Si, dans les premiers temps du présent siècle, le visuel a accaparé la sphère publique, l’oralité y occupe une place prépondérante depuis déjà quelques années. L’immense popularité des balados indique à quel point l’ouïe, dans un contexte de fragmentation des médias, a soif de connexion humaine. Chacun∙e dans nos chambres d’écho, la rencontre avec la musique et la voix nourrit et rallume notre lien avec l’autre. La radio est un « médium chaud », comme le disait jadis Marshall McLuhan.
C’est un peu la prémisse de L’écoute d’une émotion, pièce qui occupe la scène d’Espace Go ces jours-ci. Une œuvre esthétiquement achevée, qui réunit plusieurs éléments scéniques à la fois audacieux et efficaces. À commencer par la présence solo de Larissa Corriveau, une comédienne à la voix chaude et envoûtante qui, habilement, se promène d’un niveau de sens à l’autre, dans ce texte dense et très riche.
On retrouve ainsi la comédienne dos au public, installée au bout de sa chaise d’animatrice dans le cadre d’une émission radiophonique qui invite à la confidence et, justement, à l’écoute de l’expression vocale. Sur un ton chaleureux de fin de soirée qui rappelle les belles heures de Myra Cree à l’antenne de Radio-Canada, le personnage nous invite à la suivre dans le récit d’une escapade amoureuse dont le moteur est un désir que l’on choisit de vivre en dépit de tout.
Solo amoureux
Larissa Corriveau a recours à un jeu très physique, pour livrer ce monologue d’une grande profondeur signé Marie-Laurence Rancourt. Avec une agilité quasi athlétique, elle nous entraîne dans l’univers intérieur de cette animatrice et journaliste qui utilise sa curiosité dans sa quête urbaine du cœur et du corps d’un musicien qu’elle a croisé sur sa trajectoire professionnelle.
En couple, on apprend vite que la dimension extraconjugale d’une épopée personnelle nourrit à la fois la culpabilité et la curiosité de transgresser les codes. La protagoniste s’y lance toutefois. Elle décrit l’escalier vers l’appartement de celui qu’elle convoite, nous donne les détails de ce qui s’y passe quand elle et lui passent aux actes.
Et s’ensuit un dénouement où la tête et le rationnel prennent le dessus, dans une sorte de danse torturée intérieure où le corps et le cœur se chamaillent, pendant que l’esprit tente de trouver un peu de sens dans le chaos.
Le micro du réel
Il y a une dimension très féministe, voire du domaine de l’empuissancement, dans cette pièce où le féminin et sa vision du monde occupent la place sans besoin de demander la permission, ni de prendre un ton revendicateur.
Un chœur composé de cinq chanteuses surgit à quelques instants, avec des airs qui offrent une sorte de cocon bienveillant à la protagoniste. Femme-orchestre, celle-ci porte sur ses frêles épaules tous les rôles : celle de narratrice du réel, de DJ, d’amoureuse, de preneuse de notes et de penseuse perpétuelle…
On perçoit dans ce choix une prise de position au sujet du destin et du désir féminin occidental en 2023. C’est un sujet qui reste malgré tout peu exploré et cette réticence de notre monde à ouvrir l’espace et l’écoute à cette dimension de la condition des femmes demeure bien réelle.
Pour cette raison, de même que pour la qualité globale de la production, L’écoute d’une émotion est une expérience théâtrale très novatrice, qui se démarque. On y retrouve des influences de l’univers des balados, alors que se dégagent les voix absolument uniques et assumées d’une cohorte d’artistes qui ont très bien su mettre leurs talents au service d’un objet qui capture à tous points de vue les contours de notre temps. S’en dégage une expérience des sens à la fois cérébrale et émotive tout à fait unique.
Texte et mise en scène : Marie-Laurence Rancourt. Assistance à la mise en scène : Vanessa Beaupré. Scénographie : Odile Gamache. Assistance à la scénographie : Charlie Loup S. Turcot. Mouvement : Geneviève Boulet. Lumière : Chantal Labonté. Conception sonore : Daniel Capeille. Costume : Cynthia St-Gelais. Avec : Larissa Corriveau, Jacinthe Bellemare, Marie-Anick Blais, Lili Morin-Prévost, Ève Saint-Louis. Une création de Magnéto en coproduction avec le Théâtre français du CNA avec la collaboration d’Espace Go, présentée à Espace Go du 9 au 20 mai 2023.
