Critiques

La dernière cassette : Douce nostalgie

© Valérie Remise

Solitude, vieillesse, création et questions existentielles : tels sont les thèmes marquants de la plus récente création d’Olivier Choinière, La dernière cassette, présentée au Théâtre de Quat’Sous. Que reste-il de nos œuvres une fois que nous sommes parti·es ? Est-ce que le bonheur existe réellement et, si oui, nous attend-il vraiment à la fin de nos jours ?

Alors que le metteur en scène AB (personnage librement inspiré du regretté André Brassard) vit ses derniers moments, des souvenirs de jeunesse remontent à sa mémoire, qui nous sont livrés grâce à de vieilles cassettes audio qui ont été gardées précieusement dans des boîtes.

Interprété avec brio par la fabuleuse Violette Chauveau, AB est un vrai cynique, mais aussi un grand rêveur. C’est avant tout un homme profondément seul dans le décor déglingué de son appartement crasseux. Entre les tas de mégots de cigarettes et les canettes de Coke vides, AB se pose une immense question : qu’est-ce qui me serait arrivé si je n’avais jamais eu de succès ?

Amer d’être le spectateur d’un monde où le théâtre qui sert à passer d’importants messages sociaux ne semble plus exister, il s’acharne à douter de tout et à tout questionner. « Aujourd’hui les gens font juste parler de leur nombril. On a essayé pourtant, on a tout fait pour dire aux Québécois et aux Québécoises qu’on a tout ce qu’il faut pour avoir un pays, qu’on est un peuple hors normes et que notre histoire mérite d’être entendue. On l’a écrit, on l’a joué, on l’a mis en scène. Mais la vérité, c’est que ce qui obsède les gens aujourd’hui, c’est le je, pas le nous », raconte AB alors qu’il enregistre sa dernière cassette sur son magnétophone.

© Valérie Remise

Un solo intense

Violette Chauveau livre une performance exceptionnelle à travers ce monologue émouvant, qui donne envie de créer et de trouver le bonheur dans les petites choses du quotidien. Seule sur scène durant près de deux heures, la comédienne se livre entièrement à un témoignage d’amour pour André Brassard, metteur en scène qui a profondément marqué sa carrière et sa vie personnelle. Le fait de choisir Violette Chauveau pour jouer AB est une idée brillante et rejoint l’école de pensée du créateur quant à l’authenticité des êtres incarnés sur la scène. « Je veux savoir ce qui allume ce personnage-là, ce qui fait qu’il continue de croire à la vie et au bonheur. Ce à quoi il ressemble, au final, on s’en fout ! » peut-on entendre de la bouche d’AB.

Il est d’autant plus touchant de voir Chauveau dans ce rôle lorsqu’on sait à quel point elle était proche d’André Brassard et de constater combien ses mimiques et le son de sa voix continuent de l’habiter. Son jeu physique est impressionnant, alors que sous un costume imposant d’homme avec de l’embonpoint, elle doit se déplacer en fauteuil roulant tout au long du spectacle en se servant uniquement de ses pieds.

Si La dernière cassette explore le quotidien triste et mélancolique d’AB, il évoque également ses fantasmes et ses rêves de jeunesse par le biais du personnage de Golgotha Therrien, un alter ego flamboyant de l’ancien metteur en scène maintenant devenu immobile. Golgotha est une chanteuse burlesque imaginée par AB, qui ne vit que dans sa tête jusqu’à ce qu’il décède des suites d’une maladie jamais nommée dans la pièce, mais tout à fait incarnée dans le jeu de l’actrice. Golgotha surgit sur scène après être sortie du corps d’AB, à la fin de la pièce, tel un papillon émergeant de son cocon. La transition entre les deux personnages à travers un simple changement de costume fait grande impression. Avec des gestes chorégraphiés, la comédienne se défait du costume d’AB, et le public se rend alors compte que, tout au long de la représentation, elle jouait avec trois couches de vêtements mises l’une par-dessus l’autre.

Le public rit aux éclats des remarques cinglantes d’AB, mais sort du théâtre avec une véritable tristesse de constater à quel point nos aîné·es sont trop souvent oublié·es dans notre société. Pour quelqu’un qui n’a pas connu la grande époque de Brassard, La dernière cassette donne envie de serrer ses grands-parents dans ses bras et de leur demander, à l’un comme à l’autre : « Dis-moi, t’étais où, toi, quand Les Belles-Sœurs ont été présentées pour la première fois ? »

© Valérie Remise

La dernière cassette

Texte et mise en scène : Olivier Choinière. Dramaturgie : Andréane Roy. Assistance à la mise en scène et régie : Stéphanie Capistran-Lalonde. Décor : Simon Guilbault. Costumes : Elen Ewing assistée de Fanny McCrae. Éclairages : Claire Seyller. Conception sonore : Éric Forget. Vidéo : Pierre Laniel. Accessoires : Nadine Jaafar. Maquillage : Justine Denoncourt-Bélanger. Une production de L’Activité présentée au Théâtre de Quat’Sous du 5 au 30 septembre 2023.