notre passé, comme ces fabuleux extraits du lumineux film de Pierre Perreault : Pour la suite du monde. Parfois, y apparaissent aussi des animations aux traits furtifs et naïfs ajoutant un vivifiant soupçon d’instantanéité. Il se dégage de cette production une volonté irrésistible de créer des liens solides entre le Québec contemporain et ses riches traditions, qui ont malheureusement tendance à s’évanouir dans une indifférence généralisée. En ce moment, au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, on se fait un devoir de retracer les pas perdus. C’est à voir et à entendre.
Pas perdus / documentaires scéniques
Recherche et entrevues : Anaïs Barbeau-Lavalette. Conception narrative, mise en scène et montage sonore : Émile Proulx-Cloutier. Assistance à la mise en scène et régie : Charlotte Ménard. Scénographie : Julie Vallée-Léger. Éclairages : Mathieu Roy. Musique originale : Guido Del Fabbro. Conception sonore : Ilyaa Ghafouri. Images et animation 2D : Marielle Dalpé. Avec Dominic, Elisabeth, Eva, Jérôme, Quentin, Réal, Sylvain et Yaëlle, accompagné·e·s d’Anaïs Barbeau-Lavalette. Une coproduction du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui d’Anaïs Barbeau-Lavalette et d’Émile Proulx-Cloutier, présentée à la salle Michelle-Rossignol du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 2 avril 2022.