Le rideau s’ouvre sur la magnifique cuisine de style scandinave épuré et blanc d’une riche demeure d’une autre époque. La table est mise pour une adaptation plutôt conservatrice du chef-d’œuvre de l’auteur suédois August Strindberg par le metteur en scène Serge Denoncourt. Au cœur de cette tragédie moderne, il y a un jeu de séduction entre une aristocrate (Mademoiselle Julie) et son valet (Jean), où se mêlent la lutte des classes et celle des sexes. On alterne les positions de dominant·e ou de dominé·e, selon que l’on se prévale de son statut de maîtresse dans le cas de Mademoiselle, ou d’homme, tout simplement, dans le cas de Jean.
L’action se déroule durant la nuit de la Saint-Jean, alors que les esprits s’échauffent et que les langues se délient, aidé·es par l’alcool et l’atmosphère survoltée de la fête. « Mademoiselle Julie est folle… complètement folle », affirmera Jean à Kristin, la cuisinière et sa fiancée. Il ne tardera pas à exprimer son attirance (et son mépris) pour la dame de la maison. Jean est plus qu’un valet : il est distingué, il a une grande culture et des ambitions au-dessus de sa classe. Il se montre archiconventionnel, voire coincé, alors que sa maîtresse n’hésite pas à transgresser les règles. Mais c’est un bon danseur et il est élégant, ce qui séduit Mademoiselle. Il n’y a pas d’amour dans cette guerre que se livreront les deux protagonistes de ce drame. Chacun·e cherche à se dominer, mais méprise profondément tout ce que représente l’autre. Il et elle iront jusqu’aux limites de ce qui est permis et au-delà, ce qui les mènera à leur perte.
Une leçon de jeu
Mademoiselle Julie, comme une grande partie du répertoire nordique, dont Ibsen, Strindberg et Tchekhov sont de dignes représentants, constitue une œuvre incontournable dans les écoles de théâtre lorsqu’il s’agit de se frotter à l’interprétation de figures complexes. Dans son travail d’adaptation, Denoncourt s’est prêté à un minutieux travail de nettoyage pour se consacrer à l’essence du texte, rendue de manière magistrale par les deux principaux interprètes, David Boutin et Magalie Lépine-Blondeau. Ainsi se révèlent, à travers leur jeu, toutes les contradictions des personnages, leurs forces et leurs faiblesses, la lutte intérieure qu’ils se livrent, entre une pulsion sexuelle omniprésente et les codes sociaux. Voici de beaux modèles à suivre; nous sommes loin du non-jeu très présent sur nos scènes, qui dénote souvent un manque d’imagination et de créativité, pour adopter une attitude plus cool. Avec Électre et cette pièce, Lépine-Blondeau et Denoncourt ont amorcé une exploration des grands rôles féminins de la dramaturgie; on ne peut que les encourager à continuer. Pourquoi pas Phèdre, Antigone ou alors Lulu de Frank Wedekind, trop peu montée ?
Tout est mené de main de maître dans cette production. La direction d’acteurs et d’actrices est intelligente et précise. Les décors immaculés de Guillaume Lord donnent de la grandeur au drame; avec la hauteur de cette arche en ogive, la cuisine s’apparente à un lieu de culte. Dans le même esprit, Laurier Rajotte puise dans des airs d’opéra et dans ses propres compositions pour accompagner subtilement certaines scènes. Les costumes somptueux dessinés par Ginette Noiseux expriment très clairement l’époque, l’appartenance sociale et la fonction des personnages. Ceci dit, nous aurions espéré une plus grande actualisation du drame, quitte à couper certains éléments du texte qui n’ont plus aucune signification dans le monde contemporain, où la lutte des classes n’a plus la même emprise sur les individus, le capitalisme étant un système où il est tout de même possible de gravir les échelons pour échapper à son rang.
Texte : August Strindberg. Adaptation et mise en scène : Serge Denoncourt. Assistance à la mise en scène : Suzanne Crocker. Décors : Guillaume Lord. Costumes : Ginette Noiseux. Accessoires : Julie Measroch. Musique : Laurier Rajotte. Éclairages : Julie Basse. Coiffures et maquillages : Amélie Bruneau-Longpré. Avec Magalie Lépine-Blondeau, David Boutin et Kim Despatis. Une production du Théâtre du Rideau Vert, présenté au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 26 avril 2022.
