Texte lu par son signataire, accompagné d’une vingtaine d’artistes du spectacle vivant, devant le public du TNM, avant la première de Cher Tchekhov de Michel Tremblay, le jeudi 5 mai 2022.
En 1985, Jean-Pierre Ronfard écrit : « Une confusion très gênante entre culture et création s’est développée (…). On est bien forcé de constater qu’actuellement les grands metteurs en scène consacrent l’essentiel de leur talent et de leurs énergies à monter des œuvres de culture. » (« Qu’est-ce que le théâtre? », Études littéraires, vol. 18, n0 3, hiver 1985, p. 227-231)
Nous prenons le risque de venir ici dire une vérité parce que nous pensons qu’une vérité mérite d’être dite. Nous sommes des centaines à penser cette vérité et il faut bien que certaines fassent le déplacement. Si personne ne dit jamais rien, on ne pourra plus se regarder, et au théâtre, ne pas se regarder, c’est impossible.
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
et son théâtre n’est plus nouveau
il ne propose plus de nouveau monde du tout
nous sommes au TNM parce que le TNM est un théâtre central
historique, géographique et économique
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
mais le théâtre n’est presque plus qu’un gentil divertissement
pour une élite
pas populaire pour un sou
pour du monde assis à des places à cent dollars
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
mais le théâtre s’affaiblit de sa consanguinité de petit monde
alors qu’il devrait ouvrir ses portes
populaire on nous avait dit
populaire on nous avait dit
on nous avait dit que les gens font de leur mieux
tout le monde fait de son mieux
mais sa directrice artistique déclare : « Je ne veux pas faire comme en Belgique en déclarant qu’un art vivant doit s’imposer par-dessus tout. »
mais nous, nous affirmons qu’il faut du courage et de la joie
au moins un peu
pour faire du théâtre
et nous disons que l’art doit s’imposer même quand ça va mal
surtout quand ça va mal
parce que quand tout va mal
il faut beaucoup d’art pour aller bien
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
et ce théâtre est en train de mourir
coupé du peuple et de son originalité
quand la pièce est à cent piasses
et que nous craignons de salir les beaux fauteuils rouges
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
et le théâtre vit une crise esthétique et économique
que l’épidémie a renforcée (et non créée)
le TNM porte une responsabilité
dans cette dissolution du théâtre dans un vaste espace de divertissement
pour ne le penser que dans le rentable confortable
nous affirmons que le théâtre doit se libérer
du conformisme corporatiste
de l’influence des partenaires commerciaux
de la tutelle des groupes d’intérêt
En 1985, Jean-Pierre Ronfard écrit : « S’il y avait à choisir j’opterais délibérément pour la création. Un art n’est vivant que dans son appétit de nouveauté. Nouveauté, cela veut dire des paroles jamais entendues, des lumières, des couleurs, des gestes jamais vus, des actions et des personnages qui n’ont jamais paru sur la scène, une ordonnance architecturale chaque fois reconstruite, un rapport avec le public inlassablement remis en question. C’est évidemment une utopie gigantesque, un idéal qui ne séduit et ne mobilise que parce qu’on ne peut jamais parfaitement l’atteindre. Démarche ridicule ? Peut-être. Pourquoi pas ? Je rappellerai ici un des aphorismes provocateurs de Charles Ludlam, le directeur du Ridiculous Theatre de New York : « Nous sommes la caricature de nos propres idéaux. Si non, c’est que nous avons placé nos idéaux trop bas. » » (Ibid.)
nous affirmons que le théâtre est
UN ART POLITIQUE qui, à travers le dialogue, pense le dissensus comme principe démocratique
UN ART POPULAIRE qui s’adresse à une diversité culturelle et sociale
UN ART RÉVOLUTIONNAIRE qui se place radicalement en résistance des injustices et des dominations
« LA PRATIQUE VIVANTE DU THÉÂTRE IMPOSE DE CROIRE À LA RÉVOLUTION PERMANENTE. »
(JEAN-PIERRE RONFARD)
Note : Le titre de ce texte est une parole du metteur en scène français Gwenaël Morin. La photo d’Elina Giounanli est tirée du spectacle 6 am How to disappear completely du Blitz Theater Group.
Hugo Fréjabise est auteur et metteur en scène.
