Martin Bellemare et Geneviève L. Blais étaient fait·es pour se rencontrer. Le Futur est leur deuxième collaboration, après Rx : Contes gouttes, une consultation poétique conçue pour un·e participant·e à la fois et présentée aussi bien au personnel qu’aux patiente·es de centres hospitaliers, puis à l’Usine C et à la Place des Arts en 2022. Il et elle partagent le désir d’ausculter avec sensibilité l’humanité d’aujourd’hui. Le Manifeste du futurisme, écrit par Filippo Tommaso Marinetti en 1909, leur servira de point de départ pour tracer un état du monde actuel.
La pièce est structurée comme un requiem, une messe pour les mort·es mise en musique. Le dispositif scénique se révèle à la fois réjouissant et déstabilisant. La curiosité du public est excitée par cet espace habilement parsemé de plateaux accueillants des instruments de musique et dont la plupart des sièges sont dotés d’un lutrin avec lumière individuelle et partition. Le ravissement suit son cours quand nous découvrons que l’officiant de cette grande messe est un enfant et qu’il est sublimement interprété par Alek Langevin. Son personnage guide les « fidèles » à travers la représentation, les invitant à tourner la page de la partition au son de la cloche, les prévenant des coups de feu qui auront lieu plus tard dans la pièce et dialoguant avec les protagonistes en se présentant comme Marinetti, le fameux père du mouvement futuriste.
Il va sans dire que l’interprétation juste et précise du jeune garçon est le fruit du travail de la metteure en scène, certes, mais aussi de son assistante et coach, Camille Denêtre. Le public a réellement l’impression de prendre part à quelque chose d’exceptionnel lorsqu’en début de spectacle l’enfant se déplace dans la salle pour faire lire une partie du Manifeste par un·e membre ou l’autre de l’assistance choisi·e au hasard. Malheureusement, la participation du public s’arrête là et la suite se déroule de manière plus traditionnelle, nous privant également du plaisir annoncé par la présence des instruments de musique d’un accompagnement en direct par des musicien·nes vivant·es.
Afin de créer un parallèle avec la société qui nous entoure, Bellemare situe l’action du drame dans la demeure de la personne la plus riche au monde (Noémie Godin-Vigneau, parfaite dans le rôle), dans laquelle une doctorante (Catherine-Amélie Côté) vient, de façon non sollicitée, soutenir sa thèse, selon laquelle le Manifeste du futurisme aurait été un des vecteurs du fascisme en Italie. La chercheuse s’introduit donc par effraction chez la multimilliardaire avec un fusil, dans le but de l’abattre. Elle la confronte et la provoque, verbalement et avec son arme, tentant de lui faire avouer ses crimes, ou au moins de lui faire reconnaître tout le tort qu’elle cause à l’humanité, comme les fascistes à l’époque, mais en vain, la richissime se cantonnant dans sa position de bienfaitrice de l’humanité, puisqu’elle crée des emplois, donne aux œuvres de charité, s’adonne au végétarisme, etc.
Si nous trouvons, au cœur de la pensée futuriste, l’apologie de la violence, la glorification de la guerre, le mépris des femmes (et du féminisme), l’éloge de la vitesse et qu’il est aisé d’y voir un reflet de notre société capitaliste, quelles sont les pistes proposées par Bellemare pour aller au-delà du constat légèrement manichéen selon lequel le système est malade et que c’est la faute aux riches ?
Partition inachevée
Le texte et la mise en scène foisonnent de bonnes idées, mais la proposition finale présentée au public mériterait d’être enrichie de réflexions plus profondes. Ainsi, la présence de l’enfant en tant que symbole de l’avenir est brillamment amenée, la disposition ingénieuse de l’assistance imaginée par le scénographe Olivier Thomas nous signifie clairement que nous faisons tous et toutes partie, à part entière, de ce système sclérosé, la partition du requiem comme trame du spectacle indique la fin de quelque chose, mais aussi l’espoir d’un monde meilleur : enfin un peu de lumière dans cette période trouble traversée par la pandémie et par tous les excès d’un capitalisme sauvage.
Martin Bellemare et Geneviève L. Blais sont deux artistes confirmé·es qui ont le mérite de s’éloigner des sentiers battus et d’oser des propositions audacieuses. Souhaitons-leur de futures collaborations fructueuses et sensibles, comme il et elle en ont l’habitude, pour secouer le monde dans lequel nous vivons.
Texte : Martin Bellemare. Mise en scène : Geneviève L. Blais. Assistance à la mise en scène et coaching des enfants : Camille Denêtre. Accessoires et partitions : Gillian Nasser. Costumes : Fruzsina Lanyi. Lumières : Mathieu Marcil. Composition musicale : Gentiane Michaud-Gagnon. Scénographie : Olivier Thomas. Avec Catherine-Amélie Côté, Noémie Godin-Vigneau et, en alternance, Skyler Gibbs et Alek Langevin. Une production de l’Usine C, présentée à l’Usine C jusqu’au 23 février 2023.
