Il est des spectacles qui tiennent à presque rien, qui nous rappellent que l’art vivant, que l’on aime habiller de flaflas de toutes sortes, puise sa richesse de son matériau premier : le vivant. C’est ce que l’on retient au sortir de la dernière chorégraphie de Catherine Gaudet, Les mondes parallèles, dans laquelle Sarah Williams et Louise Bédard construisent, par la seule force de leur présence, un univers tournoyant jusqu’au vertige.
Depuis le noir le plus total, un noir originel, on distingue deux corps à travers d’épaisses volutes de fumée. Un projecteur s’allume, la lumière demeure basse, jaune, et gagnera progressivement en intensité jusqu’à la fin. Les deux femmes semblent arriver dans un endroit qu’elles ne connaissent pas, un monde d’ombre où une timide lueur surgirait enfin, comme à la naissance d’une nouvelle étoile. Autour d’elles, les nuées se dissipent. Leurs gestes sont d’abord hésitants alors qu’elles font leurs premiers pas.
L’une à côté de l’autre, elles dessinent dans l’aire de jeu un grand cercle. Ce cercle, elles en retraceront la circonférence vingt fois, mille fois, tout au long de la performance, créant l’aire de jeu de leur chemin toujours recommencé. On pense à L’Espace vide de Peter Brook, essai dans lequel le mythique metteur en scène se faisait le fervent défenseur d’une mise en scène dépouillée au maximum qui rendrait possible, en l’absence de tout artifice (décor, éclairage, accessoires), le retour à l’essentiel : la recherche de vérités éternelles dans une théâtralité mouvante, loin de la sclérose des formes trop classiques, loin aussi de la dépendance actuelle à la technologie.
C’est ce qu’on a l’impression de voir en action dans cette pièce minimaliste où chaque geste, chaque mimique compose sur le canevas qu’est le parterre une œuvre pointilliste. On se prend au jeu, sans vraiment s’en rendre compte. On perd le fil du nombre de tours que les deux danseuses effectuent, on s’abandonne, tout bonnement, à la performance, comme elles le font aussi. D’ailleurs, un lien de connivence grandit rapidement et facilement entre elles et le public.
Transe et présence
L’expérience impressionnante des deux interprètes y est pour beaucoup. Dire que Louise Bédard est un monstre sacré de la danse n’est pas une hyperbole. À 68 ans, l’intensité de sa performance subjugue de la première seconde jusqu’à la dernière. Elle révèle une complète maîtrise de son corps et de la portée de chacun de ses gestes. Surtout, elle témoigne d’une conscience aiguisée de sa présence scénique, de l’effet qu’elle provoque. À travers des phrases chorégraphiques répétitives, qui suivent une progression à peine perceptible, elle occupe tout l’espace et captive l’assistance, l’entraînant avec elle dans une effervescence de plus en plus hypnotique.
Sarah Williams, l’initiatrice du projet, propose un véritable tour de force, elle aussi, dans lequel elle exprime sa personnalité propre, et ce, même si un parallélisme fort et une camaraderie de plus en plus franche sont maintenu·es entre les deux danseuses. Cela dit, il est plus difficile de lui consacrer l’attention qu’elle mérite tant Bédard absorbe tout sur son passage, bien malgré elle d’ailleurs.
Ainsi, pendant une heure, on suit cette exploration de l’espace par les deux interprètes, qu’elles s’approprient petit à petit et face auquel elles font preuve de moins en moins de retenue. Le corps prend plus de place, les mouvements se font plus assurés, plus larges aussi. Au fur et à mesure, elles prennent de l’assurance dans leurs évolutions circulaires, appuyées par la très efficace trame sonore d’Antoine Berthiaume, toute en basses pulsantes, qui répète incessamment le même motif en y ajoutant de légères variations.
Le tout se construit jusqu’à l’explosion en un apogée saisissant, glorieux – un moment de grâce orgastique, magique, qui réjouit, qui rassasie, qui donne le tournis, aussi. Un parcours superbe et superbement accompli, qui nous mène, à partir de trois fois rien, jusqu’à la béatitude. Un vrai moment de bonheur.
Idéation : Sarah Williams. Chorégraphie : Catherine Gaudet. Aide à la dramaturgie et direction des répétitions : Sophie Michaud. Aide à la répétition : Lucie Vigneault. Soutien à la dramaturgie : Mathieu Leroux. Direction de production : Mégane Trudeau. Direction technique : François Marceau. Lumière : Hugo Dalphond. Musique : Antoine Berthiaume. Costumes : Marilène Bastien. Avec Louise Bédard et Sarah Williams. Une coproduction de Sarah Williams et de l’Agora de la danse, présentée à l’Agora de la danse jusqu’au 20 mai 2023.
