Critiques

Le rêveur dans son bain : Abracadabra!

© Yves Renaud

Après le laboratoire de création présenté au TNM au printemps 2021, voici la version aboutie du Rêveur dans son bain. Dès le départ, on est frappé par la beauté du décor de Jonas Veroff Bouchard : un immense bric-à-brac évoquant un grenier aux mille merveilles où enfants comme adultes pourraient passer des heures à farfouiller. Au fond de la scène, une immense toile composée de rectangles évoquant des feuilles de papier vierge, sur lequel s’épanouiront au fil du spectacle des montages de films, de bandes dessinées, de photographies. Car cette nouvelle pièce d’Hugo Bélanger, qui signe à la fois le texte et la mise en scène, est un hommage aux artistes visionnaires de la fin du 19e siècle et du début du 20e, qui ont contribué à enrichir notre imaginaire et à ouvrir de nouvelles perspectives par leur créativité.

Sur la scène, bien sûr, on voit la baignoire évoquée dans le titre, dans laquelle le rêveur (Normand D’Amour) est couché depuis 20 ans, comme en témoigne la longueur de ses cheveux. C’est depuis ce refuge qu’il explique au jeune Octave comment stimuler son imagination pour se faire conteur et quelles ont été ses propres influences : le cinéaste Georges Méliès, à qui l’on doit Le voyage dans la lune; l’illusionniste Jean-Eugène Robert-Houdin, considéré comme le père de la magie moderne; le dessinateur Winsor McCay, créateur de Little Nemo; Hannah Höch, une artiste plasticienne du mouvement Dada; et Alice Guy-Blaché, une pionnière du cinéma de fiction.

© Yves Renaud

Sans parler de sa muse, Ondine (Cynthia Wu-Maheux), photographe de génie et mère de son fils, lequel, rendu adulte (Renaud Lacelle-Bourdon), aimerait bien voir son géniteur sortir du bain et de son monde intérieur. C’est qu’à force de rêver, le baigneur a oublié de vivre sa vie et a accordé plus d’intérêt à son enfant imaginaire qu’à celui qui respirait dans la même maison que lui. Le génie créatif vaut-il qu’on lui sacrifie tout le reste? Chacun en jugera, mais une chose est sûre : sans histoires, la vie est bien triste.

Tout au long de la pièce, le rêve est à la fois construit et déconstruit par l’analyse. Comme dans les autres spectacles de Bélanger, l’influence de la commedia dell’arte est bien visible, dans la gestuelle amplifiée des personnages, le rythme galopant (au début notamment), l’humour satirique, le rapport avec le public et certains traits archétypaux. Sans parler des diverses astuces scéniques qui nous plongent avec délice dans la magie du théâtre et le pouvoir extraordinaire de l’imagination, sujet même de la pièce.

Aux effets spéciaux s’ajoutent des numéros d’illusionnistes parfaitement maîtrisés créant un univers ludique et enchanteur. Les comédiennes et comédiens, pour la plupart habitué∙es à travailler avec Bélanger, y sont parfaitement à l’aise. Soulignons la prestation de Sébastien René (que l’on avait notamment vu dans Becoming Chelsea), en Octave sautillant et ébahi, inspiré du personnage de bande dessinée de Fred, Philémon. Il faut aussi saluer le talent de l’équipe de conception. Le passage où l’on construit sous nos yeux une page de bande dessinée est un moment de pur émerveillement.

Côté texte, malheureusement, on reste sur notre faim, avec un certain nombre de lieux communs, notamment sur le rôle de l’art et les femmes oubliées de l’histoire, quelques explications trop appuyées, et des scènes hors registre maladroites et ennuyeuses vers la fin. Toutefois, ceci ne gâche pas notre plaisir et il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas sortir ébloui et réjoui de ce spectacle.

Pour celles et ceux qui en redemanderaient ou qui voudraient initier leur progéniture, un autre spectacle d’Hugo Bélanger, Alice de l’autre côté, est également à l’affiche à la Maison Théâtre.

© Yves Renaud

Le rêveur dans son bain

Texte original et mise en scène : Hugo Bélanger. Avec : Carl Béchard, Éloi Cousineau, Normand D’Amour, Renaud Lacelle-Bourdon, Carl Poliquin, Sébastien René, Marie-Ève Trudel et Cynthia Wu-Maheux. Conseiller dramaturgique : Pierre Yves Lemieux. Assistance à la mise en scène : Stéphanie Raymond. Décor : Jonas Veroff Bouchard. Costumes : Marie Chantale Vaillancourt. Éclairages : Luc Prairie. Musique originale et environnement sonore : Ludovic Bonnier. Conception vidéo : Thomas Payette/Mirari. Accessoires : Alain Jenkins. Maquillages : Maryse Gosselin. Une création du Théâtre Tout à Trac, en collaboration avec le Théâtre du Nouveau Monde, présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 27 mai 2023.