Si, dans les premiers temps du présent siècle, le visuel a accaparé la sphère publique, l’oralité y occupe une place prépondérante depuis déjà quelques années. L’immense popularité des balados indique à quel point l’ouïe, dans un contexte de fragmentation des médias, a soif de connexion humaine. Chacun∙e dans nos chambres d’écho, la rencontre avec la musique et la voix nourrit et rallume notre lien avec l’autre. La radio est un « médium chaud », comme le disait jadis Marshall McLuhan.
C’est un peu la prémisse de L’écoute d’une émotion, pièce qui occupe la scène d’Espace Go ces jours-ci. Une œuvre esthétiquement achevée, qui réunit plusieurs éléments scéniques à la fois audacieux et efficaces. À commencer par la présence solo de Larissa Corriveau, une comédienne à la voix chaude et envoûtante qui, habilement, se promène d’un niveau de sens à l’autre, dans ce texte dense et très riche.
On retrouve ainsi la comédienne dos au public, installée au bout de sa chaise d’animatrice dans le cadre d’une émission radiophonique qui invite à la confidence et, justement, à l’écoute de l’expression vocale. Sur un ton chaleureux de fin de soirée qui rappelle les belles heures de Myra Cree à l’antenne de Radio-Canada, le personnage nous invite à la suivre dans le récit d’une escapade amoureuse dont le moteur est un désir que l’on choisit de vivre en dépit de tout.
Solo amoureux
Larissa Corriveau a recours à un jeu très physique, pour livrer ce monologue d’une grande profondeur signé Marie-Laurence Rancourt. Avec une agilité quasi athlétique, elle nous entraîne dans l’univers intérieur de cette animatrice et journaliste qui utilise sa curiosité dans sa quête urbaine du cœur et du corps d’un musicien qu’elle a croisé sur sa trajectoire professionnelle.
En couple, on apprend vite que la dimension extraconjugale d’une épopée personnelle nourrit à la fois la culpabilité et la curiosité de transgresser les codes. La protagoniste s’y lance toutefois. Elle décrit l’escalier vers l’appartement de celui qu’elle convoite, nous donne les détails de ce qui s’y passe quand elle et lui passent aux actes.
Et s’ensuit un dénouement où la tête et le rationnel prennent le dessus, dans une sorte de danse torturée intérieure où le corps et le cœur se chamaillent, pendant que l’esprit tente de trouver un peu de sens dans le chaos.
Le micro du réel
Il y a une dimension très féministe, voire du domaine de l’empuissancement, dans cette pièce où le féminin et sa vision du monde occupent la place sans besoin de demander la permission, ni de prendre un ton revendicateur.
Un chœur composé de cinq chanteuses surgit à quelques instants, avec des airs qui offrent une sorte de cocon bienveillant à la protagoniste. Femme-orchestre, celle-ci porte sur ses frêles épaules tous les rôles : celle de narratrice du réel, de DJ, d’amoureuse, de preneuse de notes et de penseuse perpétuelle…
On perçoit dans ce choix une prise de position au sujet du destin et du désir féminin occidental en 2023. C’est un sujet qui reste malgré tout peu exploré et cette réticence de notre monde à ouvrir l’espace et l’écoute à cette dimension de la condition des femmes demeure bien réelle.
Pour cette raison, de même que pour la qualité globale de la production, L’écoute d’une émotion est une expérience théâtrale très novatrice, qui se démarque. On y retrouve des influences de l’univers des balados, alors que se dégagent les voix absolument uniques et assumées d’une cohorte d’artistes qui ont très bien su mettre leurs talents au service d’un objet qui capture à tous points de vue les contours de notre temps. S’en dégage une expérience des sens à la fois cérébrale et émotive tout à fait unique.
L’écoute d’une émotion
Texte et mise en scène : Marie-Laurence Rancourt. Assistance à la mise en scène : Vanessa Beaupré. Scénographie : Odile Gamache. Assistance à la scénographie : Charlie Loup S. Turcot. Mouvement : Geneviève Boulet. Lumière : Chantal Labonté. Conception sonore : Daniel Capeille. Costume : Cynthia St-Gelais. Avec : Larissa Corriveau, Jacinthe Bellemare, Marie-Anick Blais, Lili Morin-Prévost, Ève Saint-Louis. Une création de Magnéto en coproduction avec le Théâtre français du CNA avec la collaboration d’Espace Go, présentée à Espace Go du 9 au 20 mai 2023.