Texte lu par son signataire, accompagné d’une vingtaine d’artistes du spectacle vivant, devant le public du TNM, avant la première de Cher Tchekhov de Michel Tremblay, le jeudi 5 mai 2022.
En 1985, Jean-Pierre Ronfard écrit : « Une confusion très gênante entre culture et création s’est développée (…). On est bien forcé de constater qu’actuellement les grands metteurs en scène consacrent l’essentiel de leur talent et de leurs énergies à monter des œuvres de culture. » (« Qu’est-ce que le théâtre? », Études littéraires, vol. 18, n0 3, hiver 1985, p. 227-231)
Nous prenons le risque de venir ici dire une vérité parce que nous pensons qu’une vérité mérite d’être dite. Nous sommes des centaines à penser cette vérité et il faut bien que certaines fassent le déplacement. Si personne ne dit jamais rien, on ne pourra plus se regarder, et au théâtre, ne pas se regarder, c’est impossible.
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
et son théâtre n’est plus nouveau
il ne propose plus de nouveau monde du tout
nous sommes au TNM parce que le TNM est un théâtre central
historique, géographique et économique
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
mais le théâtre n’est presque plus qu’un gentil divertissement
pour une élite
pas populaire pour un sou
pour du monde assis à des places à cent dollars
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
mais le théâtre s’affaiblit de sa consanguinité de petit monde
alors qu’il devrait ouvrir ses portes
populaire on nous avait dit
populaire on nous avait dit
on nous avait dit que les gens font de leur mieux
tout le monde fait de son mieux
mais sa directrice artistique déclare : « Je ne veux pas faire comme en Belgique en déclarant qu’un art vivant doit s’imposer par-dessus tout. »
mais nous, nous affirmons qu’il faut du courage et de la joie
au moins un peu
pour faire du théâtre
et nous disons que l’art doit s’imposer même quand ça va mal
surtout quand ça va mal
parce que quand tout va mal
il faut beaucoup d’art pour aller bien
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
et ce théâtre est en train de mourir
coupé du peuple et de son originalité
quand la pièce est à cent piasses
et que nous craignons de salir les beaux fauteuils rouges
TNM veut dire Théâtre du Nouveau Monde
et le théâtre vit une crise esthétique et économique
que l’épidémie a renforcée (et non créée)
le TNM porte une responsabilité
dans cette dissolution du théâtre dans un vaste espace de divertissement
pour ne le penser que dans le rentable confortable
nous affirmons que le théâtre doit se libérer
du conformisme corporatiste
de l’influence des partenaires commerciaux
de la tutelle des groupes d’intérêt
En 1985, Jean-Pierre Ronfard écrit : « S’il y avait à choisir j’opterais délibérément pour la création. Un art n’est vivant que dans son appétit de nouveauté. Nouveauté, cela veut dire des paroles jamais entendues, des lumières, des couleurs, des gestes jamais vus, des actions et des personnages qui n’ont jamais paru sur la scène, une ordonnance architecturale chaque fois reconstruite, un rapport avec le public inlassablement remis en question. C’est évidemment une utopie gigantesque, un idéal qui ne séduit et ne mobilise que parce qu’on ne peut jamais parfaitement l’atteindre. Démarche ridicule ? Peut-être. Pourquoi pas ? Je rappellerai ici un des aphorismes provocateurs de Charles Ludlam, le directeur du Ridiculous Theatre de New York : « Nous sommes la caricature de nos propres idéaux. Si non, c’est que nous avons placé nos idéaux trop bas. » » (Ibid.)
nous affirmons que le théâtre est
UN ART POLITIQUE qui, à travers le dialogue, pense le dissensus comme principe démocratique
UN ART POPULAIRE qui s’adresse à une diversité culturelle et sociale
UN ART RÉVOLUTIONNAIRE qui se place radicalement en résistance des injustices et des dominations
« LA PRATIQUE VIVANTE DU THÉÂTRE IMPOSE DE CROIRE À LA RÉVOLUTION PERMANENTE. »
(JEAN-PIERRE RONFARD)
Note : Le titre de ce texte est une parole du metteur en scène français Gwenaël Morin. La photo d’Elina Giounanli est tirée du spectacle 6 am How to disappear completely du Blitz Theater Group.
Hugo Fréjabise est auteur et metteur en scène.