Cette œuvre d’Henrik Ibsen, écrite en 1882 et portée à la scène en 1883 à Oslo, nous est proposée ces jours-ci au Théâtre du Nouveau Monde. Cent quarante ans plus tard, force est d’admettre que le texte du subversif auteur norvégien n’a rien perdu de son mordant. Que des intérêts économiques priment sur le bien collectif est de toute évidence un sujet d’actualité omniprésent dans nos sociétés modernes. Qui plus est, quand la pollution est l’élément déclencheur de l’intrigue et que la désinformation devient l’outil de prédilection pour tenter d’en nier l’existence, on a la nette impression que le dramaturge est quasiment l’un de nos contemporain·es. Pas étonnant, donc, que les créatrices du spectacle aient si aisément transposé l’action de nos jours, en prenant même l’heureuse initiative de donner le rôle-titre du docteur Stockmann à une femme.
Ainsi, l’histoire se déroule dans une petite ville côtière de Norvège, réputée pour ses eaux thermales bienfaisantes, mais également fort lucratives, puisqu’elles attirent une foule de touristes. La prospérité y règne tout autant que sa classe dominante, bon chic bon genre et bien-pensante. Au cœur de celle-ci se trouvent la dynamique docteure Katrine Stockmann, responsable des bains thermaux, Thomas, son époux aimant, Petra et Eilif, ses adorables enfants, ses sympathiques ami·es dont Hovstad, le rédacteur en chef du journal Le Messager du peuple, mais aussi son frère, Peter Stockmann, le rigide et omnipotent maire de la municipalité. Tout baigne jusqu’au jour où Katrine découvre qu’une bactérie émanant d’une tannerie industrielle, propriété de son beau-père, empoisonne les eaux et compromet sérieusement la santé des curistes. En passant par la presse, elle veut alerter la population et fermer temporairement les installations, le temps de remédier à la situation. Mais Peter s’y oppose fortement; une telle déclaration mettrait en péril la renommée et la fortune de la cité. D’abord alléché par la publication d’un tel scoop, le journal local recule devant les menaces des autorités municipales. Peu à peu, les appuis aux revendications de Katrine s’étiolent, l’isolant jusqu’à en faire l’ennemie du peuple.
Qui dit vrai ?
On aura bien compris, au terme de cette fable, que la cupidité l’emporte sur la vérité, que les périls écologiques se muent en faux problèmes lorsqu’il s’agit de s’investir pour les combattre. Et surtout que l’art de détourner l’opinion publique pour protéger les intérêts d’une minorité est le moteur de la pièce d’Ibsen. Une quête vers la transparence s’impose. Le texte révèle tout cela de façon très éloquente. Pourquoi alors le surligner outrancièrement par une mise en scène aussi peu subtile ? C’est la question qu’on se pose devant ces coulisses ouvertes à la vue du public où les comédien·nes attendent leur entrée en scène entre les allées et venues des accessoiristes et technicien·nes. Est-ce par crainte que spectateurs et spectatrices n’aient pas encore tout à fait compris qu’on nous impose de fréquents et bruyants changements de décor tandis que les acteurs, les actrices et l’équipe du plateau s’activent frénétiquement, en s’impatientant et en s’invectivant faussement ?
Dommage, car tout ce fatras, appuyé par une musique aussi irritante qu’envahissante, éclipse une œuvre qui méritait mieux et porte ombrage à une distribution qui, dans l’ensemble (et particulièrement la convaincante Ève Landry et le suave Steve Gagnon), déploie beaucoup d’énergie à défendre une partition si riche. À la sortie de la représentation, on reste dubitatif, dubitative face à tant de vains efforts. En cette période trouble où, d’un côté, on dénonce violemment les résultats d’une élection légitime et où, de l’autre, on bafoue brutalement une démocratie reconnue, le propos d’Ibsen a de quoi résonner, mais le traitement qu’on lui réserve n’aura certainement pas l’écho souhaité.
Texte : Henrik Ibsen. Adaptation : Sarah Berthiaume. Mise en scène : Edith Patenaude. Assistance à la mise en scène : Caroline Boucher-Boudreau. Décor : Odile Gamache. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : Jean-François Labbé. Musique : Josué Beaucage. Maquillages : Florence Cornet. Accessoires : Suzel D. Smith. Avec Emmanuel Bédard, Delphine Bertrand, Steve Gagnon, Eve Landry, Éric Leblanc, Joanie Lehoux, Roméo Lucas, Marianne Marceau, Kevin McCoy, Noémie O’Farrell, Jean-Sébastien Ouellette, Dominique Pétin, Viktor Proulx, Anthony Tingaud. Une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre du Trident, présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 9 avril 2022.
