Critiques

Beau gars : Donner l’heure juste sur une représentation féminine injuste

© Valérie Remise

Elles ne sont ni en colère, ni vindicatives, et surtout, pas fragiles. Les narratrices de Beau gars entendent bien nous montrer combien l’image de la femme véhiculée par les films et les séries est sexiste, réductrice, dégradante et stéréotypée. Pour ce faire, elles analysent et commentent les comportements de leurs héroïnes de fictions préférées. Car dans leur monde de divertissement, ce sont bien les femmes qui sont mises en valeur et les hommes qui sont objectivés. Et ces narratrices, en public implacable, adoptent des attitudes et des réflexions typiquement masculines. Leurs armes de prédilection ? L’humour, l’ironie, l’absurde et un brin d’excitation.

Tout commence par cet homme-objet, interprété par Gabriel Lemire, moulé dans des vêtements qui ne laissent que peu de place à l’imagination. Il fait partie du décor, car dans Beautiful Man, texte d’origine né de la plume de Erin Shields, l’homme est là uniquement pour répondre aux besoins féminins. Il ne doit pas parler, encore moins broncher. Il doit être et c’est bien suffisant.

Puis les femmes entrent, drapées de somptueux costumes qui rappellent certaines fictions d’heroic fantasy. Leur réflexion à trois voix analyse d’abord les paroles et les actes de leur policière de série favorite, qui regarde elle-même une série, dans laquelle les protagonistes – féminines bien sûr – vont assister à une pièce de théâtre, puis à un spectacle de marionnettes. Telles des poupées russes télévisées, ces arts scéniques imbriqués les uns dans les autres nous permettent de rencontrer une reine, une amazone, une politicienne, une chasseuse, toutes issues d’époques distinctes. Eh oui : la dévalorisation dont il est question ne date pas d’hier. Nos narratrices admirent ces combattantes parce qu’elles agissent et s’imposent dans la fureur et le sexe.

La télévision qui nous est décrite par les comédiennes comporte un nombre révoltant de scènes toxiques, habituellement réservées aux femmes. Mais puisque les rôles sont inversés, ce sont ici les hommes qui subissent les violences scénaristiques imaginées par des autrices et des réalisatrices. De la nudité injustifiée jusqu’aux répliques coupés, en passant par des séquences insignifiantes dans le seul but de paraître jolis, les « beaux gars » de leurs séries sont réduits au plus simple vecteur narratif, proche du néant pour ainsi dire. Et c’est jouissif.

C’est jouissif pour les personnages féminins, qui décrivent les intentions et les actions de leurs héroïnes avec un certain sadisme, empreint d’humour caustique. Et même si elles partagent ce plaisir, chacune le vit à sa façon, et sur ce point, le jeu des comédiennes est remarquable. On peut facilement les caractériser et définir ce qui les excite le plus. Oui, le sexe est omniprésent dans la pièce, car il est le nerf de la guerre. Les femmes présentées soumettent, pénètrent, agressent et humilient. Et sur la scène, certains actes de violence sexuelle sont reproduits entre l’une des interprètes (hypnotique Marie Bernier) et l’homme-objet. C’est frontal, c’est direct et ça marque les esprits.

© Valérie Remise

Rêver de pouvoir alors que le plus fondamental reste à faire

La mise en scène épurée fait la part belle à un texte fluide et mordant, qui témoigne d’une traduction opérée de main de maître par Olivier Sylvestre. Les idées – pourtant nombreuses et enchevêtrées – déferlent dans une clarté absolue, les images se forment avec précision dans nos têtes, notamment cette description de broyage de zones intimes qui a dû provoquer quelques sueurs froides chez les hommes de l’assistance.

La première partie se finit sur une montée dramatique et laisse place à une deuxième histoire plus réelle et tristement plus actuelle. Celle d’une femme, interprétée bien sûr par Gabriel Lemire – qui fait état des difficultés et des peurs liées à sa simple condition féminine. Le comédien, jusque-là en retrait, offre une performance habitée et plus que convaincante. Son solo est un réveil brutal après avoir pensé, l’espace d’un spectacle, qu’une culture populaire où les femmes auraient enfin le beau rôle était possible.

Ce sera d’ailleurs le seul bémol de l’ensemble de la pièce. L’utopie exposée en premier lieu est suffisamment efficace pour nous brosser un portrait complet de la perception des femmes à la télévision et au cinéma, et pour nous amener à réfléchir sur nos propres choix de divertissement. Terminer sur la volonté de changer la donne par de possibles exemples d’héroïnes fortes aurait pu être un message pertinent.

Cela dit, et compte tenu de l’actualité récente, rappeler que la juste représentation des femmes sur nos écrans – et dans bien d’autres domaines – se fait toujours attendre, est loin d’être inutile. 

© Valérie Remise

Beau gars

Texte : Erin Shields. Traduction : Olivier Sylvestre. Mise en scène : Guillermina Kerwin. Assistance à la mise en scène : Marguerite Hudon. Scénographie : Anne-Sophie Gaudet. Costumes : Marie-Audrey Jacques. Éclairages : Tiffanie Boffa. Conception sonore : Andréa Marsolais-Roy. Coiffure et maquillage : Victoria Chiron. Construction du décor : Atelier Gaufab, Christian Larochelle. Coupeur : Paul Rose. Direction de production : Jon Lachlan Stewart. Direction technique : Ophélie Lacasse. Équipe technique : Alexis Aubé, Audrey Belzile, Flavie Lemée, Sarah Merrette-Fournier, Lindsay Morneau. Avec Oumy Dembele, Marie Bernier, Cynthia Wu-Maheux, Gabriel Lemire. Une création du Théâtre Surreal SoReal en codiffusion avec le Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 7 avril. 

Charleyne Bachraty

À propos de

Danseuse et chorégraphe de formation, Charleyne Bachraty est aussi comédienne depuis plus de 15 ans. En parallèle, elle est également rédactrice, journaliste et narratrice.