Critiques

Docteure : La science versus la foi

© Danny Taillon

Après le siècle des Lumières, les révolutions industrielles et technologiques, ainsi que les découvertes scientifiques les plus récentes, force est de constater que la foi religieuse continue de rassembler de nombreux adeptes sur notre petite planète. Opposées à la science contemporaine, ces croyances millénaires semblent pour le moins critiquables aux yeux de certains, dont la docteure du titre de la pièce du Britannique Robert Icke. Ce débat renvoie à moult ramifications sociales, politiques et économiques qui sont au cœur du spectacle que met en scène Marie-Ève Milot chez Duceppe. À l’ère numérique, l’on pourrait d’emblée reconnaître la préséance de la médecine, qui sauve pratiquement des vies humaines, sur la foi, qui sauve, en théorie, les âmes, bien entendu, puisque non scientifiquement prouvé !

Le texte de Docteure est une mécanique brillante et bien huilée qui n’omet aucune remise en question à ce sujet. Dans le rôle-titre, Pascale Montpetit (magnifique) se retrouve involontairement au centre d’un ouragan provoqué par sa décision ferme et sans appel de ne pas laisser entrer un prêtre dans la chambre d’une jeune patiente qui n’a que quelques heures à vivre. Elle estime que la présence du prêtre ne ferait que troubler la paix de l’adolescente, qui a tenté de s’avorter elle-même, dans les quelques heures qui lui restent. Plusieurs membres de la direction de son hôpital — traitant surtout des bénéficiaires souffrant d’Alzheimer — contestent son geste. Une fuite sur les réseaux sociaux permet à des groupes de pression de s’insurger haut et fort également. La grogne gagne la rue, causant une pression insoutenable sur ladite docteure.

© Danny Taillon

Complotisme, croyances religieuses diverses, racisme, pouvoirs politiques, désinformation, violence, crises identitaires, populisme, préjugés, intolérance. Tous les ingrédients sont brassés dans cette marmite explosive maniée savamment par Marie-Ève Milot. On assiste même à une deuxième partie, construite autour d’un « débat » ou les dés sont pipés d’avance, qui fait penser à ce qui se passait dans Clandestines, écrite et mise en scène de Milot également et présentée au Théâtre d’Aujourd’hui il y a quelques mois. La surabondance de blanc sur scène, incluant les sarraus des médecins, ne fait pas oublier la cruauté et la noirceur des âmes. Dans tous les cas, il fait bon de voir chez Duceppe un tel théâtre engagé comme le voulait à l’origine son fondateur, il y a plus de 50 ans.

Des tulles blancs sont déployés sur scène tout au long du spectacle et à la largeur du grand plateau, rappelant à la fois les rideaux que l’on tire entre les lits des malades dans une même chambre d’hôpital et un mur infranchissable qui empêchent les uns et les autres de se voir et de s’écouter véritablement. Ainsi monté et joué par des interprètes bien dirigés, ce thriller psychologique, pour ne pas dire philosophique, sait ébranler nos convictions avec finesse. À la fin, les personnages en conflit, y compris la docteure qui avouera ne pas s’être montrée ouverte aux idées différentes de la sienne, feront d’ailleurs leur propre introspection, avouant leurs torts et s’entendant pour dire que la médecine et la foi, dans le fond, restent des véhicules d’espoir pour les humains dans le pétrin.

Aux yeux des plus cyniques, il pourrait s’agir d’un mièvre constat. En sortant de la salle cependant, on conçoit très vite que le respect, l’écoute et le partage nourrissant l’espoir s’avèrent des valeurs réconfortantes lorsqu’on entend encore et toujours les corps tombés sous les bombes des soldats ou les balles des tireurs fous.

© Danny Taillon

Docteure

Texte de Robert Icke (adapté librement de Professor Bemhardi d’Arthur Scnitzler). Traduction : Fanny Britt. Mise en scène : Marie-Ève Milot, assistée de Josiane Dulong-Savignac. Scénographie : Geneviève Lizotte. Costumes : Cynthia St-Gelais. Éclairages : Étienne Boucher. Musique : Antoine Berthiaume. Accessoires : Elian Fayad. Maquillage et coiffure : Amélie Bruneau-Longpré. Direction du mouvement : Nivo Archambault. Avec : Alexandre Bergeron, Sofia Blondin, Alice Dorval, Nora Guerch, Ariel Ifergan, Tania Kontoyanni, Pascale Montpetit, Sharon James, Harry Standjofski, Elkahna Talbi et Yanick Truesdale. Présenté chez Duceppe du 18 octobre au 18 novembre 2023.