Critiques

2022 revue et corrigée : Happening défoulatoire

© David Ospina

La tradition se poursuit au Théâtre du Rideau Vert, après plus de 20 ans, avec ce spectacle de fin d’année, qui chaque fois permet au public de se bidonner au sujet des petits et grands événements ainsi que des personnalités ayant marqué les 12 derniers mois. L’équipe, en partie renouvelée, offre une production sans prétention mais de belle tenue, où cinq interprètes hors pair se dépensent sans compter pour susciter le rire, mais aussi une certaine réflexion sur les travers de notre société et les nôtres. On y réserve également quelques moments d’émotion.

L’entrée en matière, après une chanson sous le thème « Y était plus que temps ! », porte déjà un mélange de sentiments avec l’apparition à l’écran du président ukrainien Volodymyr Zelensky – dans une imitation confondante de Marc St-Martin, qui se démarquera par plusieurs incarnations hilarantes durant la représentation. Le fameux personnage, se qualifiant lui-même de « sex-symbol amateur de t-shirts moulants », s’adresse au peuple québécois, qui a connu une année difficile, avec ses problèmes sanitaires et ses routes défoncées comme en pleine guerre, disant le comprendre et concluant son dithyrambe par un jeu de mots bien trouvé : « Vous avez tenu tête à un virus, et moi, à un vieux Russe ! »

Les numéros, généralement courts, se succèdent à bon rythme sur la scène, parsemés de caricatures où l’on reconnaît les célébrités aux traits grossis : ça va de Pierre Bruneau, célébrant pour une énième fois son départ à la retraite, à Paul Arcand, ennuyé par les intervenant·es à sa tribune téléphonique, en passant par Gilles Vigneault, se présentant au siège social de Spotify pour en faire retirer ses chansons, figures qui donnent l’occasion au vétéran Pierre Brassard, nouveau dans l’équipe, de briller à plusieurs reprises. Les deux recrues féminines, Monika Pilon, en Chrystia Freeland ou en consommatrice exaspérée par les conseils de Pierre-Yves McSween, et Marie-Ève Sansfaçon, dans des passages chantés mémorables – Lara Fabian lançant « Duhaime » sur l’air de « Je t’aime », Ginette Reno égrenant le nom de Paul St-Pierre-Plamondon sur le leitmotiv « Je ne suis qu’une chanson » – tirent très bien leur épingle du jeu. Benoit Paquette n’est pas en reste, avec ses incarnations percutantes de Christian Bégin, de Justin Trudeau ou de Richard Desjardins.

© David Ospina

Des sujets trop effleurés

Bien que la soirée soit agréable et se déroule avec entrain – les comédien·nes ne chôment pas en coulisses, à en juger par les changements de costumes et de coiffures parfois ultra-rapides –, il n’en reste pas moins que la nature même du genre, où l’on touche à tout pour plaire au plus grand nombre, a ses limites. Plusieurs scènes tombent à plat ou traînent en longueur, alors que certains sujets sont à peine évoqués par un mot ou une phrase vite oubliée. Malgré des passages mordants, comme les parodies sur vidéo de l’annonce électorale de la CAQ, où une dame rend hommage à l’inertie de François Legault, ou une autre autour de la Fonderie Horne de Rouyn-Noranda, qu’on qualifie de « poumon économique » régional, ou encore le numéro sur scène moquant la quotidienne Stat, certains thèmes chauds de l’actualité auraient sans doute mérité plus d’attention.

Qu’on songe à la situation de notre système de santé, à la détérioration des écoles, à la pénurie de main-d’œuvre généralisée, à la crise climatique, aux enjeux diplomatiques avec les États voyous, aux problèmes de représentativité des minorités culturelles, voire aux viols collectifs tus par Hockey Canada – traités en surface ici –, nombreuses sont les questions qui auraient pu être posées et susciter moins d’unanimité. Mais bon, on veut avant tout divertir et on y parvient avec brio : les incarnations de manifestant·es du convoi de la « libarté » par Monika Pilon et Pierre Brassard, de Julie Snyder par Marc St-Martin, ou l’hommage touchant de celui-ci à Guy Lafleur, méritent le détour et font oublier quelques ratés. Peut-être certains ajustements, au cours des représentations, permettront-ils de resserrer un peu le tout.

David Ospina

2022 revue et corrigée

Textes : Nicolas Forget, Alexina Gilbert, Luc Michaud, Justine Philie, Dominic Quarré et Odrée Rousseau. Script-édition : Luc Michaud. Mise en scène : Natalie Lecompte. Assistance à la mise en scène : Emmanuelle Nappert. Costumes : Suzanne Harel. Éclairages : Nicolas Ricard. Musique : Christian Thomas. Vidéos : Thierry Francis et Émilie Fortier. Accessoires : Madeleine Saint-Jacques. Perruques et coiffures : Rachel Tremblay. Chorégraphies : Maud Saint-Germain. Avec Pierre Brassard, Benoit Paquette, Monika Pilon, Marie-Ève Sansfaçon et Marc St-Martin. Une production de 9207-7569 Québec Inc., présentée au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 7 janvier 2023.