Pour sa première création sur un grand plateau, La Trâlée ne se contente pas de transposer le film Pour la suite du monde en théâtre d’objets. Avec l’humour et l’acuité qui font sa marque, la compagnie fait revivre les moments forts de ce tournage épique et met en lumière la vision des pionniers du cinéma direct.
Il y a toujours une part de recherche documentaire dans les propositions de La Trâlée, que l’on pense à Rashômon, d’après le film d’Akira Kurosawa, ou à Citoyen K, une réinterprétation de celui d’Orson Welles. Mais en se penchant pour la première fois sur un documentaire, qui plus est le premier long-métrage en français produit par l’Office national du film du Canada, il lui fallait nécessairement aller un peu plus loin.
Alors que le film suit un groupe d’hommes qui veut faire renaître la pêche au marsouin, en faisant appel à la mémoire des sages, l’équipe de création s’est nourrie des souvenirs des insulaires qui ont participé ou se sont fait raconter le tournage historique. Elle s’est donc rendue à l’Isle-aux-Coudres, pour enquêter un peu et faire revivre la fête de la Mi-Carême à des jeunes, dont plusieurs descendant·es des protagonistes de Pour la suite du monde. Une rencontre qui donne lieu à un tableau final sur écran, vivant et touchant.
Pour faire opérer la magie sur la grande scène, on y a ouvert une fosse, qui permet de manipuler des patères et des vêtements comme s’il s’agissait de marionnettes, de représenter les ouailles à l’église, mais surtout le fleuve et la fameuse pêche. En filmant leurs manipulations sur une table, les artistes créent aussi, à plusieurs moments, du cinéma en direct, retransmis sur un écran qui se dresse au centre de l’espace scénique comme une grande voile. Celle-ci devient aussi l’occasion de faire du théâtre d’ombres, au fil de scènes peut-être un peu moins réussies, qui manquent de netteté.
De la parlure et du corps
L’adaptation de Lorraine Côté (en collaboration avec Nicola Boulanger) puise dans plusieurs scènes clés du film, comme l’encan pour les âmes, qui ouvre la représentation, ou l’installation des harts, ces grandes perches qui forment le piège où viendront se prendre les bélugas. Elle cite certains passages sublimes de l’œuvre originale, dont une course d’enfants dans les champs, et permet surtout de goûter pleinement la langue si belle et colorée de l’île, sans qu’on perde une miette de sens.
Les personnages de Grand-Louis, Alexis et Léopold prennent forme grâce aux accessoires, à des objets, à des habits, voire à des meubles, comme une chaise berçante, mais aussi et surtout grâce aux corps. L’interprétation physique prend davantage de place que la manipulation d’objets dans ce nouveau spectacle de La Tralée, mais c’est comme si les interprètes n’oubliaient jamais qu’ils et elles sont des morceaux d’un mécanisme théâtral hybride. Leur jeu s’en trouve plus incarné, avec plusieurs accentuations comiques.
Surtout, on prend plaisir à entendre Pierre Perrault (Amélie Laprise), Michel Brault (Guillaume Pepin) et Marcel Carrière (Lauréanne Dumoulin) raconter les aléas du tournage, les défis techniques et leur invention d’un cinéma plus vrai, où la suite des évènements est dictée par la vie elle-même. Leurs adresses directes au public et leur manière de s’activer autour de chaque scène, micro à la main et caméra à l’épaule, sont de belles manières de nous faire comprendre l’essence de leur épopée cinématographique.
La mise en scène de Lorraine Côté orchestre le tout en une chorégraphie habile. Il y a bien une scène un peu longue, où tous tergiversent sur l’origine présumée de la technique de pêche utilisée, mais dans l’ensemble, les trouvailles scéniques, le propos et le rythme des enchaînements dosent avec doigté l’information, la poésie, l’émotion et la fabrication d’images.
Dans cette proposition qui baigne dans un esprit somme toute joyeux, l’équipe a aussi pris soin d’aborder, sans les occulter, les aspects moins lumineux de Pour la suite du monde, comme le transport du béluga à New York et la réception critique et populaire du long-métrage à sa sortie.
On ressort du théâtre en connaissant mieux l’œuvre de Perreault, Brault et Carrière, la pêche au marsouin, l’Isle-aux-Coudres, mais surtout en ayant déjà hâte à la prochaine adaptation scénique de La Trâlée.
Adaptation : Lorraine Côté, avec la collaboration de Nicola Boulanger. Mise en scène : Lorraine Côté, assistée de Thomas Royer. Décor : Christian Fontaine. Costumes : Julie Morel. Éclairages : Mathieu C. Bernard. Accessoires : Marianne Lebel. Musique : Mathieu Turcotte. Conception vidéo : Étienne D’Anjou. Intégration vidéo : Philippe Lessard-Drolet. Avec Nicola Boulanger, Lauréanne Dumoulin, Paul Fruteau de Laclos, Nadia Girard-Eddahia, Amélie Laprise, Jocelyn Paré et Guillaume Pepin. Une coproduction de La Bordée et de La Trâlée, présentée à La Bordée du 12 septembre au 14 octobre 2023.
