Cette nouvelle création du collectif À Gorge déployée se veut une « ode à la communauté LGBTQIA2S+ », selon Pierre-Olivier Roussel, qui en signe le texte et la mise en scène. Si l’argument est simple — une rencontre entre six ami·es pour se costumer quelques heures avant la marche des fiertés —, le spectacle donne l’occasion de suivre des parcours et des enjeux incarnés par chaque protagoniste en poussant la réflexion sur des pistes parfois négligées, tout en offrant de beaux moments de spectacle, faits de ruptures, de clins d’œil et de séquences comiques. C’est à force de surprises et de détours assumés que nous plongeons dans l’intime.
Alors que le public est encore en train de s’asseoir, une musique électro se fait entendre. Une comédienne entre en scène et se place derrière une longue table basse, drapée de blanc, au bord du plateau. Elle semble en méditation, mains ouvertes, et elle sera rejointe par cinq interprètes qui prennent des poses suggérant celles des protagonistes de la dernière Cène, le repas du Christ avec ses disciples. En arrière, le dispositif évoque un atelier de costumes aux airs de boudoir (canapé, fauteuils, tissus et voilages en guise de rideaux ou de cloisons, machine à coudre et accessoires de couture).
La musique monte et tout le monde se met en mouvement, la table est déplacée, des groupes se forment, rigolent, s’embrassent, dansent, portent des toasts. On est en plein party, des bribes de phrases sont échangées, puis tout ralentit avant d’exploser à nouveau. Avec un accessoire en guise de micro, une comédienne fait un lip-sync sur le message d’accueil du théâtre, puis un jeune homme, Benji, s’adresse au public et, tel un meneur de revues, lui présente les Fabuleuses du titre ! Il y a Maeva, la Divine, Gaëlle, l’Harmonieuse, Fred la Guerrière, Alexis, la Séductrice (en soirée, elle frenche tout le monde), Elsa la Femme sans pêché (en référence à son catholicisme revendiqué) et Benji, la Précieuse.
Entre revue et approche documentaire
Ce qui ne devait être qu’un simple moment d’exploration parmi les costumes, mis à leur disposition (Maeva semble partager cet atelier avec d’autres artistes), va devenir l’occasion d’échanges intimes et d’évocation du parcours personnel et familial de chaque protagoniste, notamment concernant l’acceptation de son identité à l’orée de la vingtaine.
On comprend que Maeva s’accepte depuis peu comme lesbienne — d’où son costume de Phénix, « celui qui renaît de ses cendres », que personne ne semble reconnaître ! Le frère d’Alexis ne lui parle plus par rejet de son mode de vie au moment où son père pense que le terme non binaire désigne les personnes qui sont allées sur la lune ! Les bouteilles sortent, les discussions s’engagent, les costumes s’inventent et l’on se maquille à coups de couleurs et de paillettes.
Le ton se fait doucement plus intrusif et Elsa est questionnée sur sa foi. Quand elle explique pourquoi elle aime aller à la messe et ce que représente pour elle l’amour du prochain, Alexis lui assène : « être catho, c’est être homophobe ».
Après quelques shooters de réconciliation, Alexis se lance dans une distinction hasardeuse entre les gays et les lesbiennes autour de sa peur de se faire tabasser : « vous les femmes, ils n’oseront pas vous taper, car ils sont excités ! ». Le groupe, unanime, lui rétorque qu’il est moins en danger que l’une d’elle ou qu’une personne trans, puis quelqu’un lance : « j’ai la chienne d’être une fille, j’ai la chienne d’être discriminée, tabassée, violée ». Une autre demande : « est-ce qu’on est juste ami·es parce qu’on est queer ? ». Silence, malaise dans le local.
Et ce malaise est très juste dans ce qu’il pointe d’incompréhension potentielle et de solitude dans la grande communauté LGBTQ, malgré un même faisceau de combats et des expériences communes de discrimination. Dans ce groupe, on sent bien comment l’amitié fait office de ciment et va permettre de dépasser ces divergences et ces frictions (sur scène, cela est aussi assurée par une belle cohésion et un engagement physique fort).
Lorsque Fred déclare à son ex : « t’as le droit d’être fière Maeva, mais en même temps t’as toujours pas fait ton coming out », cette dernière, énervée, un peu saoule ou juste portée par l’énergie des échanges, décide d’appeler sa mère — avec qui elle a déjà parlé, en arabe, au début du spectacle. Benji dit : « cher public, vous allez assister à un grand moment de vulnérabilité ».
Ces ruptures dans la narration, ces changements de ton et de rythme sont de belles trouvailles de mise en scène, alliées à un sens précis de l’image scénique. Le spectacle y trouve alors son ressort et sa griffe. La référence aux revues et à Broadway ne semble pas toujours solide, même si le glamour et la flamboyance sont au rendez-vous !
Texte et mise en scène : Pierre-Olivier Roussel. Assistance à la mise en scène : Lauréanne Dumoulin. Mentorat à la mise en scène et œil extérieur : Jean-Sébastien Ouellette. Mentorat à l’écriture : Isabelle Hubert. Scénographie : Alice Poirier. Éclairage : Émily Wahlman. Conception sonore : Jorie Pednault. Chorégraphie : Alice Vermandele. Direction de production : Elizabeth Lavoie. Avec Megan Bastien, Ludovic Jean, Laurent Marion, Myriam Lenfesty, Ines Sirine Azaiez, Clara Vecchio. Une production du collectif À gorge déployée, présentée à Premier Acte jusqu’au 22 avril 2023.
