Critiques

Landscape Grindr : Métadiscours métadiscursif

© Felix Bonnevie

À la tête d’une équipe pluridisciplinaire de cinq performeurs et performeuses, Michael Martini présente à La Chapelle une mise en abyme queer de la vie de l’artiste, captée à travers divers concepts et bribes du quotidien.

Branche d’arbre, tente de camping, écran vertical appuyé sur un tabouret, chaise de jardin, rouleau de faux gazon, magnétophone, etc. C’est dans ce désordre intrigant qu’entrent les actrices et acteurs qui s’assureront, dans un premier temps, de marteler qu’il n’y a pas de quatrième mur ni de suspension du réel, avant de laisser la place à celui qui signe à la fois le texte, la mise en scène et la vidéo.

Un début trop pédagogique pour La Chapelle, diront certain·es, théâtre qui brille par ses choix artistiques décentrés, expérimentaux, avant-gardistes et ancrés dans la communauté montréalaise, et où le concept d’illusion dramatique est un non-lieu depuis bien longtemps.

Au fur et à mesure des huit parties de ce long témoignage, Martini développe un propos vague et brouillon (de son propre aveu) sur la violence sexuelle, les changements climatiques, les conditions de vie de l’artiste et la fluidité du genre. Pour ce faire, il mettra en scène sa mère, sa sœur, son lapin, ainsi que plusieurs allégories telles que le Temps, la Chute d’eau ou encore la Nature. Bien évidemment, l’application de rencontre Grindr occupe une grande place sur cette scène. Dans cette application, afin de conserver l’anonymat, il arrive que des utilisateurs publient une photo de paysage, plutôt que leur visage, comme photo de profil, d’où le titre.

© Felix Bonnevie

Labyrinthe et superposition

De quoi est-il réellement question ? Cela ne semble pas être une préoccupation importante, l’essentiel étant les questionnements entourant la notion de crédibilité dans un monde en déliquescence. Le tout est non linéaire, équivoque, et dit sur un ton généralement monotone, à deux ou trois exceptions près. Ce serait très bien si cela menait à une unification des différents rebondissements en une résolution quelconque, or il n’y en a pas vraiment, ce qui fait penser que l’ensemble est certainement intéressant théoriquement, mais qu’il reste sans aucun doute un travail de défrichage à effectuer pour arriver à une plus grande cohérence.

Il est parfois difficile de distinguer le fondamental de l’insignifiant, comme le montre bien la première partie. Le début du monologue est entrecoupé par la projection incessante de textes sur un écran blanc, l’écran (ou le projecteur ?) étant son propre personnage. Que faire, alors ? L’écoute attentive empêche la lecture et vice versa. On pousse un râle de soulagement lorsqu’il finit par tomber sur le sol.

Dans cette commotion, on se satisfait des courtes scènes de comique de geste et de situation (la Nature traversant l’espace, vêtue des habits de la mère ; l’acteur mimant le temps qui ne s’écoule pas) qui donnent un rythme à une œuvre trop souvent privée d’une cadence perceptible, malgré les appels récurrents à la structure et aux titres.

Perçue comme une méditation sur la manière de s’inscrire en tant que personne queer dans un contexte d’explosion du sens et de remise en question de la place de l’humanité dans la nature, la performance se construit autour de sa propre construction. Mais à travers ce méandre toponymique saturé de culs-de-sac, où l’on refuse une hiérarchisation minimale des thèmes, des péripéties et des personnages qui induirait une direction globale, il y a peu de choses que l’on retient réellement.

Si Gabe Maharjan livre un monologue parfois passionné sur la violence vécue et les remises en question inhérentes à la fluidité du genre, c’est le jeu de Justin de Luna qui émerge de cet imbroglio. Ce dernier sert d’exutoire ponctuel, humoristique et absurde, qui permet de s’ébrouer un peu durant la longue quête de sens que propose cette œuvre.

Michael Martini n’en est pas à ses premiers pas au théâtre. Le OFFTA de Montréal et le festival Summerworks de Toronto avaient déjà accueilli Ça a l’air synthétique bonjour hi en 2018, une performance qui traitait de l’intimité et du consentement et qui rémunérait certain·es membres de l’assistance voulant s’impliquer dans son action.

Ici aussi, le public est sollicité, mais d’une manière nettement plus passive : il doit survivre au temps qui passe. Un fait qu’on lui rappelle à de nombreuses reprises, ironiquement ou non.

Landscape Grindr

Texte, mise en scène et création vidéo : Michael Martini. Dramaturgie : Susanna Fournier. Vidéo : Casper Wolski et Timothy Thomasson. Éclairages : Darah Miah. Assistance aux éclairages : Nien Tzu Weng et Trinity McQuillan. Assistance à la production : Mycelium. Traduction et surtitrage : Elaine Normandeau. Avec Michael Martini, Gabe Maharjan, Emma-Kate Guimond et Lenore Claire Herrem. Une production de La Chapelle Scènes Contemporaines présentée à La Chapelle jusqu’au 15 avril 2023.