Martin Bellemare et Geneviève L. Blais étaient fait·es pour se rencontrer. Le Futur est leur deuxième collaboration, après Rx : Contes gouttes, une consultation poétique conçue pour un·e participant·e à la fois et présentée aussi bien au personnel qu’aux patiente·es de centres hospitaliers, puis à l’Usine C et à la Place des Arts en 2022. Il et elle partagent le désir d’ausculter avec sensibilité l’humanité d’aujourd’hui. Le Manifeste du futurisme, écrit par Filippo Tommaso Marinetti en 1909, leur servira de point de départ pour tracer un état du monde actuel.
La pièce est structurée comme un requiem, une messe pour les mort·es mise en musique. Le dispositif scénique se révèle à la fois réjouissant et déstabilisant. La curiosité du public est excitée par cet espace habilement parsemé de plateaux accueillants des instruments de musique et dont la plupart des sièges sont dotés d’un lutrin avec lumière individuelle et partition. Le ravissement suit son cours quand nous découvrons que l’officiant de cette grande messe est un enfant et qu’il est sublimement interprété par Alek Langevin. Son personnage guide les « fidèles » à travers la représentation, les invitant à tourner la page de la partition au son de la cloche, les prévenant des coups de feu qui auront lieu plus tard dans la pièce et dialoguant avec les protagonistes en se présentant comme Marinetti, le fameux père du mouvement futuriste.
Il va sans dire que l’interprétation juste et précise du jeune garçon est le fruit du travail de la metteure en scène, certes, mais aussi de son assistante et coach, Camille Denêtre. Le public a réellement l’impression de prendre part à quelque chose d’exceptionnel lorsqu’en début de spectacle l’enfant se déplace dans la salle pour faire lire une partie du Manifeste par un·e membre ou l’autre de l’assistance choisi·e au hasard. Malheureusement, la participation du public s’arrête là et la suite se déroule de manière plus traditionnelle, nous privant également du plaisir annoncé par la présence des instruments de musique d’un accompagnement en direct par des musicien·nes vivant·es.
Afin de créer un parallèle avec la société qui nous entoure, Bellemare situe l’action du drame dans la demeure de la personne la plus riche au monde (Noémie Godin-Vigneau, parfaite dans le rôle), dans laquelle une doctorante (Catherine-Amélie Côté) vient, de façon non sollicitée, soutenir sa thèse, selon laquelle le Manifeste du futurisme aurait été un des vecteurs du fascisme en Italie. La chercheuse s’introduit donc par effraction chez la multimilliardaire avec un fusil, dans le but de l’abattre. Elle la confronte et la provoque, verbalement et avec son arme, tentant de lui faire avouer ses crimes, ou au moins de lui faire reconnaître tout le tort qu’elle cause à l’humanité, comme les fascistes à l’époque, mais en vain, la richissime se cantonnant dans sa position de bienfaitrice de l’humanité, puisqu’elle crée des emplois, donne aux œuvres de charité, s’adonne au végétarisme, etc.
Si nous trouvons, au cœur de la pensée futuriste, l’apologie de la violence, la glorification de la guerre, le mépris des femmes (et du féminisme), l’éloge de la vitesse et qu’il est aisé d’y voir un reflet de notre société capitaliste, quelles sont les pistes proposées par Bellemare pour aller au-delà du constat légèrement manichéen selon lequel le système est malade et que c’est la faute aux riches ?
Partition inachevée
Le texte et la mise en scène foisonnent de bonnes idées, mais la proposition finale présentée au public mériterait d’être enrichie de réflexions plus profondes. Ainsi, la présence de l’enfant en tant que symbole de l’avenir est brillamment amenée, la disposition ingénieuse de l’assistance imaginée par le scénographe Olivier Thomas nous signifie clairement que nous faisons tous et toutes partie, à part entière, de ce système sclérosé, la partition du requiem comme trame du spectacle indique la fin de quelque chose, mais aussi l’espoir d’un monde meilleur : enfin un peu de lumière dans cette période trouble traversée par la pandémie et par tous les excès d’un capitalisme sauvage.
Martin Bellemare et Geneviève L. Blais sont deux artistes confirmé·es qui ont le mérite de s’éloigner des sentiers battus et d’oser des propositions audacieuses. Souhaitons-leur de futures collaborations fructueuses et sensibles, comme il et elle en ont l’habitude, pour secouer le monde dans lequel nous vivons.
Le Futur
Texte : Martin Bellemare. Mise en scène : Geneviève L. Blais. Assistance à la mise en scène et coaching des enfants : Camille Denêtre. Accessoires et partitions : Gillian Nasser. Costumes : Fruzsina Lanyi. Lumières : Mathieu Marcil. Composition musicale : Gentiane Michaud-Gagnon. Scénographie : Olivier Thomas. Avec Catherine-Amélie Côté, Noémie Godin-Vigneau et, en alternance, Skyler Gibbs et Alek Langevin. Une production de l’Usine C, présentée à l’Usine C jusqu’au 23 février 2023.