L’amitié est un thème si riche, un terrain si fertile, mais si étonnamment peu exploré dans ses zones d’ombre, ses contradictions et ses possibles, une relation où, à son meilleur, « il n’y a ni cruauté ni déloyauté. » Dans Toutes choses, Fanny Britt et sa complice Alexia Bürger prennent le sujet à bras le corps, offrant à Kathleen Fortin et Sophie Cadieux la tâche de recréer sur scène leur propre chemin amical s’étendant sur quatre décennies.
Le résultat est conforme à l’imaginaire de ces deux artistes douées pour amalgamer leurs univers fictionnels avec le récit de leur existence : une odyssée fabuleuse, tendre et délicatement intelligente de deux femmes qui s’accompagnent au fil des époques avec une lucidité sensible. Des âmes à fleur de peau qui parfois chavirent, mais parviennent néanmoins à aimer le monde et à y prendre place avec bagout, en riant beaucoup, fortes de leur croyance précoce en la beauté et en l’authenticité de l’art, allié de la vie.
D’un côté, il y a Kathleen Fortin, dans la peau de la rousse, plus posée, la descendante d’Irlandais à l’âme évocatrice et anxieuse, qui fait contraste avec la nerveuse brunette, incarnée par Sophie Cadieux, celle qui voit le monde à travers une lorgnette scientifique et avec un humour caustique qui déchire. Mais elles ne sont pas qu’oppositions, ces deux Montréalaises dont les années formatrices ont été marquées par les sorties au Cinéma 2020, les virées de magasinage à la friperie Rétroviseur sur la rue Rachel et, beaucoup, par les répliques de Stand by Me. D’ailleurs, ce film mythique de Rob Reiner sur l’amitié traverse cette pièce qui se construit de mises en abyme en palimpsestes.
Voir le monde de tous bords, tous côtés
La présence électrisante des deux actrices, qui épousent sans retenue la proposition artistique, complémente à merveille l’écriture agile et si singulièrement dentelée de Fanny Britt. Tout cela est porté par la mise en scène d’Alexa Bürger qui, un peu à la manière des deux protagonistes qui finissent les phrases l’une de l’autre, est un reflet visuel en kaléidoscope de la pensée de sa complice.
Certes, elles aiment toutes deux retourner à la genèse des choses, ces deux artistes qui ne se privent d’aucun prisme pour tenter de comprendre d’où elles viennent, comment la carte routière de leur parcours commun a pris forme et comment tout cela a prédestiné leur vie et leur indéfectible amitié.
L’évocation de temps marquants se greffe d’ailleurs au récit, comme pour donner aux spectateurs et spectatrices quelques clés, non seulement pour décoder la psyché de ces deux femmes, mais aussi celle de la génération X. Cette même cohorte dont le slogan était « No Future », qui a eu besoin de se vêtir d’une épaisse cape d’ironie pour survivre à l’anomie, à la menace climatique, à la précarité économique épisodique et à un accès difficile au concept fuyant qu’est le statut d’adultes.
En faisant référence au mystère irrésolu du décès tragique de River Phoenix – le Chris de Stand by Me –, et à la lettre que la mère de ce dernier avait, dans ce sillon, publiée dans les pages du Los Angeles Times (ce message aussi prophétique qu’étrange, qui blâmait le désastre écologique pour la disparition de son fils de 23 ans), Fanny Britt ressuscite des limbes de la petite histoire hollywoodienne. Tout cela, pour rebondir dans le présent, au cœur des préoccupations actuelles de deux femmes, mères, artistes, qui continuent à vivre et restent soudées, même si leurs personnalités et leurs visions des choses différentes les amènent parfois à s’inquiéter l’une pour l’autre et causent certains schismes qu’elles s’affairent patiemment à investiguer, comprendre et réparer. On les retrouve ainsi, mères anxieuses, tiraillées entre leur immense élan vers la création et le jeu, mais désemparées par le monde dans lequel grandissent leurs enfants. Une scène particulièrement touchante, où le personnage de Kathleen Fortin discute avec une psychologue à propos de ses peurs concernant son fils qui n’a pas de meilleur ami, fait d’ailleurs figure de pivot pour la suite de l’histoire qui, inévitablement, se dirige vers la fin, la mort qui un jour viendra, que l’une anticipe dans longtemps et l’autre, moins.
Et voilà que l’on comprend qu’il n’y a pas de monde d’adultes. Juste des êtres qui se tiennent, solidaires, et traversent la vie en essayant d’y ajouter un peu de grâce.
Texte : Fanny Britt. Mise scène : Alexia Bürger. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Capistran-Lalonde. Décor : Odile Gamache. Lumière et vidéo : Mathieu Roy. Costumes : Julie Charland. Musique : Vincent Legault. Maquillages et coiffures : Justine Denoncourt-Bélanger. Conseils au mouvement : Wynn Holmes. Assistance aux costumes : Yso. Direction de production : Martin Émond et Samuel Patenaude. Direction technique : Audrey Belzile et Rebecca Brouillard. Assistance technique : David Étienne Savoie. Avec Sophie Cadieux et Kathleen Fortin. Une production du Théâre de Quat’Sous, présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 14 mai 2022.
