Isolée par la pandémie, la jeune autrice Lauriane Charbonneau s’est amusée à imaginer des situations où l’homo sapiens se métamorphose par l’usage des technologies qu’il a inventées pour se faciliter la vie. Intelligence artificielle, iPhone, Leila (Siri), la voix intemporelle au-dessus de nous, les biotechnologies avec implants et manipulations génétiques composent désormais notre univers.
Inspirée par la série britannique Black Mirror, Charbonneau nous présente, sous des airs de science-fiction, une dystopie étrangement actuelle. En cinq tableaux, elle dresse le portrait répulsif d’une humanité disjonctée qui a perdu tous ses repères. Mais elle allège la noirceur du propos avec beaucoup d’humour. Le rire nous permet de respirer un peu, car les situations, dans leur essence, sont plutôt anxiogènes.
Box Exp. est une machine à expériences. Un endroit où le futur se déploie comme un terrain de jeu au sein duquel le réel et le virtuel s’absorbent mutuellement pour créer un monde cauchemardesque où les êtres humains sont vaincus.
Dans le premier tableau, « Rencontre », les médias traditionnels, combinés aux réseaux sociaux, se muent en un implacable broyeur de personnalités. Lors d’un talk show spectaculaire, le redoutable animateur Mec détruit Erika, l’influenceuse à succès qui a décidé de se lancer en politique. Ses productions et déclarations sur Facebook, Instagram et autres plateformes viennent la hanter par leur bêtise achevée. Suivent deux expérimentations consacrées à une puce miracle qui vous permet, et bientôt vous oblige, à toujours faire le bon choix en matière de consommation. La puce ne peut déroger de son programme et devient rapidement le tyran de son propriétaire.
Dans « Clinique », Adèle et Fleur abordent la question des avortements rémunérés. Les embryons sont alors utilisés comme cellules souches à des fins médicales. Enfin, le dernier tableau, le bien nommé « Box Exp. », présente l’expérience ultime où écrans, cellulaires, implants et réalité augmentée, sous la gouverne de Leila, nouvelle déité omnisciente, créent un univers refermé sur lui-même, entièrement artificiel et numérique. Les habits, qu’on dirait de contention, dont sont vêtus deux des protagonistes rappellent certaines poupées d’époque que l’on voulait couleur chair. Il et elle se démarquent ainsi de Martin, le clone technicien portant le bleu de travail de sa fonction. Ces costumes indigestes semblent souligner maladroitement l’ambiguïté des conditions respectives des personnages. Ils ressentent un vide qui les pousse à aller vers l’autre, pour découvrir qu’ils ne sont tous que des clones.
Questions ontologiques
Le dispositif scénique, comme l’indique le titre, est constitué de boîtes installées au centre du théâtre. Les sièges du public, répartis de part et d’autre, offrent donc deux points de vue sur les mêmes actions. L’aménagement de l’ensemble devient la métaphore des concepts du réel et du virtuel, présents tout au long de la pièce. On souligne ainsi la distorsion des perceptions dans cet insidieux panoptique truffé d’écrans, de wifi, de caméras, alors que les dimensions s’estompent dans un seul plan perpétuellement renouvelé par les images qui l’alimentent.
La place de l’humanité et sa définition sont donc au centre du dérèglement social. Le rapport à la chair et au corps, la marchandisation de nos organes et embryons, le clonage, l’abandon de notre autonomie aux algorithmes, la gestion de nos décisions quotidiennes confiée à un programme de puces intelligentes sont autant de questions ontologiques auxquelles il importe de réfléchir dès maintenant.
La conception de la scénographie, augmentée de projections, de boîtes transparentes mobiles, ainsi que d’une trame sonore où vibre la voix apaisante de Leila (Mary-Lee Picknell), crée un espace scénique en parfaite adéquation avec le contenu. Box Exp. est une production exemplaire sur ce point et pousse le jeu de la multiplication des niveaux de réalité en invitant spectateurs et spectatrices à voter, avec leurs cellulaires, pour déterminer lequel des clones pourra vivre. À part une parenthèse hors propos sur l’écriture inclusive, d’un tout autre ton, le texte de Charbonneau (bonifié par le Collectif Bleu), par sa manière de dissoudre le drame dans l’humour, soutenue par le jouissif « cabotinage » de Charlie Cameron-Verge, est un petit bijou en forme de florilège d’absurdités déjà perceptibles dans notre quotidien.
Texte : Lauriane Charbonneau. Mise en scène : Samuel Bouchard et Lauriane Charbonneau. Assistance à la création et direction de production : Catherine Lagacé Mc Maniman. Direction technique : Thomas Royer, avec la collaboration de Natalie Fontalvo et Stéfanelle Auger. Conception des décors, costumes, éclairages et environnement sonore : Émile Beauchemin, Alice Poirier, Géraldine Rondeau, Pierre-Olivier Roussel et Vincent Paquette. Programmation : Émile Cyr Perreault. Consultation : Laura Doyle Péan. Avec Charlie Cameron-Verge, Lauriane Charbonneau, Gaïa Cherrat Naghshi, Clément Desbiens et Mary-Lee Picknell. Une production du Collectif Bleu, présentée à Premier Acte jusqu’au 10 décembre 2022.
