Critiques

Manikanetish : Tendre la main et le cœur

© Danny Taillon

La compagnie wendat Ondinnok a eu 35 ans en 2020. Des artistes comme Émilie Monnet (Onishka) et Soleil Launière (Auen) travaillent professionnellement depuis une quinzaine d’années. De leur côté, les productions Menuentakuan soufflent dix chandelles cette année. Le théâtre autochtone n’est donc pas né d’hier.

Avec Manikanetish, une autre belle page de cette histoire riche est tournée : des comédien∙nes issu∙es des Premières Nations interprètent une pièce écrite par l’une des leurs sur la plus grande scène montréalaise, chez Duceppe. Sur un plateau rappelant un gymnase d’école, les artistes se réchauffent avant le spectacle en interpelant les spectateurs en français et en Innu, saluant quelques amis présents dans l’assistance. Ce climat amical durera tout au long du récit, une adaptation du roman du même nom de Naomi Fontaine.

Après des études à Québec, Yammie retourne dans son village de Uashat pour enseigner dans un établissement secondaire à des adolescent∙es et à de jeunes adultes qui ont perdu foi dans le système scolaire. Les premiers cours sont ardus et la pauvre Yammie se demande bien ce qu’elle est allée faire dans ce canot qui prend l’eau. Les problèmes de la communauté sont nombreux, se reflétant dans l’esprit rebelle des élèves.

© Danny Taillon

Même si Yammie n’a jamais fait de théâtre, la direction lui confie la mise en scène de la pièce Le Cid de Corneille. D’abord critiquée par les élèves, cette initiative brisera peu à peu l’iceberg de leur méfiance et permettra à tous et toutes d’émerger de leur coquille. La magie du théâtre.

Cette histoire de prise de conscience et de confiance est celle, touchante, d’une communauté de la Côte Nord, mais devient aussi celle des spectateurs et des spectatrices qui, pour beaucoup, sont placés devant un groupe de jeunes artistes autochtones pour la toute première fois. Initié∙es à la langue et la culture innue par une histoire simple et amusante d’émancipation par la pratique des arts.

Travail d’équipe

Le metteur en scène Jean-Simon Traversy a su rassembler un groupe où les débutant∙es peuvent s’appuyer sur les interprètes professionnel∙les pour donner le meilleur d’eux et d’elles-mêmes. La nervosité et les erreurs des plus jeunes sont ainsi gommées quelque peu par un orchestre bien structuré.

La présence de l’autrice Naomi Fontaine est une bonne idée qui donne du poids au personnage principal. La romancière se veut l’expression de la voix intérieure de Yammie, ajoutant une couche de compréhension aux dilemmes auxquels la protagoniste fait face. Omniprésente, la musique d’Étienne Thibeault s’avère un liant parfait entre les différents tableaux. Le va-et-vient constant sur scène permet également des transitions fluides.

Voilà donc une pièce chorale et fort sympathique où tout le monde pousse le bateau dans la même direction en même temps, nous tendant la main et le cœur pour faire partie de ce qu’on peut considérer comme une véritable tentative de réconciliation entre les nations.

Malgré ses failles, Manikanetish représente une pièce de plus dans l’éventail offert par le théâtre autochtone depuis des années. Une étape importante qui empêche de détourner le regard à propos de réalités concrètes que l’on ne se doit plus d’ignorer.

© Danny Taillon

Manikanetish

Texte : D’après le roman de Naomi Fontaine. Mise en scène : Jean-Simon Traversy. Adaptation théâtrale : Naomi Fontaine et Julie-Anne Beauregard. Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort. Scénographie : Xavier Mary. Costumes Jocelyne Jean-Pierre Bellefleur. Lumière : Gonzalo Soldi (mirari). Musique : Étienne Thibeault. Accessoires : Alice Turcotte. Avec Lashuanna Aster Vollant, Charles Buckell-Robertson, Marcorel Fontaine, Naomi Fontaine, Sharon Fontaine-Ishpatao, Marc-Olivier Gingras, Emma Rankin, Scott Riverin, Jean-Luc Shapatu Vollant, Étienne Thibeault et Alexia Vinci. Une production de Duceppe avec le soutien de la Fondation Cole, présentée chez Duceppe du 8 mars au 8 avril 2023.