L’amitié est un thème si riche, un terrain si fertile, mais si étonnamment peu exploré dans ses zones d’ombre, ses contradictions et ses possibles, une relation où, à son meilleur, « il n’y a ni cruauté ni déloyauté. » Dans Toutes choses, Fanny Britt et sa complice Alexia Bürger prennent le sujet à bras le corps, offrant à Kathleen Fortin et Sophie Cadieux la tâche de recréer sur scène leur propre chemin amical s’étendant sur quatre décennies.
Le résultat est conforme à l’imaginaire de ces deux artistes douées pour amalgamer leurs univers fictionnels avec le récit de leur existence : une odyssée fabuleuse, tendre et délicatement intelligente de deux femmes qui s’accompagnent au fil des époques avec une lucidité sensible. Des âmes à fleur de peau qui parfois chavirent, mais parviennent néanmoins à aimer le monde et à y prendre place avec bagout, en riant beaucoup, fortes de leur croyance précoce en la beauté et en l’authenticité de l’art, allié de la vie.
D’un côté, il y a Kathleen Fortin, dans la peau de la rousse, plus posée, la descendante d’Irlandais à l’âme évocatrice et anxieuse, qui fait contraste avec la nerveuse brunette, incarnée par Sophie Cadieux, celle qui voit le monde à travers une lorgnette scientifique et avec un humour caustique qui déchire. Mais elles ne sont pas qu’oppositions, ces deux Montréalaises dont les années formatrices ont été marquées par les sorties au Cinéma 2020, les virées de magasinage à la friperie Rétroviseur sur la rue Rachel et, beaucoup, par les répliques de Stand by Me. D’ailleurs, ce film mythique de Rob Reiner sur l’amitié traverse cette pièce qui se construit de mises en abyme en palimpsestes.
Voir le monde de tous bords, tous côtés
La présence électrisante des deux actrices, qui épousent sans retenue la proposition artistique, complémente à merveille l’écriture agile et si singulièrement dentelée de Fanny Britt. Tout cela est porté par la mise en scène d’Alexa Bürger qui, un peu à la manière des deux protagonistes qui finissent les phrases l’une de l’autre, est un reflet visuel en kaléidoscope de la pensée de sa complice.
Certes, elles aiment toutes deux retourner à la genèse des choses, ces deux artistes qui ne se privent d’aucun prisme pour tenter de comprendre d’où elles viennent, comment la carte routière de leur parcours commun a pris forme et comment tout cela a prédestiné leur vie et leur indéfectible amitié.
L’évocation de temps marquants se greffe d’ailleurs au récit, comme pour donner aux spectateurs et spectatrices quelques clés, non seulement pour décoder la psyché de ces deux femmes, mais aussi celle de la génération X. Cette même cohorte dont le slogan était « No Future », qui a eu besoin de se vêtir d’une épaisse cape d’ironie pour survivre à l’anomie, à la menace climatique, à la précarité économique épisodique et à un accès difficile au concept fuyant qu’est le statut d’adultes.
En faisant référence au mystère irrésolu du décès tragique de River Phoenix – le Chris de Stand by Me –, et à la lettre que la mère de ce dernier avait, dans ce sillon, publiée dans les pages du Los Angeles Times (ce message aussi prophétique qu’étrange, qui blâmait le désastre écologique pour la disparition de son fils de 23 ans), Fanny Britt ressuscite des limbes de la petite histoire hollywoodienne. Tout cela, pour rebondir dans le présent, au cœur des préoccupations actuelles de deux femmes, mères, artistes, qui continuent à vivre et restent soudées, même si leurs personnalités et leurs visions des choses différentes les amènent parfois à s’inquiéter l’une pour l’autre et causent certains schismes qu’elles s’affairent patiemment à investiguer, comprendre et réparer. On les retrouve ainsi, mères anxieuses, tiraillées entre leur immense élan vers la création et le jeu, mais désemparées par le monde dans lequel grandissent leurs enfants. Une scène particulièrement touchante, où le personnage de Kathleen Fortin discute avec une psychologue à propos de ses peurs concernant son fils qui n’a pas de meilleur ami, fait d’ailleurs figure de pivot pour la suite de l’histoire qui, inévitablement, se dirige vers la fin, la mort qui un jour viendra, que l’une anticipe dans longtemps et l’autre, moins.
Et voilà que l’on comprend qu’il n’y a pas de monde d’adultes. Juste des êtres qui se tiennent, solidaires, et traversent la vie en essayant d’y ajouter un peu de grâce.
Toutes choses
Texte : Fanny Britt. Mise scène : Alexia Bürger. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Capistran-Lalonde. Décor : Odile Gamache. Lumière et vidéo : Mathieu Roy. Costumes : Julie Charland. Musique : Vincent Legault. Maquillages et coiffures : Justine Denoncourt-Bélanger. Conseils au mouvement : Wynn Holmes. Assistance aux costumes : Yso. Direction de production : Martin Émond et Samuel Patenaude. Direction technique : Audrey Belzile et Rebecca Brouillard. Assistance technique : David Étienne Savoie. Avec Sophie Cadieux et Kathleen Fortin. Une production du Théâre de Quat’Sous, présentée au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 14 mai 2022.