Critiques

Never Not Moving aka d**gs : Partenaires singuliers et singulières

© Pierre Tran

Qu’est-il arrivé aux danseurs et danseuses de street dance, durant la pandémie ? Incapables de se retrouver dans les clubs, contrairement aux danseurs et danseuses de studios, isolé·es sous les masques et même derrière des plaques de plastique transparentes pour ne pas se toucher, ils et elles ont connu une sévère privation de joie et d’amitiés. Aussi éprouvent-ils et éprouvent-elles un urgent besoin de dire leur vulnérabilité, leur rage, leur pulsion traduite par le beat, leur besoin de danser, avec leur fantaisie et leur gymnastique propres.

Ils et elles sont d’ordinaire discrets et discrètes, vivant la nuit, entrant par les portes arrière des clubs de danse (on a invité le public de Never Not Moving aka d**gs à en faire autant), buvant et fumant, se motivant ensemble, se tenant en groupe soudé, sans distinction de peau, de taille, d’allure, lié·es par l’envie de faire parler leur corps sous les stroboscopes. Chacun·e est leader, tour à tour l’un·e se détache de l’essaim pour haranguer l’assistance, qui aimerait certainement rejoindre la piste.

La danse commence ici par une longue marche saccadée, sous une musique fortement accentuée, assourdissante au sens propre. À la fois massifs, massives et souples, les danseurs et danseuses évoluent ensemble. Des chaises et un divan meublent la scène, pour boire et s’effondrer. La scène suivante est toute onirique, nocturne, aquatique. Ils et elles – cinq personnes – glissent dans la grande salle rouge, sous les accompagnements du public, complices de ces corps puissants et toniques, habités par le rythme.

© Denis Martin

Solidarité

Never Not Moving aka d**gs, de la compagnie montréalaise FRGMNT, annonce sa couleur : sons enlevés, mouvements syncopés du beatmaking, articulations souples, harmonie de groupe sous des lumières sombres. Ils et elles se dépensent à fond et tiennent de concert le groove, sous la direction de Victoria « Vic Versa » Mckenzie, qui aura privilégié la simplicité d’être ensemble et un esprit de comédie, un vedettariat contenu, assez discret, amical, venu des battle et autres formations ludiques de la danse de rue.

Ce n’est pas vraiment de la bonne musique, cette force techno écrasante, mais l’important est qu’elle galvanise les amateurs et amatrices d’improvisation. Ils et elles se sont donné carte blanche, pour dévier du groupe, selon l’instant et la personnalité de chacun·e, pour montrer en solos quelques tours abrupts et légendaires, mais pas trop ; ils et elles jouent avec les chaises, boivent et se reposent, repartent de plus belle. La musique aussi, moins dominante, évolue.

La complicité entre partenaires est évidente, fluide. On aimerait savoir ce qu’ils et elles ressentent en dansant, quand les peaux exsudent et brillent dans la noirceur. On sent qu’ils et elles s’y donnent de la joie, du plaisir, du désir, qu’ils et elles veulent montrer, manifester, partager l’univers underground des clubs. L’absence d’un·e chorégraphe se fait quand même sentir. Dans cette production, le mélange d’écoute et d’expression personnelle a gardé du jazz toute la fraîcheur et de la musique antillaise, américaine, la simplicité, inéluctablement close sur la fragilité sociale.

On aimera vibrer avec la salle, comme ce jeune public nombreux, conquis d’avance, impatient de se tenir échauffé et en communion avec l’esprit de ce hip-hop métissé traversant tous ces corps, animés par les vibrations qui les secouent et les emportent dans les compulsions fondamentales, telluriques, des décibels et de la danse.

Never Not Moving aka d**gs

Cocréation et interprétation : Delande Dorsaint, Anaïs Chloé Gilles, Kalliane Brémault, Jaleesa Coligny, Ernesto Quesada Perez. Direction artistique : Victoria Mackenzie. Composition : Richard St-Aubin. Conception des lumières : Jon Cleveland. Dramaturgie : Nubian Néné. Direction des répétitions : Céline Richard-Robichon, assistée d’Eloïse Caza. Œil extérieur : Alexandra Landé. Une production de FRGMNT, présentée par Tangente à l’Espace orange de l’édifice Wilder jusqu’au 19 février 2023.