Critiques

Traces d’étoiles : S’ancrer dans la vie

© François Laplante Delagrave

Est-il possible de démonter les mécanismes de défense installés pour atténuer les blessures anciennes qui ont laissé des cicatrices, des « traces d’étoiles », sur la peau et dans le cœur ? C’est la question que pose la pièce de Cindy Lou Johnson qui était présente le soir de la première au Rideau Vert. Si le message de la pièce est quelque peu évident — la fuite ou l’isolement constituent de fausses solutions non exemptes de douleur — sa facture et l’ensemble de la production, dirigée par le metteur en scène Pierre Bernard, offrent un agréable moment de théâtre.

La fable installe une situation improbable : Henry Harry, cuisinier sur une plateforme de forage, vit en ermite dans une cabane en Alaska. Sa routine est bouleversée par l’arrivée impromptue, en plein blizzard, de Rosannah DeLuce, vêtue d’une robe de mariée, qui a roulé depuis l’Arizona, ne s’arrêtant que pour faire le plein et manger du chocolat.

Toute la pièce consiste donc en un huis clos où se croisent ces deux personnages semblables et contrastés, images inversées l’un de l’autre. D’ailleurs, à un moment, Rosannah assure à Henry qu’elle n’a pas besoin de regarder le miroir, dans lequel il s’observe, pour le voir. Tous deux ont vécu la perte du regard d’un être cher — d’un enfant pour lui, d’un père pour elle — qui a provoqué un désir de disparaître : lui, dans la solitude et elle, dans la fuite. Il cherche à bouger le moins possible et elle se sent en état d’apesanteur. Leur rencontre permettra à chacun d’affronter son histoire en la révélant à l’autre.

Le texte, empreint d’humour, tisse un réseau serré de liens entre les récits des deux protagonistes en faisant rebondir divers motifs. Par exemple, les souliers de mariage en satin de Rosannah rappellent à Henry ceux des poupées de sa fille, les uns et les autres métaphorisant les traumatismes des deux personnages. Brûler, littéralement, les « souliers de poupée » de la presque mariée fait partie de la guérison.

© François Laplante Delagrave

Insistance

Il y a quelque chose d’un peu insistant dans ces reprises thématiques, mais le dynamisme de la mise en scène et la performance des interprètes nous le font oublier. Mylène Mackay et Maxim Gaudette jouent leur partition avec précision et un solide sens du rythme, alternant les registres comiques ou plus graves et se passant la parole avec fluidité. Tour à tour, ils écoutent ou racontent, sympathisent ou s’emportent, retournent à leur folie douce ou reprennent pied.

L’ensemble du dispositif scénique est à l’image des tonalités du texte, à la fois absurde et réaliste. Ainsi, tout se passe à l’intérieur d’une cabane à la perspective faussée, altérée, alors que, par ailleurs, la neige qui tombe dru derrière la petite fenêtre ainsi que les meubles et les accessoires renvoient à la quotidienneté d’Henry, à une certaine normalité. Il y a de l’eau dans l’évier et du pain sur la table, mais les interprètes évoluent sur un plateau manifestement incliné qui réitère, en quelque sorte, l’instabilité émotive dans laquelle se trouvent Rosannah et Henry et peut-être leur quête d’équilibre, d’un nouvel ancrage.

« J’ai besoin d’une seule personne, une sur 8 milliards, pour me reconnecter à cette terre », déclare Rosannah. Traces d’étoiles porte essentiellement ce message : aimer comporte le risque de souffrir, mais moins que de refuser d’être au monde, d’être en vie.

© François Laplante Delagrave

Traces d’étoiles

Texte : Cindy Lou Johnson. Traduction : Maryse Warda. Mise en scène : Pierre Bernard. Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort. Décors : Daniel Castonguay. Costumes : Elen Ewing. Éclairages: Julie Basse. Assistance aux décors et accessoires: Camille Jupa. Musique : Simon Leoza. Coiffures et maquillages : Justine Denoncourt-Bélanger. Avec Mylène Mackay et Maxim Gaudette. Présentée au Théâtre du Rideau Vert du 9 mai au 10 juin 2023.