Isolée par la pandémie, la jeune autrice Lauriane Charbonneau s’est amusée à imaginer des situations où l’homo sapiens se métamorphose par l’usage des technologies qu’il a inventées pour se faciliter la vie. Intelligence artificielle, iPhone, Leila (Siri), la voix intemporelle au-dessus de nous, les biotechnologies avec implants et manipulations génétiques composent désormais notre univers.
Inspirée par la série britannique Black Mirror, Charbonneau nous présente, sous des airs de science-fiction, une dystopie étrangement actuelle. En cinq tableaux, elle dresse le portrait répulsif d’une humanité disjonctée qui a perdu tous ses repères. Mais elle allège la noirceur du propos avec beaucoup d’humour. Le rire nous permet de respirer un peu, car les situations, dans leur essence, sont plutôt anxiogènes.
Box Exp. est une machine à expériences. Un endroit où le futur se déploie comme un terrain de jeu au sein duquel le réel et le virtuel s’absorbent mutuellement pour créer un monde cauchemardesque où les êtres humains sont vaincus.
Dans le premier tableau, « Rencontre », les médias traditionnels, combinés aux réseaux sociaux, se muent en un implacable broyeur de personnalités. Lors d’un talk show spectaculaire, le redoutable animateur Mec détruit Erika, l’influenceuse à succès qui a décidé de se lancer en politique. Ses productions et déclarations sur Facebook, Instagram et autres plateformes viennent la hanter par leur bêtise achevée. Suivent deux expérimentations consacrées à une puce miracle qui vous permet, et bientôt vous oblige, à toujours faire le bon choix en matière de consommation. La puce ne peut déroger de son programme et devient rapidement le tyran de son propriétaire.
Dans « Clinique », Adèle et Fleur abordent la question des avortements rémunérés. Les embryons sont alors utilisés comme cellules souches à des fins médicales. Enfin, le dernier tableau, le bien nommé « Box Exp. », présente l’expérience ultime où écrans, cellulaires, implants et réalité augmentée, sous la gouverne de Leila, nouvelle déité omnisciente, créent un univers refermé sur lui-même, entièrement artificiel et numérique. Les habits, qu’on dirait de contention, dont sont vêtus deux des protagonistes rappellent certaines poupées d’époque que l’on voulait couleur chair. Il et elle se démarquent ainsi de Martin, le clone technicien portant le bleu de travail de sa fonction. Ces costumes indigestes semblent souligner maladroitement l’ambiguïté des conditions respectives des personnages. Ils ressentent un vide qui les pousse à aller vers l’autre, pour découvrir qu’ils ne sont tous que des clones.
Questions ontologiques
Le dispositif scénique, comme l’indique le titre, est constitué de boîtes installées au centre du théâtre. Les sièges du public, répartis de part et d’autre, offrent donc deux points de vue sur les mêmes actions. L’aménagement de l’ensemble devient la métaphore des concepts du réel et du virtuel, présents tout au long de la pièce. On souligne ainsi la distorsion des perceptions dans cet insidieux panoptique truffé d’écrans, de wifi, de caméras, alors que les dimensions s’estompent dans un seul plan perpétuellement renouvelé par les images qui l’alimentent.
La place de l’humanité et sa définition sont donc au centre du dérèglement social. Le rapport à la chair et au corps, la marchandisation de nos organes et embryons, le clonage, l’abandon de notre autonomie aux algorithmes, la gestion de nos décisions quotidiennes confiée à un programme de puces intelligentes sont autant de questions ontologiques auxquelles il importe de réfléchir dès maintenant.
La conception de la scénographie, augmentée de projections, de boîtes transparentes mobiles, ainsi que d’une trame sonore où vibre la voix apaisante de Leila (Mary-Lee Picknell), crée un espace scénique en parfaite adéquation avec le contenu. Box Exp. est une production exemplaire sur ce point et pousse le jeu de la multiplication des niveaux de réalité en invitant spectateurs et spectatrices à voter, avec leurs cellulaires, pour déterminer lequel des clones pourra vivre. À part une parenthèse hors propos sur l’écriture inclusive, d’un tout autre ton, le texte de Charbonneau (bonifié par le Collectif Bleu), par sa manière de dissoudre le drame dans l’humour, soutenue par le jouissif « cabotinage » de Charlie Cameron-Verge, est un petit bijou en forme de florilège d’absurdités déjà perceptibles dans notre quotidien.
Box Exp.
Texte : Lauriane Charbonneau. Mise en scène : Samuel Bouchard et Lauriane Charbonneau. Assistance à la création et direction de production : Catherine Lagacé Mc Maniman. Direction technique : Thomas Royer, avec la collaboration de Natalie Fontalvo et Stéfanelle Auger. Conception des décors, costumes, éclairages et environnement sonore : Émile Beauchemin, Alice Poirier, Géraldine Rondeau, Pierre-Olivier Roussel et Vincent Paquette. Programmation : Émile Cyr Perreault. Consultation : Laura Doyle Péan. Avec Charlie Cameron-Verge, Lauriane Charbonneau, Gaïa Cherrat Naghshi, Clément Desbiens et Mary-Lee Picknell. Une production du Collectif Bleu, présentée à Premier Acte jusqu’au 10 décembre 2022.