Avec l’avènement de La Corriveau — La soif des corbeaux, le Théâtre de l’Œil ouvert, qui œuvre depuis 2010, atteint à coup sûr sa mission de favoriser la création, l’interdisciplinarité et la place des femmes sur scène.
La compagnie propose, ici, un regard actuel faisant la lumière sur une légende vieille de plus de 250 ans. Le 18 avril 1763, une femme accusée du meurtre de son mari est pendue, puis enfermée dans une cage de fer que l’on suspend à Québec, afin d’en faire un exemple. Avec le temps, on en viendra à lui attribuer l’assassinat successif de sept époux.
Le spectacle commence par un enlevant tableau chanté dans lequel une journaliste entreprend une enquête sur le traitement réservée à l’histoire de Marie-Josephte Corriveau, tant à l’époque où elle s’est déroulée que par la suite. Elle se demande comment cette figure marquante de la tradition populaire est passée de femme ordinaire à criminelle, de mère de famille à sorcière, de victime à bourreau. L’air et les paroles de la première chanson, Si la tendance se maintient, qui servira de leitmotiv musical, sont accrocheurs et promettent une œuvre rythmée et finement construite.
Les protagonistes évoluent devant un grand cercle ressemblant à l’œil d’un rapace qui observe et juge. Leurs costumes sombres, qui se transforment selon la scène, collent autant aux corps qu’à l’ambiance glauque qu’inspire le sujet. Des projections viennent soutenir l’action, mais cet ajout d’images atones s’avère plutôt futile et sans intérêt.
Chœur de corbeaux
Toutes et tous les interprètes font partie d’un chœur dont elles et ils s’extirpent occasionnellement pour jouer un personnage. Difficile de déterminer qui mène l’action, si ce n’est l’ensemble. Tantôt formé de villageois·es, tantôt, de membres de la cour martiale britannique, ce groupe sombre est présenté sous la forme d’une horde de corbeaux, avide de charogne à se mettre sous la dent. L’image est efficace autant par ses aspects peu rassurants, d’une part, et parfois hilarants, d’autre part.
Il serait ardu, voire injuste de ne citer que quelques artistes sur scène puisqu’elles et ils offrent toutes et tous de remarquables prestations, musiciens compris. Il est quand même dommage de voir et entendre trop peu Jade Bruneau sous les traits de La Corriveau, qui n’apparaît vraiment qu’à la toute fin de la première partie du spectacle. Bien que ce personnage soit au centre de l’intrigue, l’autrice Geneviève Beaudet et l’auteur Félix Léveillé ont favorisé le chœur pour dépeindre sa passion et son drame. On peut interpréter ce choix comme une référence aux victimes qui, la plupart du temps dans les faits divers, sont occultées du propos.
Il faut souligner les très belles musiques originales composées par Audrey Thériault qui enlacent l’histoire à la perfection. Un travail d’exception. Les dialogues et paroles des chansons sont habilement construits et donnent lieu à des moments de grande émotion grâce à des phrases ou des expressions fortes et porteuses de sens.
À titre d’exemples, on dit que Marie-Josephte vivait dans un village collé serré sur le Saint-Laurent, qu’elle portait le poids de son époque trouble, que les corbeaux possèdent la présomption du savoir ou encore que la France et l’Angleterre se sont battues pour des terres qui ne leur appartenaient pas.
Au-delà de ces mots, il y a la trame narrative. Mais cette dernière peine à faire avancer l’action en raison de trop nombreuses répétitions. Le rythme en souffre et, contrairement à la promesse de la première chanson, la tendance ne se maintient malheureusement pas. L’histoire stagne, et on perd parfois de l’intérêt envers le récit.
La cohésion de l’interprétation comble cette lacune grâce à la prestation des comédien·nes et à la mise en scène aussi ingénieuse que minutieuse proposée par Jade Bruneau. Des chorégraphies aux montées dramatiques, en passant par les répliques amusantes, tout est orchestré avec précision dans un tout harmonieux et naturel. Cette chimie donne lieu à des tableaux musicaux réussis.