Pour sa première création sur un grand plateau, La Trâlée ne se contente pas de transposer le film Pour la suite du monde en théâtre d’objets. Avec l’humour et l’acuité qui font sa marque, la compagnie fait revivre les moments forts de ce tournage épique et met en lumière la vision des pionniers du cinéma direct.
Il y a toujours une part de recherche documentaire dans les propositions de La Trâlée, que l’on pense à Rashômon, d’après le film d’Akira Kurosawa, ou à Citoyen K, une réinterprétation de celui d’Orson Welles. Mais en se penchant pour la première fois sur un documentaire, qui plus est le premier long-métrage en français produit par l’Office national du film du Canada, il lui fallait nécessairement aller un peu plus loin.
Alors que le film suit un groupe d’hommes qui veut faire renaître la pêche au marsouin, en faisant appel à la mémoire des sages, l’équipe de création s’est nourrie des souvenirs des insulaires qui ont participé ou se sont fait raconter le tournage historique. Elle s’est donc rendue à l’Isle-aux-Coudres, pour enquêter un peu et faire revivre la fête de la Mi-Carême à des jeunes, dont plusieurs descendant·es des protagonistes de Pour la suite du monde. Une rencontre qui donne lieu à un tableau final sur écran, vivant et touchant.
Pour faire opérer la magie sur la grande scène, on y a ouvert une fosse, qui permet de manipuler des patères et des vêtements comme s’il s’agissait de marionnettes, de représenter les ouailles à l’église, mais surtout le fleuve et la fameuse pêche. En filmant leurs manipulations sur une table, les artistes créent aussi, à plusieurs moments, du cinéma en direct, retransmis sur un écran qui se dresse au centre de l’espace scénique comme une grande voile. Celle-ci devient aussi l’occasion de faire du théâtre d’ombres, au fil de scènes peut-être un peu moins réussies, qui manquent de netteté.
De la parlure et du corps
L’adaptation de Lorraine Côté (en collaboration avec Nicola Boulanger) puise dans plusieurs scènes clés du film, comme l’encan pour les âmes, qui ouvre la représentation, ou l’installation des harts, ces grandes perches qui forment le piège où viendront se prendre les bélugas. Elle cite certains passages sublimes de l’œuvre originale, dont une course d’enfants dans les champs, et permet surtout de goûter pleinement la langue si belle et colorée de l’île, sans qu’on perde une miette de sens.
Les personnages de Grand-Louis, Alexis et Léopold prennent forme grâce aux accessoires, à des objets, à des habits, voire à des meubles, comme une chaise berçante, mais aussi et surtout grâce aux corps. L’interprétation physique prend davantage de place que la manipulation d’objets dans ce nouveau spectacle de La Tralée, mais c’est comme si les interprètes n’oubliaient jamais qu’ils et elles sont des morceaux d’un mécanisme théâtral hybride. Leur jeu s’en trouve plus incarné, avec plusieurs accentuations comiques.
Surtout, on prend plaisir à entendre Pierre Perrault (Amélie Laprise), Michel Brault (Guillaume Pepin) et Marcel Carrière (Lauréanne Dumoulin) raconter les aléas du tournage, les défis techniques et leur invention d’un cinéma plus vrai, où la suite des évènements est dictée par la vie elle-même. Leurs adresses directes au public et leur manière de s’activer autour de chaque scène, micro à la main et caméra à l’épaule, sont de belles manières de nous faire comprendre l’essence de leur épopée cinématographique.
La mise en scène de Lorraine Côté orchestre le tout en une chorégraphie habile. Il y a bien une scène un peu longue, où tous tergiversent sur l’origine présumée de la technique de pêche utilisée, mais dans l’ensemble, les trouvailles scéniques, le propos et le rythme des enchaînements dosent avec doigté l’information, la poésie, l’émotion et la fabrication d’images.
Dans cette proposition qui baigne dans un esprit somme toute joyeux, l’équipe a aussi pris soin d’aborder, sans les occulter, les aspects moins lumineux de Pour la suite du monde, comme le transport du béluga à New York et la réception critique et populaire du long-métrage à sa sortie.
On ressort du théâtre en connaissant mieux l’œuvre de Perreault, Brault et Carrière, la pêche au marsouin, l’Isle-aux-Coudres, mais surtout en ayant déjà hâte à la prochaine adaptation scénique de La Trâlée.
Pour la suite du monde
Adaptation : Lorraine Côté, avec la collaboration de Nicola Boulanger. Mise en scène : Lorraine Côté, assistée de Thomas Royer. Décor : Christian Fontaine. Costumes : Julie Morel. Éclairages : Mathieu C. Bernard. Accessoires : Marianne Lebel. Musique : Mathieu Turcotte. Conception vidéo : Étienne D’Anjou. Intégration vidéo : Philippe Lessard-Drolet. Avec Nicola Boulanger, Lauréanne Dumoulin, Paul Fruteau de Laclos, Nadia Girard-Eddahia, Amélie Laprise, Jocelyn Paré et Guillaume Pepin. Une coproduction de La Bordée et de La Trâlée, présentée à La Bordée du 12 septembre au 14 octobre 2023.