Critiques

Humans 2.0 : Liberté, simplicité, jouissance

© Pedro Greig

Qu’il s’agisse du rire, du choc, ou encore de la tristesse, en public, on se prend souvent à exprimer des émotions par contamination, ou parce que l’on sait que c’est l’effet recherché. C’est le cas au cirque comme ailleurs. Nulle discipline n’est à l’abri du banal ou de la redite. Mais quand Circa débarque à la TOHU, semblable à un soleil de juillet, l’authenticité réapparaît sur scène et dans nos cœurs.

La compagnie de Yaron Lifschitz nous avait offert Humans en 2019. La revoici à Montréal, pour une courte période et pour le bonheur de tout le monde, avec Humans 2.0. C’est sous ce titre plat, schématique, voire carrément cliché, que la troupe australienne nous présente un bijou de sublime simplicité. Et comme l’ont dit les penseurs, les penseuses et les artistes, de Platon à Bruce Lee, de la simplicité naît la perfection.

Comme dans sa première version, le spectacle se déroule sans interruption, sans fioritures, loin des productions baroques auxquelles on associe sans peine les cirques de renommée internationale. Au lieu de cela : la piste circulaire, surélevée, et les humain·es par-dessus, enchaînant sans temps morts acrobaties, pyramides, main à main, contorsions, des performances majoritairement au sol (ou proches de celui-ci), ponctuées de trois numéros nécessitant un équipement minimal : sangles aériennes, corde lisse et trapèze.

Très clairement, après avoir été vue par plus d’un million de personnes à travers le monde, Circa connaît ses forces et n’a plus besoin de prouver sa valeur. On la voit, là, immédiatement, à l’audace de ses figures, au rythme constant et harmonieux de la prestation, à son esprit de corps.

© Pedro Greig

État de grâce

Une démonstration de force tranquille. Cette expression s’applique certainement ici. La représentation avance au rythme des figures qui se fondent l’une dans l’autre. Témoignant d’une confiance aiguisée en leurs partenaires, les membres du groupe jouent à s’assembler les un·es aux autres de manière surprenante, mettant de l’avant la puissance et l’adresse de chacun·e. C’est indéniable : ils et elles connaissent leurs limites et les repoussent le plus possible, mais sans que cela ne se transforme en une course vers le danger. Au contraire, la piste ressemble à un grand terrain de jeu où on se pousse, où on tombe en riant, où on saute les un·es sur les autres, où on atterrit, on ne sait comment, dans les bras ou sur les épaules d’un·e camarade (ou trois, ou six). À travers toute cette activité, dans cette euphorie du corps élevé à l’apex de son potentiel, la gravité devient accessoire – une simple règle à contourner, comme les autres.

Si la première partie présente surtout le mouvement, solitaire ou groupal, de façon paradigmatique – dans son isolation, son arythmie et ses syncopes –, la deuxième partie travaille davantage la continuité, le syntagme et privilégie la lenteur. On pourrait reprocher au spectacle une certaine répétitivité dans le deuxième tiers. En effet, certains enchaînements se ressemblent à ce moment de la représentation. Ce serait toutefois mettre de côté l’originalité de chacune des propositions, et le plaisir communicatif avec lequel ces dix personnages, qui ne répondent plus aux lois fondamentales de la physique, transgressent et réinterprètent chaque posture circassienne.

On s’attend de l’homme fort à ce qu’il réceptionne une voltigeuse selon une série de gestes précis, que l’on a vus depuis notre enfance. Circa, quant à elle, a abandonné les rôles genrés depuis des années. Délestée de ces stéréotypes encombrants, la compagnie peut ainsi mettre tous ses efforts dans la présentation du réel talent et des réelles compétences physiques de ses artistes, sans le filtre opaque et, à la longue, incompréhensible de la tradition. Dans cette liberté d’action, tout s’allège, on retrouve l’éblouissement ressenti lors du tout premier spectacle auquel on a assisté, on bat des mains, on rit de bonne foi, on craint honnêtement l’accident qui n’arrive jamais, on se contorsionne sur sa chaise, on trépigne, on observe la gloire sans fard de ces êtres livrés à des conformations inexplicables.

Oui, Humans 2.0 est une véritable jouissance.

© Pedro Greig

Humans 2.0

Création : Yaron Lifschitz et Circa Ensemble. Mise en piste : Yaron Lifschitz. Musique originale : Ori Lichtik. Conception des éclairages : Paul Jackson. Costumes : Libby McDonnell. Direction technique : Jason Organ. Avec Fran Alvarez, Jon Bonaventura, Marty Evans, Sam Letch, Rhiannon Cave-Walker, Hamish McCourty, Daniel O’Brien, Kimberley Rossi, Georgia Webb et Christina Zauner. Une production de Circa, présentée à la TOHU jusqu’au 19 février 2023.