La Corriveau — La soif des corbeaux fait ressortir les travers de la collectivité d’hier, comme celle d’aujourd’hui ; femmes et enfants subissant de la violence domestique, agresseurs disculpés, victimes lynchées sur la place publique, etc. On ne raconte pas uniquement un tragique événement survenu à Saint-Vallier à l’hiver de 1763, on analyse sa transposition dans l’imaginaire et son impact sur le destin des femmes.
La légende est malmenée, ce qui ne répare rien, sauf peut-être la vérité. Les leçons que l’on peut tirer de cette affaire ne nous sont pas imposées par le spectacle, on les laisse flotter dans l’esprit de l’auditoire. Bien que le traitement soit divertissant, le sérieux du propos et le message se rendent auprès de celles et ceux qui sauront les accueillir.
Le Théâtre de l’Œil ouvert propose un spectacle musical qui, malgré quelques faiblesses, ne passera pas inaperçu et atteindra un grand public. Fruit d’un travail de longue haleine — trois ans de son idéation à sa production —, le résultat est vivant, intelligent et absolument d’actualité.
Texte et paroles : Geneviève Beaudet et Félix Léveillé. Direction de création et mise en scène : Jade Bruneau. Assistance à la mise en scène et régie : Lou Arteau et Marilou Huberdeau. Chansons : Audrey Thériault. Direction musicale et arrangements : Marc-André Perron. Avec Renaud Paradis, Frédérique Mousseau, Karine Lagueux, Simon Labelle-Ouimet, Jade Bruneau, Hélène Major, José Dufour et Simon Fréchette-Daoust et trois musiciens sur scène. Une production du Théâtre de l’Œil ouvert, présentée au Monument national de Montréal les 16 et 17 juin, au Centre culturel Desjardins de Joliette du 6 au 29 juillet et au carré 150 de Victoriaville du 10 au 26 août 2023.
Avec l’avènement de La Corriveau — La soif des corbeaux, le Théâtre de l’Œil ouvert, qui œuvre depuis 2010, atteint à coup sûr sa mission de favoriser la création, l’interdisciplinarité et la place des femmes sur scène.
La compagnie propose, ici, un regard actuel faisant la lumière sur une légende vieille de plus de 250 ans. Le 18 avril 1763, une femme accusée du meurtre de son mari est pendue, puis enfermée dans une cage de fer que l’on suspend à Québec, afin d’en faire un exemple. Avec le temps, on en viendra à lui attribuer l’assassinat successif de sept époux.
Le spectacle commence par un enlevant tableau chanté dans lequel une journaliste entreprend une enquête sur le traitement réservée à l’histoire de Marie-Josephte Corriveau, tant à l’époque où elle s’est déroulée que par la suite. Elle se demande comment cette figure marquante de la tradition populaire est passée de femme ordinaire à criminelle, de mère de famille à sorcière, de victime à bourreau. L’air et les paroles de la première chanson, Si la tendance se maintient, qui servira de leitmotiv musical, sont accrocheurs et promettent une œuvre rythmée et finement construite.
Les protagonistes évoluent devant un grand cercle ressemblant à l’œil d’un rapace qui observe et juge. Leurs costumes sombres, qui se transforment selon la scène, collent autant aux corps qu’à l’ambiance glauque qu’inspire le sujet. Des projections viennent soutenir l’action, mais cet ajout d’images atones s’avère plutôt futile et sans intérêt.
Chœur de corbeaux
Toutes et tous les interprètes font partie d’un chœur dont elles et ils s’extirpent occasionnellement pour jouer un personnage. Difficile de déterminer qui mène l’action, si ce n’est l’ensemble. Tantôt formé de villageois·es, tantôt, de membres de la cour martiale britannique, ce groupe sombre est présenté sous la forme d’une horde de corbeaux, avide de charogne à se mettre sous la dent. L’image est efficace autant par ses aspects peu rassurants, d’une part, et parfois hilarants, d’autre part.
