Voici une belle proposition du collectif À Gorge Déployée pour finir l’été : des voyages racontés sous forme déambulatoire, autour du Théâtre Périscope. Le public est regroupé à l’extérieur du bâtiment, sur l’herbe, debout ou sur des chaises, près de quatre interprètes, qui tour à tour vont nous dévoiler un récit. Le dispositif est minimal : quelques valises ou sacs à dos, un tourniquet de cartes postales, le banc public de la place. Quatre aires de jeux sont délimitées par la présence de petits projecteurs au sol et de guirlandes lumineuses ponctuant ou reliant les espaces. Entre les tableaux, une musique se fait entendre et nous invite à nous déplacer au lieu suivant. L’assistance se tient au plus près, l’écoute est belle, attentive. Et doucement la magie opère : nous passons de pays en pays, nous voyageons, avec pour arrière-plan le coucher de soleil et le décor de la ville, qui, comme par magie, est au plus calme.
« Quand tu aimes, il faut partir »
Ce vers d’un poème de Blaise Cendrars, qui n’apparaît pas dans le texte du spectacle, pourrait le résumer. Chacune des protagonistes a senti la nécessité d’un départ, l’impériosité d’un éloignement, parfois simplement attirée par l’ailleurs, parfois à la recherche de son histoire, parfois pour réaliser ce qui n’a pu l’être pour cause de séparation ou de deuil. Ce Carnet de voyage est constitué d’un récit racontant un périple (premier tableau) et de lettres adressées par une voyageuse à une personne lointaine. Dans tous les cas, il y a adresse directe et souvent de belles formules poétiques, parfois humoristiques, de jolies réflexions sur ce que représente le voyage, la distance, l’appartenance : « je suis revenue et j’ai braillé », s’étonne la première en redécouvrant la ville de Québec. « Je suis revenue, j’étais partie, pis j’chus revenue », n’arrête-t-elle pas de dire, tout en mettant des chaussures dans son sac à dos (« l’asphalte en été, ça use les semelles »), troublée par toutes les émotions produites par ce retour, mais aussi par celles l’ayant provoqué.
Dans le deuxième tableau est pointée la fatigue face à cette éternelle question « Tu viens d’où ? », que doit subir cette jeune femme d’origine rwandaise, née en Belgique, puis adoptée par une famille de Gatineau, au Québec. Elle l’entendait au Canada, mais aussi en arrivant au Rwanda, à la recherche de sa mère biologique, à qui elle adresse sa lettre, résumant toutes les péripéties qui l’ont conduite jusqu’à un certain bar de Kigali, où elle rencontre son grand-père, qui lui donne les clés de son histoire. Six valises légèrement vieillottes sont déplacées tout au long de la séquence. De l’une d’elles, elle sort un petit tableau peint par sa mère, tout en disant : « je viens d’un peu partout, j’appartiens au monde, et c’est bien comme ça ».
Le texte, surtout dans les deux derniers épisodes, fourmille de belles réflexions sur la manière de raconter un voyage : comment résumer tout ce que l’on a vécu, comment le traduire en mots ? C’est ce que se demande une voyageuse en Italie, évoquant, au fur et à mesure qu’elle choisit des cartes postales sur un support en tourniquet, diverses anecdotes. Si le ton est enjoué, vif, il prend des colorations plus introspectives lorsqu’est abordé le sens même de cette correspondance, alors que l’on apprend que chaque carte est envoyée sans adresse. La quatrième station prolonge cette réflexion avec une lettre destinée à une personne décédée dont la narratrice était la meilleure amie. Tableau le plus fort sans doute, tant en ce qui concerne le texte (caustique et poignant) que le jeu et le dispositif, révélant une jeune femme près d’une tente à moitié montée, réalisant enfin un grand voyage loin de sa vie confortable : « comme s’il avait fallu la fin de ta vie pour que je commence à vivre la mienne ».
Ce Carnet de voyage est plein de promesses. L’équipe du collectif À Gorge Déployée est récemment sortie du Conservatoire de théâtre de Québec et nous la retrouverons avec intérêt à Premier Acte en avril prochain avec Les Fabuleuses, sa troisième création.
Texte et mise en scène : Elizabeth Lavoie et Pierre-Olivier Roussel, avec la collaboration de Carla Mezquit Honhon. Scénographie : Laurie Foster. Régie : Antoine Gagnon. Avec Eva D’Aoust, Maude Lafond, Carla Mezquit Honhon et Ines Syrine Azaiez. Une production du collectif À Gorge Déployée, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 3 septembre 2022.
