C’est une production assez confidentielle, sans prétention, ni vaste promotion que présente ces jours-ci dans le réseau des Maisons de la Culture, la compagnie de Théâtre Globe Bulle Rouge. Certes, la présentation du spectacle Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford est sans ambages et d’une sobriété inversement proportionnelle à l’intensité sur scène. Une aura de légende traverse tout autant le sujet de la pièce que sa distribution : Louise Turcot et Dorothée Berryman, grandes dames du showbiz québécois. Elles enfilent les tenues chics et surannées de deux monstres sacrés du vieil Hollywood : Joan Crawford et Bette Davis. Le résultat est poignant, grinçant, et absolument captivant.
Elles ont manifestement eu un plaisir fou, ces actrices, à se glisser dans la peau de deux icônes ayant été également célébrées pour leur beauté photogénique que publiquement humiliées, en raison de leur déchéance marquée par l’amertume, l’abus de substances et la déconfiture de leur enviable physique. Après avoir joué les nymphes, on les a reléguées au rang des vilaines.
Les deux personnages prennent place de part et d’autre du plateau, telles des reines égrenant leurs souvenirs, leur nostalgie, leurs regrets et leurs mépris réciproques. Un écran domine le fond de la scène où l’on voit le film de la vie de chacune. Cela permet de mettre en contexte ce qui précède la tumultueuse rivalité ayant régné lors du tournage du long métrage What Ever Happened to Baby Jane?, pivot central du texte du Français Jean Marbœuf.
Comme dans la minisérie Feud avec Susan Sarandon et Jessica Lange, la pièce évoque le rapport entre ces fausses amies qui se seraient détestées de façon soutenue pendant plus de quatre décennies. Une guerre de territoire qui se transforme en un insupportable effet miroir entre ce duo Némésis au destin cruellement similaire. Deux têtes fortes féminines ayant chacune à sa manière dominé une industrie où les femmes devaient être « tueuses » pour ne pas s’effacer, périr dans l’oubli ou, pire supplice, vieillir tranquillement dans l’indifférence.
Quelle importance, le temps qu’il nous reste…
Les Oscars, les mariages en série, les querelles nourries par la jalousie, les auditions, les restes de gloire qui trop vite s’effacent, les potins d’Hollywood, les amours et amourettes… Les personnages que campent Dorothée Berryman et Louise Turcot sont absorbés par les attributs identitaires qui ont permis à ces deux battantes de durer, malgré les ravages des années, la misogynie et le caractère impitoyable du métier.
En filigrane, il est question de leurs enfants, de leurs alliées et rivales — dont Marilyn Monroe, avec qui Joan Crawford aurait été brièvement liée — et du regard que pose Hollywood sur le physique de celles qui ont le culot de prendre de l’âge, plutôt que de mourir au sommet de leur beauté.
« Il n’y a pas de rôles pour les actrices vieillissantes. Il n’y a que de vieilles actrices », aurait déclaré Bette Davis.
Entremêlant faits réels, anecdotes et extraits d’archives, cette pièce, bien que très imprégnée d’un esprit vieillot, évoque drôlement des relents d’une culture toxique de l’image à tout prix qui se perpétue. De Guylaine Tremblay à Madonna, c’est le cas de toutes celles qui, par amour du métier mettent tout en œuvre pour déjouer le passage du temps, demeurent aussi des cibles d’un fiel digne des plus archaïques chasses aux sorcières. On sait que la fin ne sera pas heureuse pour celles marchant dans les pas de Bette Davis et de Joan Crawford.
Elles ont du courage, du talent, de l’énergie et du front, Dorothée Berryman et Louise Turcot, de prendre à bras le corps ce texte au sujet de l’âgisme et de tous les travers d’une industrie dont les violences sont trop souvent masquées. Elles nous disent qu’elles servent mieux leur art à pratiquer leur métier qu’à se bercer tranquillement en regardant tomber la neige à travers la fenêtre. Si dans sa forme actuelle, la pièce est davantage une lecture qu’une œuvre théâtrale à proprement parler, on ose espérer qu’elle continuera à se développer avec plus de moyens et de dimensions scéniques.
En cette période des Oscars, où la gifle de Will Smith est encore fraîche dans nos esprits, Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford ? nous rappelle que les hommes ne sont pas les seuls acteurs de ce ring où la vengeance est un plat qui se mange froid.
Texte : Jean Marbœuf. Mise en scène : Miguel Doucet. Assistance à la mise en scène : Marie Ève Tardy. Conception éclairage : Anne-Catherine Simard Deraspe. Conception vidéo : Steve Turmel. Musique : François Plante. Avec Dorothée Berryman et Louise Turcot. Une production du Théâtre Globe Bulle Rouge, présentée dans les Maisons de la culture à Montréal jusqu’au 25 mars 2023.
