Au théâtre La Bordée, La Paix des femmes s’étend sur une scène dénudée, lieu de tous les affrontements sur l’épineuse question de la prostitution. Véronique Côté propose ici un essai théâtral (prolongé dans le livre Faire corps, qu’elle a écrit avec Martine B. Côté et qui a été publié chez Atelier 10) sur cette pratique universelle qui trouve des ramifications partout dans la société, voulant ainsi forcer une réflexion collective sur le « droit d’acheter des actes sexuels ».
La pièce s’articule autour de trois événements qui abordent le débat selon l’angle des pro-travailleurs et travailleuses du sexe, opposé·es aux abolitionnistes. Dans un groupe d’ami·es, il y a d’abord Isabelle, docteure en littérature, confrontée à Alice, qu’elle ne connaît pas mais qui vient lui demander des comptes, l’accusant d’être responsable de la mort de sa jeune sœur Léa, ancienne étudiante qui a « choisi » le travail d’hôtesse pour payer ses études. Ailleurs, un couple engagé dans la procréation in vitro à partir d’un ovule provenant d’une « donneuse » inconnue est divisé par des considérations éthiques quant à l’aspect mercantile de cette opération. Enfin, une chroniqueuse à Radio-Canada, apprend que son amoureux a rémunéré des prostituées lors d’un party de gars. Peu importe le milieu, le sexe est irrépressible et le commerce de la chair alimente la machine économique tapie derrière.
La tension se cristallise dans des affrontements frontaux. D’un côté, l’intellect, le discours, la réflexion sur une activité sociale qu’on ne peut ni juguler ni interdire, et de l’autre, le terrain, celles et ceux qui en vivent dans une pratique quotidienne. Les un·es revendiquant le droit de disposer de leur corps, les autres voulant abolir cette exploitation jugée dégradante.
Une scénographie du vide à remplir
À la mise en scène, Côté installe sa réflexion dans une scénographie minimale, magnifiée par une immense pierre suspendue au-dessus de la tête des protagonistes. Ainsi, les comédien·nes jouent à travers l’espace totalement dénudé, révélant par leur posture des endroits précis, un bureau de professeur, une chambre à coucher, un salon… Gestes ancrés dans le vide, amplifiant autant leur inconfort que leurs déchirements intérieurs. On pense ici au théâtre de Peter Brooks. La psyché perturbée de ces corps flottant dans le néant est subtilement exposée à travers de menus détails, des mouvements projetés dans le vide, un verre abandonné, une génuflexion, un corps juxtaposé sur l’autre, des transes surgies d’une profonde révolte. Et surtout des scènes captivantes gravées dans nos mémoires. Le fantôme de Léa (remarquable Catherine Oksana-Desjardins) en une lumineuse chorégraphie d’outre-tombe. Le duo interprété par Carolanne Foucher et Jean-Philippe Côté, elle détruite par la découverte de sa trahison et lui livrant une lettre remplie de repenti sincère. La rencontre frontale d’Isabelle (Anne-Marie Olivier) et d’Alice (Nathalie Séguin), qui exprime dans les torsions de son corps sa rage face au destin de sa benjamine. Soulignons encore une fois le travail enveloppant et porteur de la musique de Josué Beaucage.
Lors de la première médiatique, une manifestation inattendue a perturbé le spectacle. Au moment où Isabelle et Alice bataillaient sur l’abolition et le libre choix, une dizaine de prostituées assises en première rangée se sont levées à l’unisson en ouvrant des parapluies rouges et ont lancé avec aplomb : « Mon travail, mon choix ! » Puis elles ont quitté la salle. Cette interruption brutale a perturbé les deux comédiennes, le reste de la troupe et le directeur de la Bordée, qui a rapidement pris les choses en main. Rassurant le public, il s’est aussitôt rendu sur la scène pour calmer les artistes ébranlé·es et les inviter à reprendre à la dernière réplique.
La Paix des femmes gagne son pari. Mais nous aurions aimé que les manifestantes restent jusqu’à la fin pour débattre. Les attentes de l’autrice auraient été comblées et, partant, les nôtres aussi. Le spectacle s’y prêterait parfaitement.
Texte et mise en scène : Véronique Côté. Assistance à la mise en scène : Marie-Josée Godin. Décor : Marie-Renée Bourget Harvey. Costumes : Julie Levesque. Musique originale : Josué Beaucage. Éclairages : Christian Fontaine. Conseillère spéciale : Martine B. Côté. Conseils au mouvement : Jadson Caldeira. Coiffures et maquillages : Yana Ouellet. Avec Joëlle Bourdon, Jean-Philippe Côté, Catherine Oksana-Desjardins, Carolanne Foucher, Nicolas Létourneau, Anne-Marie Olivier, Claudiane Ruelland et Nathalie Séguin. Une production de la Bordée, présentée à la Bordée jusqu’au 8 octobre 2022.