Voici une belle proposition du collectif À Gorge Déployée pour finir l’été : des voyages racontés sous forme déambulatoire, autour du Théâtre Périscope. Le public est regroupé à l’extérieur du bâtiment, sur l’herbe, debout ou sur des chaises, près de quatre interprètes, qui tour à tour vont nous dévoiler un récit. Le dispositif est minimal : quelques valises ou sacs à dos, un tourniquet de cartes postales, le banc public de la place. Quatre aires de jeux sont délimitées par la présence de petits projecteurs au sol et de guirlandes lumineuses ponctuant ou reliant les espaces. Entre les tableaux, une musique se fait entendre et nous invite à nous déplacer au lieu suivant. L’assistance se tient au plus près, l’écoute est belle, attentive. Et doucement la magie opère : nous passons de pays en pays, nous voyageons, avec pour arrière-plan le coucher de soleil et le décor de la ville, qui, comme par magie, est au plus calme.
« Quand tu aimes, il faut partir »
Ce vers d’un poème de Blaise Cendrars, qui n’apparaît pas dans le texte du spectacle, pourrait le résumer. Chacune des protagonistes a senti la nécessité d’un départ, l’impériosité d’un éloignement, parfois simplement attirée par l’ailleurs, parfois à la recherche de son histoire, parfois pour réaliser ce qui n’a pu l’être pour cause de séparation ou de deuil. Ce Carnet de voyage est constitué d’un récit racontant un périple (premier tableau) et de lettres adressées par une voyageuse à une personne lointaine. Dans tous les cas, il y a adresse directe et souvent de belles formules poétiques, parfois humoristiques, de jolies réflexions sur ce que représente le voyage, la distance, l’appartenance : « je suis revenue et j’ai braillé », s’étonne la première en redécouvrant la ville de Québec. « Je suis revenue, j’étais partie, pis j’chus revenue », n’arrête-t-elle pas de dire, tout en mettant des chaussures dans son sac à dos (« l’asphalte en été, ça use les semelles »), troublée par toutes les émotions produites par ce retour, mais aussi par celles l’ayant provoqué.
Dans le deuxième tableau est pointée la fatigue face à cette éternelle question « Tu viens d’où ? », que doit subir cette jeune femme d’origine rwandaise, née en Belgique, puis adoptée par une famille de Gatineau, au Québec. Elle l’entendait au Canada, mais aussi en arrivant au Rwanda, à la recherche de sa mère biologique, à qui elle adresse sa lettre, résumant toutes les péripéties qui l’ont conduite jusqu’à un certain bar de Kigali, où elle rencontre son grand-père, qui lui donne les clés de son histoire. Six valises légèrement vieillottes sont déplacées tout au long de la séquence. De l’une d’elles, elle sort un petit tableau peint par sa mère, tout en disant : « je viens d’un peu partout, j’appartiens au monde, et c’est bien comme ça ».
Le texte, surtout dans les deux derniers épisodes, fourmille de belles réflexions sur la manière de raconter un voyage : comment résumer tout ce que l’on a vécu, comment le traduire en mots ? C’est ce que se demande une voyageuse en Italie, évoquant, au fur et à mesure qu’elle choisit des cartes postales sur un support en tourniquet, diverses anecdotes. Si le ton est enjoué, vif, il prend des colorations plus introspectives lorsqu’est abordé le sens même de cette correspondance, alors que l’on apprend que chaque carte est envoyée sans adresse. La quatrième station prolonge cette réflexion avec une lettre destinée à une personne décédée dont la narratrice était la meilleure amie. Tableau le plus fort sans doute, tant en ce qui concerne le texte (caustique et poignant) que le jeu et le dispositif, révélant une jeune femme près d’une tente à moitié montée, réalisant enfin un grand voyage loin de sa vie confortable : « comme s’il avait fallu la fin de ta vie pour que je commence à vivre la mienne ».
Ce Carnet de voyage est plein de promesses. L’équipe du collectif À Gorge Déployée est récemment sortie du Conservatoire de théâtre de Québec et nous la retrouverons avec intérêt à Premier Acte en avril prochain avec Les Fabuleuses, sa troisième création.
Carnet de voyage
Texte et mise en scène : Elizabeth Lavoie et Pierre-Olivier Roussel, avec la collaboration de Carla Mezquit Honhon. Scénographie : Laurie Foster. Régie : Antoine Gagnon. Avec Eva D’Aoust, Maude Lafond, Carla Mezquit Honhon et Ines Syrine Azaiez. Une production du collectif À Gorge Déployée, présentée au Théâtre Périscope jusqu’au 3 septembre 2022.