Le rideau s’ouvre sur la magnifique cuisine de style scandinave épuré et blanc d’une riche demeure d’une autre époque. La table est mise pour une adaptation plutôt conservatrice du chef-d’œuvre de l’auteur suédois August Strindberg par le metteur en scène Serge Denoncourt. Au cœur de cette tragédie moderne, il y a un jeu de séduction entre une aristocrate (Mademoiselle Julie) et son valet (Jean), où se mêlent la lutte des classes et celle des sexes. On alterne les positions de dominant·e ou de dominé·e, selon que l’on se prévale de son statut de maîtresse dans le cas de Mademoiselle, ou d’homme, tout simplement, dans le cas de Jean.
L’action se déroule durant la nuit de la Saint-Jean, alors que les esprits s’échauffent et que les langues se délient, aidé·es par l’alcool et l’atmosphère survoltée de la fête. « Mademoiselle Julie est folle… complètement folle », affirmera Jean à Kristin, la cuisinière et sa fiancée. Il ne tardera pas à exprimer son attirance (et son mépris) pour la dame de la maison. Jean est plus qu’un valet : il est distingué, il a une grande culture et des ambitions au-dessus de sa classe. Il se montre archiconventionnel, voire coincé, alors que sa maîtresse n’hésite pas à transgresser les règles. Mais c’est un bon danseur et il est élégant, ce qui séduit Mademoiselle. Il n’y a pas d’amour dans cette guerre que se livreront les deux protagonistes de ce drame. Chacun·e cherche à se dominer, mais méprise profondément tout ce que représente l’autre. Il et elle iront jusqu’aux limites de ce qui est permis et au-delà, ce qui les mènera à leur perte.
Une leçon de jeu
Mademoiselle Julie, comme une grande partie du répertoire nordique, dont Ibsen, Strindberg et Tchekhov sont de dignes représentants, constitue une œuvre incontournable dans les écoles de théâtre lorsqu’il s’agit de se frotter à l’interprétation de figures complexes. Dans son travail d’adaptation, Denoncourt s’est prêté à un minutieux travail de nettoyage pour se consacrer à l’essence du texte, rendue de manière magistrale par les deux principaux interprètes, David Boutin et Magalie Lépine-Blondeau. Ainsi se révèlent, à travers leur jeu, toutes les contradictions des personnages, leurs forces et leurs faiblesses, la lutte intérieure qu’ils se livrent, entre une pulsion sexuelle omniprésente et les codes sociaux. Voici de beaux modèles à suivre; nous sommes loin du non-jeu très présent sur nos scènes, qui dénote souvent un manque d’imagination et de créativité, pour adopter une attitude plus cool. Avec Électre et cette pièce, Lépine-Blondeau et Denoncourt ont amorcé une exploration des grands rôles féminins de la dramaturgie; on ne peut que les encourager à continuer. Pourquoi pas Phèdre, Antigone ou alors Lulu de Frank Wedekind, trop peu montée ?
Tout est mené de main de maître dans cette production. La direction d’acteurs et d’actrices est intelligente et précise. Les décors immaculés de Guillaume Lord donnent de la grandeur au drame; avec la hauteur de cette arche en ogive, la cuisine s’apparente à un lieu de culte. Dans le même esprit, Laurier Rajotte puise dans des airs d’opéra et dans ses propres compositions pour accompagner subtilement certaines scènes. Les costumes somptueux dessinés par Ginette Noiseux expriment très clairement l’époque, l’appartenance sociale et la fonction des personnages. Ceci dit, nous aurions espéré une plus grande actualisation du drame, quitte à couper certains éléments du texte qui n’ont plus aucune signification dans le monde contemporain, où la lutte des classes n’a plus la même emprise sur les individus, le capitalisme étant un système où il est tout de même possible de gravir les échelons pour échapper à son rang.
Mademoiselle Julie
Texte : August Strindberg. Adaptation et mise en scène : Serge Denoncourt. Assistance à la mise en scène : Suzanne Crocker. Décors : Guillaume Lord. Costumes : Ginette Noiseux. Accessoires : Julie Measroch. Musique : Laurier Rajotte. Éclairages : Julie Basse. Coiffures et maquillages : Amélie Bruneau-Longpré. Avec Magalie Lépine-Blondeau, David Boutin et Kim Despatis. Une production du Théâtre du Rideau Vert, présenté au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 26 avril 2022.