Au théâtre La Bordée, La Paix des femmes s’étend sur une scène dénudée, lieu de tous les affrontements sur l’épineuse question de la prostitution. Véronique Côté propose ici un essai théâtral (prolongé dans le livre Faire corps, qu’elle a écrit avec Martine B. Côté et qui a été publié chez Atelier 10) sur cette pratique universelle qui trouve des ramifications partout dans la société, voulant ainsi forcer une réflexion collective sur le « droit d’acheter des actes sexuels ».
La pièce s’articule autour de trois événements qui abordent le débat selon l’angle des pro-travailleurs et travailleuses du sexe, opposé·es aux abolitionnistes. Dans un groupe d’ami·es, il y a d’abord Isabelle, docteure en littérature, confrontée à Alice, qu’elle ne connaît pas mais qui vient lui demander des comptes, l’accusant d’être responsable de la mort de sa jeune sœur Léa, ancienne étudiante qui a « choisi » le travail d’hôtesse pour payer ses études. Ailleurs, un couple engagé dans la procréation in vitro à partir d’un ovule provenant d’une « donneuse » inconnue est divisé par des considérations éthiques quant à l’aspect mercantile de cette opération. Enfin, une chroniqueuse à Radio-Canada, apprend que son amoureux a rémunéré des prostituées lors d’un party de gars. Peu importe le milieu, le sexe est irrépressible et le commerce de la chair alimente la machine économique tapie derrière.
La tension se cristallise dans des affrontements frontaux. D’un côté, l’intellect, le discours, la réflexion sur une activité sociale qu’on ne peut ni juguler ni interdire, et de l’autre, le terrain, celles et ceux qui en vivent dans une pratique quotidienne. Les un·es revendiquant le droit de disposer de leur corps, les autres voulant abolir cette exploitation jugée dégradante.
Une scénographie du vide à remplir
À la mise en scène, Côté installe sa réflexion dans une scénographie minimale, magnifiée par une immense pierre suspendue au-dessus de la tête des protagonistes. Ainsi, les comédien·nes jouent à travers l’espace totalement dénudé, révélant par leur posture des endroits précis, un bureau de professeur, une chambre à coucher, un salon… Gestes ancrés dans le vide, amplifiant autant leur inconfort que leurs déchirements intérieurs. On pense ici au théâtre de Peter Brooks. La psyché perturbée de ces corps flottant dans le néant est subtilement exposée à travers de menus détails, des mouvements projetés dans le vide, un verre abandonné, une génuflexion, un corps juxtaposé sur l’autre, des transes surgies d’une profonde révolte. Et surtout des scènes captivantes gravées dans nos mémoires. Le fantôme de Léa (remarquable Catherine Oksana-Desjardins) en une lumineuse chorégraphie d’outre-tombe. Le duo interprété par Carolanne Foucher et Jean-Philippe Côté, elle détruite par la découverte de sa trahison et lui livrant une lettre remplie de repenti sincère. La rencontre frontale d’Isabelle (Anne-Marie Olivier) et d’Alice (Nathalie Séguin), qui exprime dans les torsions de son corps sa rage face au destin de sa benjamine. Soulignons encore une fois le travail enveloppant et porteur de la musique de Josué Beaucage.
Lors de la première médiatique, une manifestation inattendue a perturbé le spectacle. Au moment où Isabelle et Alice bataillaient sur l’abolition et le libre choix, une dizaine de prostituées assises en première rangée se sont levées à l’unisson en ouvrant des parapluies rouges et ont lancé avec aplomb : « Mon travail, mon choix ! » Puis elles ont quitté la salle. Cette interruption brutale a perturbé les deux comédiennes, le reste de la troupe et le directeur de la Bordée, qui a rapidement pris les choses en main. Rassurant le public, il s’est aussitôt rendu sur la scène pour calmer les artistes ébranlé·es et les inviter à reprendre à la dernière réplique.
La Paix des femmes gagne son pari. Mais nous aurions aimé que les manifestantes restent jusqu’à la fin pour débattre. Les attentes de l’autrice auraient été comblées et, partant, les nôtres aussi. Le spectacle s’y prêterait parfaitement.
La Paix des femmes
Texte et mise en scène : Véronique Côté. Assistance à la mise en scène : Marie-Josée Godin. Décor : Marie-Renée Bourget Harvey. Costumes : Julie Levesque. Musique originale : Josué Beaucage. Éclairages : Christian Fontaine. Conseillère spéciale : Martine B. Côté. Conseils au mouvement : Jadson Caldeira. Coiffures et maquillages : Yana Ouellet. Avec Joëlle Bourdon, Jean-Philippe Côté, Catherine Oksana-Desjardins, Carolanne Foucher, Nicolas Létourneau, Anne-Marie Olivier, Claudiane Ruelland et Nathalie Séguin. Une production de la Bordée, présentée à la Bordée jusqu’au 8 octobre 2022.