C’est une production assez confidentielle, sans prétention, ni vaste promotion que présente ces jours-ci dans le réseau des Maisons de la Culture, la compagnie de Théâtre Globe Bulle Rouge. Certes, la présentation du spectacle Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford est sans ambages et d’une sobriété inversement proportionnelle à l’intensité sur scène. Une aura de légende traverse tout autant le sujet de la pièce que sa distribution : Louise Turcot et Dorothée Berryman, grandes dames du showbiz québécois. Elles enfilent les tenues chics et surannées de deux monstres sacrés du vieil Hollywood : Joan Crawford et Bette Davis. Le résultat est poignant, grinçant, et absolument captivant.
Elles ont manifestement eu un plaisir fou, ces actrices, à se glisser dans la peau de deux icônes ayant été également célébrées pour leur beauté photogénique que publiquement humiliées, en raison de leur déchéance marquée par l’amertume, l’abus de substances et la déconfiture de leur enviable physique. Après avoir joué les nymphes, on les a reléguées au rang des vilaines.
Les deux personnages prennent place de part et d’autre du plateau, telles des reines égrenant leurs souvenirs, leur nostalgie, leurs regrets et leurs mépris réciproques. Un écran domine le fond de la scène où l’on voit le film de la vie de chacune. Cela permet de mettre en contexte ce qui précède la tumultueuse rivalité ayant régné lors du tournage du long métrage What Ever Happened to Baby Jane?, pivot central du texte du Français Jean Marbœuf.
Comme dans la minisérie Feud avec Susan Sarandon et Jessica Lange, la pièce évoque le rapport entre ces fausses amies qui se seraient détestées de façon soutenue pendant plus de quatre décennies. Une guerre de territoire qui se transforme en un insupportable effet miroir entre ce duo Némésis au destin cruellement similaire. Deux têtes fortes féminines ayant chacune à sa manière dominé une industrie où les femmes devaient être « tueuses » pour ne pas s’effacer, périr dans l’oubli ou, pire supplice, vieillir tranquillement dans l’indifférence.
Quelle importance, le temps qu’il nous reste…
Les Oscars, les mariages en série, les querelles nourries par la jalousie, les auditions, les restes de gloire qui trop vite s’effacent, les potins d’Hollywood, les amours et amourettes… Les personnages que campent Dorothée Berryman et Louise Turcot sont absorbés par les attributs identitaires qui ont permis à ces deux battantes de durer, malgré les ravages des années, la misogynie et le caractère impitoyable du métier.
En filigrane, il est question de leurs enfants, de leurs alliées et rivales — dont Marilyn Monroe, avec qui Joan Crawford aurait été brièvement liée — et du regard que pose Hollywood sur le physique de celles qui ont le culot de prendre de l’âge, plutôt que de mourir au sommet de leur beauté.
« Il n’y a pas de rôles pour les actrices vieillissantes. Il n’y a que de vieilles actrices », aurait déclaré Bette Davis.
Entremêlant faits réels, anecdotes et extraits d’archives, cette pièce, bien que très imprégnée d’un esprit vieillot, évoque drôlement des relents d’une culture toxique de l’image à tout prix qui se perpétue. De Guylaine Tremblay à Madonna, c’est le cas de toutes celles qui, par amour du métier mettent tout en œuvre pour déjouer le passage du temps, demeurent aussi des cibles d’un fiel digne des plus archaïques chasses aux sorcières. On sait que la fin ne sera pas heureuse pour celles marchant dans les pas de Bette Davis et de Joan Crawford.
Elles ont du courage, du talent, de l’énergie et du front, Dorothée Berryman et Louise Turcot, de prendre à bras le corps ce texte au sujet de l’âgisme et de tous les travers d’une industrie dont les violences sont trop souvent masquées. Elles nous disent qu’elles servent mieux leur art à pratiquer leur métier qu’à se bercer tranquillement en regardant tomber la neige à travers la fenêtre. Si dans sa forme actuelle, la pièce est davantage une lecture qu’une œuvre théâtrale à proprement parler, on ose espérer qu’elle continuera à se développer avec plus de moyens et de dimensions scéniques.
En cette période des Oscars, où la gifle de Will Smith est encore fraîche dans nos esprits, Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford ? nous rappelle que les hommes ne sont pas les seuls acteurs de ce ring où la vengeance est un plat qui se mange froid.
Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford ?
Texte : Jean Marbœuf. Mise en scène : Miguel Doucet. Assistance à la mise en scène : Marie Ève Tardy. Conception éclairage : Anne-Catherine Simard Deraspe. Conception vidéo : Steve Turmel. Musique : François Plante. Avec Dorothée Berryman et Louise Turcot. Une production du Théâtre Globe Bulle Rouge, présentée dans les Maisons de la culture à Montréal jusqu’au 25 mars 2023.