Il serait ardu, voire injuste de ne citer que quelques artistes sur scène puisqu’elles et ils offrent toutes et tous de remarquables prestations, musiciens compris. Il est quand même dommage de voir et entendre trop peu Jade Bruneau sous les traits de La Corriveau, qui n’apparaît vraiment qu’à la toute fin de la première partie du spectacle. Bien que ce personnage soit au centre de l’intrigue, l’autrice Geneviève Beaudet et l’auteur Félix Léveillé ont favorisé le chœur pour dépeindre sa passion et son drame. On peut interpréter ce choix comme une référence aux victimes qui, la plupart du temps dans les faits divers, sont occultées du propos.
Il faut souligner les très belles musiques originales composées par Audrey Thériault qui enlacent l’histoire à la perfection. Un travail d’exception. Les dialogues et paroles des chansons sont habilement construits et donnent lieu à des moments de grande émotion grâce à des phrases ou des expressions fortes et porteuses de sens.
À titre d’exemples, on dit que Marie-Josephte vivait dans un village collé serré sur le Saint-Laurent, qu’elle portait le poids de son époque trouble, que les corbeaux possèdent la présomption du savoir ou encore que la France et l’Angleterre se sont battues pour des terres qui ne leur appartenaient pas.
Au-delà de ces mots, il y a la trame narrative. Mais cette dernière peine à faire avancer l’action en raison de trop nombreuses répétitions. Le rythme en souffre et, contrairement à la promesse de la première chanson, la tendance ne se maintient malheureusement pas. L’histoire stagne, et on perd parfois de l’intérêt envers le récit.
La cohésion de l’interprétation comble cette lacune grâce à la prestation des comédien·nes et à la mise en scène aussi ingénieuse que minutieuse proposée par Jade Bruneau. Des chorégraphies aux montées dramatiques, en passant par les répliques amusantes, tout est orchestré avec précision dans un tout harmonieux et naturel. Cette chimie donne lieu à des tableaux musicaux réussis.
La Corriveau — La soif des corbeaux fait ressortir les travers de la collectivité d’hier, comme celle d’aujourd’hui ; femmes et enfants subissant de la violence domestique, agresseurs disculpés, victimes lynchées sur la place publique, etc. On ne raconte pas uniquement un tragique événement survenu à Saint-Vallier à l’hiver de 1763, on analyse sa transposition dans l’imaginaire et son impact sur le destin des femmes.
La légende est malmenée, ce qui ne répare rien, sauf peut-être la vérité. Les leçons que l’on peut tirer de cette affaire ne nous sont pas imposées par le spectacle, on les laisse flotter dans l’esprit de l’auditoire. Bien que le traitement soit divertissant, le sérieux du propos et le message se rendent auprès de celles et ceux qui sauront les accueillir.
Le Théâtre de l’Œil ouvert propose un spectacle musical qui, malgré quelques faiblesses, ne passera pas inaperçu et atteindra un grand public. Fruit d’un travail de longue haleine — trois ans de son idéation à sa production —, le résultat est vivant, intelligent et absolument d’actualité.
La Corriveau — La soif des corbeaux
Texte et paroles : Geneviève Beaudet et Félix Léveillé. Direction de création et mise en scène : Jade Bruneau. Assistance à la mise en scène et régie : Lou Arteau et Marilou Huberdeau. Chansons : Audrey Thériault. Direction musicale et arrangements : Marc-André Perron. Avec Renaud Paradis, Frédérique Mousseau, Karine Lagueux, Simon Labelle-Ouimet, Jade Bruneau, Hélène Major, José Dufour et Simon Fréchette-Daoust et trois musiciens sur scène. Une production du Théâtre de l’Œil ouvert, présentée au Monument national de Montréal les 16 et 17 juin, au Centre culturel Desjardins de Joliette du 6 au 29 juillet et au carré 150 de Victoriaville du 10 au 26 août 2023.