Il est des spectacles qui tiennent à presque rien, qui nous rappellent que l’art vivant, que l’on aime habiller de flaflas de toutes sortes, puise sa richesse de son matériau premier : le vivant. C’est ce que l’on retient au sortir de la dernière chorégraphie de Catherine Gaudet, Les mondes parallèles, dans laquelle Sarah Williams et Louise Bédard construisent, par la seule force de leur présence, un univers tournoyant jusqu’au vertige.
Depuis le noir le plus total, un noir originel, on distingue deux corps à travers d’épaisses volutes de fumée. Un projecteur s’allume, la lumière demeure basse, jaune, et gagnera progressivement en intensité jusqu’à la fin. Les deux femmes semblent arriver dans un endroit qu’elles ne connaissent pas, un monde d’ombre où une timide lueur surgirait enfin, comme à la naissance d’une nouvelle étoile. Autour d’elles, les nuées se dissipent. Leurs gestes sont d’abord hésitants alors qu’elles font leurs premiers pas.
L’une à côté de l’autre, elles dessinent dans l’aire de jeu un grand cercle. Ce cercle, elles en retraceront la circonférence vingt fois, mille fois, tout au long de la performance, créant l’aire de jeu de leur chemin toujours recommencé. On pense à L’Espace vide de Peter Brook, essai dans lequel le mythique metteur en scène se faisait le fervent défenseur d’une mise en scène dépouillée au maximum qui rendrait possible, en l’absence de tout artifice (décor, éclairage, accessoires), le retour à l’essentiel : la recherche de vérités éternelles dans une théâtralité mouvante, loin de la sclérose des formes trop classiques, loin aussi de la dépendance actuelle à la technologie.
C’est ce qu’on a l’impression de voir en action dans cette pièce minimaliste où chaque geste, chaque mimique compose sur le canevas qu’est le parterre une œuvre pointilliste. On se prend au jeu, sans vraiment s’en rendre compte. On perd le fil du nombre de tours que les deux danseuses effectuent, on s’abandonne, tout bonnement, à la performance, comme elles le font aussi. D’ailleurs, un lien de connivence grandit rapidement et facilement entre elles et le public.
Transe et présence
L’expérience impressionnante des deux interprètes y est pour beaucoup. Dire que Louise Bédard est un monstre sacré de la danse n’est pas une hyperbole. À 68 ans, l’intensité de sa performance subjugue de la première seconde jusqu’à la dernière. Elle révèle une complète maîtrise de son corps et de la portée de chacun de ses gestes. Surtout, elle témoigne d’une conscience aiguisée de sa présence scénique, de l’effet qu’elle provoque. À travers des phrases chorégraphiques répétitives, qui suivent une progression à peine perceptible, elle occupe tout l’espace et captive l’assistance, l’entraînant avec elle dans une effervescence de plus en plus hypnotique.
Sarah Williams, l’initiatrice du projet, propose un véritable tour de force, elle aussi, dans lequel elle exprime sa personnalité propre, et ce, même si un parallélisme fort et une camaraderie de plus en plus franche sont maintenu·es entre les deux danseuses. Cela dit, il est plus difficile de lui consacrer l’attention qu’elle mérite tant Bédard absorbe tout sur son passage, bien malgré elle d’ailleurs.
Ainsi, pendant une heure, on suit cette exploration de l’espace par les deux interprètes, qu’elles s’approprient petit à petit et face auquel elles font preuve de moins en moins de retenue. Le corps prend plus de place, les mouvements se font plus assurés, plus larges aussi. Au fur et à mesure, elles prennent de l’assurance dans leurs évolutions circulaires, appuyées par la très efficace trame sonore d’Antoine Berthiaume, toute en basses pulsantes, qui répète incessamment le même motif en y ajoutant de légères variations.
Le tout se construit jusqu’à l’explosion en un apogée saisissant, glorieux – un moment de grâce orgastique, magique, qui réjouit, qui rassasie, qui donne le tournis, aussi. Un parcours superbe et superbement accompli, qui nous mène, à partir de trois fois rien, jusqu’à la béatitude. Un vrai moment de bonheur.
Les mondes parallèles
Idéation : Sarah Williams. Chorégraphie : Catherine Gaudet. Aide à la dramaturgie et direction des répétitions : Sophie Michaud. Aide à la répétition : Lucie Vigneault. Soutien à la dramaturgie : Mathieu Leroux. Direction de production : Mégane Trudeau. Direction technique : François Marceau. Lumière : Hugo Dalphond. Musique : Antoine Berthiaume. Costumes : Marilène Bastien. Avec Louise Bédard et Sarah Williams. Une coproduction de Sarah Williams et de l’Agora de la danse, présentée à l’Agora de la danse jusqu’au 20 mai 2023.