Entrevues

Lisa Davies à l’EDCM : Nouveau souffle, même passion

© Sasha Onyshchenko

Assurer la relève d’une directrice artistique qui a été en fonction pendant 20 ans n’est pas un grand jeté de tout repos. Comme Lucie Boissinot le disait en entrevue récemment au Devoir, « je serai toujours là pour la danse ». Sa successeure à l’École de danse contemporaine de Montréal (EDCM), Lisa Davies, compte marcher dans les pas de celle qui a pris sa retraite, même si elle reconnaît avoir de grandes pointes à chausser.

Les deux femmes ont dansé pour les Grands Ballets Canadiens, mais elles s’accordent pour dire qu’il ne s’agit pas d’un passage obligé pour diriger l’EDCM. Lisa Davies œuvre dans ce domaine depuis 30 ans au Québec et à l’international. Pendant 10 ans, elle a été directrice générale et artistique de Danse à la carte, un organisme très actif lors de la crise pandémique. Sa passion est indiscutable.

« Lucie a porté cette école sur ses épaules pendant 20 ans. C’est énorme. Je respecte tout ce qu’elle a fait et je ne tiens rien pour acquis », commence-t-elle avec humilité.

Entrée en poste de manière progressive au mois de mai, Lisa Davies a ainsi pu assurer une transition en douceur tant à l’EDCM qu’à Danse à la carte. Ce qui ne l’a pas empêché de réfléchir au futur de l’école et aux étudiant∙es qui ont reçu leur diplôme en pleine pandémie.

« C’est un défi. La danse n’est déjà pas un milieu facile. La pandémie a ajouté des couches de difficultés. Sans parler des changements climatiques qui ont des impacts sur la pratique des arts. Je n’avais pas d’ambition de devenir une leader dans mon domaine, mais je suis quelqu’un qui veut aider. J’ai longtemps travaillé dans les coulisses. Comme danseuse, ce que je détestais le plus c’étaient les saluts à la fin. Je vais relever mes manches pour les étudiant∙es afin qu’ils et elles puissent tirer leur épingle du jeu. »

« Je crois beaucoup à la polyvalence, poursuit-elle. Dans ma jeunesse, j’ai tout fait, du ballet jazz à la claquette en passant par le break dance et le moderne. Les danseurs et les danseuses sont agiles et je veux leur permettre de ne pas craindre les défis qui nous attendent. Ils et elles représentent le futur. J’ai été privilégiée dans ma vie en danse et c’est à mon tour de redonner ce que j’ai reçu. »

© École de danse contemporaine de Montréal

Stabilité

L’équipe en place et les trois cohortes aux études font office de stabilité, une réalité au sein de laquelle avancer. L’accompagnement est une valeur incontournable, selon elle, dans la vie des jeunes artistes en voie de professionnalisation. Surtout à une époque de repli sur soi, tendant vers l’individualisme.

« Les réseaux sociaux et le télétravail vont dans ce sens aussi. C’est une époque délicate. Il est très important de comprendre l’écosystème dans lequel on évolue. Ici, on parle de l’écologie d’une équipe, de la danse, y compris contemporaine, des réalités montréalaises et internationales. Dans une approche holistique, il est important de comprendre les rôles de chacun∙e. Je fais partie de quelque chose de plus grand que moi. Chaque geste posé a un impact sur les autres membres d’une équipe. Les étudiant∙es doivent voir ce qu’est faire partie d’un groupe et d’un travail commun en danse. »

L’apprentissage d’une pratique artistique dure toute une vie. L’école permet d’effectuer les premiers pas et s’assure de faciliter les suivants. L’EDCM, qui a célébré ses 40 ans en 2021, a toujours assuré un suivi auprès des finissant∙es pour les soutenir dans les premières démarches professionnelles.

Lisa Davies reste cependant une « personne pragmatique ». Elle demeure consciente des enjeux de la discipline qu’ils soient d’ordre social, politique ou économique. La danse étant souvent considérée comme un parent pauvre lorsque l’on considère son financement.

« Par rapport au théâtre, ce qu’il y a de bien chez nous, c’est que nous n’avons pas l’obstacle de la langue. C’est pourquoi nos compagnies voyagent beaucoup plus. Notre langage est international. On ne doit pas être pessimistes. De belles choses sont en train d’émerger comme l’émission de télévision Révolution de mon ancienne étudiante Lydia Bouchard. Les salles de ce spectacle sont pleines à craquer et l’énergie qui s’en dégage est incroyable. C’est commercial, mais cela rend la danse plus accessible au grand public. »

© École de danse contemporaine de Montréal

Rêves et réalités

En plus de ses fonctions à Danse à la carte, la nouvelle directrice artistique siégeait au conseil d’administration de la compagnie Rubberband Dance. Les hauts et les bas, elle connaît.

« Il y a eu des passages de précarité, mais en ce moment, les choses vont bien. Je me souviendrai toujours d’une citation de mon premier directeur artistique aux GBC, Larry Rhodes, qui disait : “Il faut posséder l’intégrité qui fait qu’on reste au travail lors des bons et des mauvais moments”. Ça ne sera pas toujours facile, mais les danseurs et les chorégraphes sont résilients. Nous sommes faits forts. Prenons, par exemple, Margie Gillis que je connais depuis 30 ans. C’est une vraie guerrière. »

À l’ÉDCM, Lisa Davies n’arrive pas en terrain inconnu puisque qu’elle a déjà côtoyé plusieurs des enseignants. Ayant un déjà excellent réseau dans le milieu, elle promet d’être à l’écoute de tous et toutes.

« Je vais continuer de construire des ponts. Je suis sensible à l’écosystème existant à l’école. J’ai vécu des transitions à plusieurs reprises dans ma vie comme danseuse, répétitrice et assistante-chorégraphe. Je comprends bien les artistes de cette profession. Lucie Boissinot a été ici longtemps. Il y aura un deuil à faire et je n’y peux rien. Elle avait déjà planifié toute l’année qui vient, alors je vais réfléchir au futur. »

Son expérience personnelle, d’ailleurs, a été marquée par de grandes embûches. Une blessure, qui a nécessité quatre mois de réhabilitation, aura mis fin à sa carrière d’interprète à 26 ans. Elle en est sortie plus forte. La passion, toujours la passion.

« C’était le début de mes rêves et de mes espoirs. Tout s’est envolé brusquement. Je portais un corset et j’ai marché avec une canne pendant un an. Je ne savais plus qui j’étais. Comme personne qui aime aider, j’ai étudié en pharmacie et en cardiologie. J’ai connu, dans ma chair, les défis de la danse. Et j’y suis revenu. Comme êtres humains, nous sommes tous et toutes infiniment plus forts que l’on ne le croit. Les étudiant∙es le sont. Il s’agit de ne jamais arrêter de bouger. »