Cette nouvelle création du collectif À Gorge déployée se veut une « ode à la communauté LGBTQIA2S+ », selon Pierre-Olivier Roussel, qui en signe le texte et la mise en scène. Si l’argument est simple — une rencontre entre six ami·es pour se costumer quelques heures avant la marche des fiertés —, le spectacle donne l’occasion de suivre des parcours et des enjeux incarnés par chaque protagoniste en poussant la réflexion sur des pistes parfois négligées, tout en offrant de beaux moments de spectacle, faits de ruptures, de clins d’œil et de séquences comiques. C’est à force de surprises et de détours assumés que nous plongeons dans l’intime.
Alors que le public est encore en train de s’asseoir, une musique électro se fait entendre. Une comédienne entre en scène et se place derrière une longue table basse, drapée de blanc, au bord du plateau. Elle semble en méditation, mains ouvertes, et elle sera rejointe par cinq interprètes qui prennent des poses suggérant celles des protagonistes de la dernière Cène, le repas du Christ avec ses disciples. En arrière, le dispositif évoque un atelier de costumes aux airs de boudoir (canapé, fauteuils, tissus et voilages en guise de rideaux ou de cloisons, machine à coudre et accessoires de couture).
La musique monte et tout le monde se met en mouvement, la table est déplacée, des groupes se forment, rigolent, s’embrassent, dansent, portent des toasts. On est en plein party, des bribes de phrases sont échangées, puis tout ralentit avant d’exploser à nouveau. Avec un accessoire en guise de micro, une comédienne fait un lip-sync sur le message d’accueil du théâtre, puis un jeune homme, Benji, s’adresse au public et, tel un meneur de revues, lui présente les Fabuleuses du titre ! Il y a Maeva, la Divine, Gaëlle, l’Harmonieuse, Fred la Guerrière, Alexis, la Séductrice (en soirée, elle frenche tout le monde), Elsa la Femme sans pêché (en référence à son catholicisme revendiqué) et Benji, la Précieuse.
Entre revue et approche documentaire
Ce qui ne devait être qu’un simple moment d’exploration parmi les costumes, mis à leur disposition (Maeva semble partager cet atelier avec d’autres artistes), va devenir l’occasion d’échanges intimes et d’évocation du parcours personnel et familial de chaque protagoniste, notamment concernant l’acceptation de son identité à l’orée de la vingtaine.
On comprend que Maeva s’accepte depuis peu comme lesbienne — d’où son costume de Phénix, « celui qui renaît de ses cendres », que personne ne semble reconnaître ! Le frère d’Alexis ne lui parle plus par rejet de son mode de vie au moment où son père pense que le terme non binaire désigne les personnes qui sont allées sur la lune ! Les bouteilles sortent, les discussions s’engagent, les costumes s’inventent et l’on se maquille à coups de couleurs et de paillettes.
Le ton se fait doucement plus intrusif et Elsa est questionnée sur sa foi. Quand elle explique pourquoi elle aime aller à la messe et ce que représente pour elle l’amour du prochain, Alexis lui assène : « être catho, c’est être homophobe ».
Après quelques shooters de réconciliation, Alexis se lance dans une distinction hasardeuse entre les gays et les lesbiennes autour de sa peur de se faire tabasser : « vous les femmes, ils n’oseront pas vous taper, car ils sont excités ! ». Le groupe, unanime, lui rétorque qu’il est moins en danger que l’une d’elle ou qu’une personne trans, puis quelqu’un lance : « j’ai la chienne d’être une fille, j’ai la chienne d’être discriminée, tabassée, violée ». Une autre demande : « est-ce qu’on est juste ami·es parce qu’on est queer ? ». Silence, malaise dans le local.
Et ce malaise est très juste dans ce qu’il pointe d’incompréhension potentielle et de solitude dans la grande communauté LGBTQ, malgré un même faisceau de combats et des expériences communes de discrimination. Dans ce groupe, on sent bien comment l’amitié fait office de ciment et va permettre de dépasser ces divergences et ces frictions (sur scène, cela est aussi assurée par une belle cohésion et un engagement physique fort).
Lorsque Fred déclare à son ex : « t’as le droit d’être fière Maeva, mais en même temps t’as toujours pas fait ton coming out », cette dernière, énervée, un peu saoule ou juste portée par l’énergie des échanges, décide d’appeler sa mère — avec qui elle a déjà parlé, en arabe, au début du spectacle. Benji dit : « cher public, vous allez assister à un grand moment de vulnérabilité ».
Ces ruptures dans la narration, ces changements de ton et de rythme sont de belles trouvailles de mise en scène, alliées à un sens précis de l’image scénique. Le spectacle y trouve alors son ressort et sa griffe. La référence aux revues et à Broadway ne semble pas toujours solide, même si le glamour et la flamboyance sont au rendez-vous !
Les Fabuleuses
Texte et mise en scène : Pierre-Olivier Roussel. Assistance à la mise en scène : Lauréanne Dumoulin. Mentorat à la mise en scène et œil extérieur : Jean-Sébastien Ouellette. Mentorat à l’écriture : Isabelle Hubert. Scénographie : Alice Poirier. Éclairage : Émily Wahlman. Conception sonore : Jorie Pednault. Chorégraphie : Alice Vermandele. Direction de production : Elizabeth Lavoie. Avec Megan Bastien, Ludovic Jean, Laurent Marion, Myriam Lenfesty, Ines Sirine Azaiez, Clara Vecchio. Une production du collectif À gorge déployée, présentée à Premier Acte jusqu’au 22 avril 2023.