Cette œuvre d’Henrik Ibsen, écrite en 1882 et portée à la scène en 1883 à Oslo, nous est proposée ces jours-ci au Théâtre du Nouveau Monde. Cent quarante ans plus tard, force est d’admettre que le texte du subversif auteur norvégien n’a rien perdu de son mordant. Que des intérêts économiques priment sur le bien collectif est de toute évidence un sujet d’actualité omniprésent dans nos sociétés modernes. Qui plus est, quand la pollution est l’élément déclencheur de l’intrigue et que la désinformation devient l’outil de prédilection pour tenter d’en nier l’existence, on a la nette impression que le dramaturge est quasiment l’un de nos contemporain·es. Pas étonnant, donc, que les créatrices du spectacle aient si aisément transposé l’action de nos jours, en prenant même l’heureuse initiative de donner le rôle-titre du docteur Stockmann à une femme.
Ainsi, l’histoire se déroule dans une petite ville côtière de Norvège, réputée pour ses eaux thermales bienfaisantes, mais également fort lucratives, puisqu’elles attirent une foule de touristes. La prospérité y règne tout autant que sa classe dominante, bon chic bon genre et bien-pensante. Au cœur de celle-ci se trouvent la dynamique docteure Katrine Stockmann, responsable des bains thermaux, Thomas, son époux aimant, Petra et Eilif, ses adorables enfants, ses sympathiques ami·es dont Hovstad, le rédacteur en chef du journal Le Messager du peuple, mais aussi son frère, Peter Stockmann, le rigide et omnipotent maire de la municipalité. Tout baigne jusqu’au jour où Katrine découvre qu’une bactérie émanant d’une tannerie industrielle, propriété de son beau-père, empoisonne les eaux et compromet sérieusement la santé des curistes. En passant par la presse, elle veut alerter la population et fermer temporairement les installations, le temps de remédier à la situation. Mais Peter s’y oppose fortement; une telle déclaration mettrait en péril la renommée et la fortune de la cité. D’abord alléché par la publication d’un tel scoop, le journal local recule devant les menaces des autorités municipales. Peu à peu, les appuis aux revendications de Katrine s’étiolent, l’isolant jusqu’à en faire l’ennemie du peuple.
Qui dit vrai ?
On aura bien compris, au terme de cette fable, que la cupidité l’emporte sur la vérité, que les périls écologiques se muent en faux problèmes lorsqu’il s’agit de s’investir pour les combattre. Et surtout que l’art de détourner l’opinion publique pour protéger les intérêts d’une minorité est le moteur de la pièce d’Ibsen. Une quête vers la transparence s’impose. Le texte révèle tout cela de façon très éloquente. Pourquoi alors le surligner outrancièrement par une mise en scène aussi peu subtile ? C’est la question qu’on se pose devant ces coulisses ouvertes à la vue du public où les comédien·nes attendent leur entrée en scène entre les allées et venues des accessoiristes et technicien·nes. Est-ce par crainte que spectateurs et spectatrices n’aient pas encore tout à fait compris qu’on nous impose de fréquents et bruyants changements de décor tandis que les acteurs, les actrices et l’équipe du plateau s’activent frénétiquement, en s’impatientant et en s’invectivant faussement ?
Dommage, car tout ce fatras, appuyé par une musique aussi irritante qu’envahissante, éclipse une œuvre qui méritait mieux et porte ombrage à une distribution qui, dans l’ensemble (et particulièrement la convaincante Ève Landry et le suave Steve Gagnon), déploie beaucoup d’énergie à défendre une partition si riche. À la sortie de la représentation, on reste dubitatif, dubitative face à tant de vains efforts. En cette période trouble où, d’un côté, on dénonce violemment les résultats d’une élection légitime et où, de l’autre, on bafoue brutalement une démocratie reconnue, le propos d’Ibsen a de quoi résonner, mais le traitement qu’on lui réserve n’aura certainement pas l’écho souhaité.
Un ennemi du peuple
Texte : Henrik Ibsen. Adaptation : Sarah Berthiaume. Mise en scène : Edith Patenaude. Assistance à la mise en scène : Caroline Boucher-Boudreau. Décor : Odile Gamache. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : Jean-François Labbé. Musique : Josué Beaucage. Maquillages : Florence Cornet. Accessoires : Suzel D. Smith. Avec Emmanuel Bédard, Delphine Bertrand, Steve Gagnon, Eve Landry, Éric Leblanc, Joanie Lehoux, Roméo Lucas, Marianne Marceau, Kevin McCoy, Noémie O’Farrell, Jean-Sébastien Ouellette, Dominique Pétin, Viktor Proulx, Anthony Tingaud. Une coproduction du Théâtre du Nouveau Monde et du Théâtre du Trident, présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 9 avril 2022.