Critiques

Là-bas : Quand les détours sont plus importants que la destination

© Mario Villeneuve

Dans une cour, au clair de lune, trois sympathiques clown·es posent leur valise pour souffler un peu. Lorsqu’ils et elle découvrent une montagne de bagages qui prennent vie, renferment des trésors ou leur donnent accès à des univers étonnants, leur pause se transforme en périple.

Là-bas, la nouvelle création du Théâtre de L’Aubergine, se déroule comme un joyeux rêve éveillé. Ponctué de surprises, d’acrobaties, de facéties et de moments tendres, le spectacle est une ode à l’imagination et à l’entraide. Malgré son apparente simplicité, il invite à philosopher et à décoder les rouages des trucages utilisés pour magnifier l’ordinaire et donner la berlue aux jeunes yeux qui l’observent.

Dès que les personnages interprétés par Miguel Fontaine, Amélie Gadbois et Jocelyn Paré entrent dans l’espace de jeu, grimpés l’un sur l’autre et enlacés comme pour ne faire qu’un, on comprend qu’ils sont unis envers et contre tout. Leurs mouvements et leurs réactions se complètent : si le premier éternue, le second se mouche et si le ventre de l’une gargouille, ceux des deux complices lui répondent. Tels des triplets non identiques, ils se contaminent, se consolent et se coordonnent pour imaginer d’incroyables aventures.

Ce qui commence comme des taquineries évolue en une inventive scène de théâtre d’objets, alors que des valises, manipulées par les trois interprètes, se transforment en train. En utilisant leurs doigts pour représenter leurs alter ego miniatures, qui sautent sur les toits des wagons, ils et elle créent un véritable petit film d’action. En montant sur les épaules de Miguel Fontaine, qui s’était dissimulé dans une malle, le personnage d’Amélie Gadbois devient une géante élégante, se baladant avec son ombrelle au bras d’un galant. En maniant une valise qui grogne, Jocelyn Paré la métamorphose en chienne enragée, prête à engloutir tout ce qui se trouve sur son chemin.

© Mario Villeneuve

Rejoignez l’itinéraire

Les trois acolytes s’expriment très clairement, à coup d’onomatopées et de mimiques espiègles. Les seuls mots prononcés dans toute la représentation proviennent d’un système de navigation, qui calcule un itinéraire compliqué, de « ici » à « là-bas ». Le trio s’empresse de prendre ces directives au pied de la lettre – saisissant, par exemple, la courroie élastique qui retient le pantalon du voisin ou de la voisine lorsque la voix robotique leur indique de « prendre la bretelle ».

L’absurdité de suivre aveuglément les consignes, de gérer le stress de cette impossible mission migratoire, fait écho aux contorsions quotidiennes que l’on fait pour se conformer aux expectatives et aux conventions sociales. Comme si, plutôt que d’attendre Godot, l’existence consistait à vivre sous la tyrannie d’un GPS.

La musique de Stéphane Caron accentue cette impression d’épopée. On traverse des contrées inquiétantes au son d’un orgue, des plaines poussiéreuses martelées par les sabots de chevaux fatigués, une jungle jazz peuplée d’oiseaux sauvages. Les costumes de Julie Morel, eux, reprennent des caractéristiques des habits clownesques classiques : pantalons trop bouffants et trop courts, superpositions, vestes et chapeaux mous.

Quand les personnages se délectent, à trois, d’une triste tranche de pain, ils apparaissent comme les lointains cousins de Sol. Mais lorsque ceux-ci exécutent culbutes, sauts, roulades, tours de magie et grand écart, ils se rapprochent des circassiens. Le mélange en fait des moribonds attachants et uniques.

La metteure en scène Véronika Makdissi-Warren montre ici toute sa compréhension de l’art clownesque et sa maîtrise des mécaniques physiques, humoristiques et drolatiques qui font son charme. Sous son égide, le spectacle défile sans qu’on ait envie de consulter sa montre. On se laisse prendre au jeu, intrigué·e par les détours que feront les comparses pour arriver, finalement, à destination.

Là-bas

Idée originale et mise en scène : Véronika Makdissi-Warren, assistée de Mélissa Bouchard. Décor et éclairages : Christian Fontaine. Costumes : Julie Morel. Musique : Stéphane Caron. Avec Miguel Fontaine, Amélie Gadbois et Jocelyn Paré. Une production de L’Aubergine, présentée au Théâtre jeunesse Les Gros Becs jusqu’au 12 mars 2023.