Le récit de Caroline Dawson porté au théâtre suscitait beaucoup d’attentes. L’histoire de cette jeune Chilienne, poussée, elle et sa famille, vers l’exil sous le régime Pinochet, avait connu un succès instantané à sa sortie en 2020. Elle y décrit le parcours du combattant qui doit rompre avec le passé pour s’intégrer dans un pays nordique où les obstacles sont quotidiens. L’adaptation pour la scène de Michel Nadeau, actuel directeur artistique de la Bordée, transpose le roman en une fidèle ligne narrative s’appuyant sur des moments charnières où se concentre l’essentiel. Au détriment de quelques gifles (séjour à Cuba, par exemple) qui sont autant de révélateurs de son identité en construction.
La mise en scène de Guillaume Pepin (Le Projet HLA, 2020) repose sur six comédiennes et un comédien issu·es de l’immigration. Ce choix judicieux permet de distribuer le texte autobiographique dans toutes les bouches. Un peu confondant au départ, ce subterfuge suggère un transfert du cheminement personnel de Dawson à chaque immigrant·e : l’arrachement au pays d’origine, la perte des repères, l’acquisition d’une nouvelle langue, le mimétisme social, les vexations quotidiennes, l’humiliation pour un accroc phonétique, pour un lunch aux couleurs douteuses, les sacrifices des parents qui doivent vivre de petits boulots et se soumettre à des patrons et patronnes souvent racistes et arrogants. Le récit de Dawson rend compte d’un processus douloureux qui va du rejet d’une culture à l’appropriation d’une nouvelle. Il y a ici un phénomène d’aliénation qu’on ne peut transcender que par une intégration socioculturelle et économique totale. Au passage, la conscience de classe et le désaveu du passé chilien poussent la jeune fille à la condescendance envers sa mère, pourtant éducatrice de la petite enfance dans son pays.
Certains passages dits en chœur soulignent que ces voix diverses n’en forment qu’une. Une longue litanie de types de femmes, mères, sorcières, ménagères, pyromanes et pompières… affirme avec fureur la position féministe guerrière de Dawson. « Je me rangerai toujours du côté des humiliés. C’est là où je me terre. »
Dans la métamorphose accélérée du Québec sous la pression d’une immigration multiethnique, souvent exacerbée par les récentes crises humanitaires — Syrie-Daesh, Ukraine-Russie, Israël-Palestine, etc. —, cette pièce devient un puissant outil de sensibilisation. Nous savons désormais ce qu’implique la transition vers une nouvelle vie. Le ton, le débit, la simplicité et la clarté du propos que nous recevons comme une confidence sans acrimonie ni accusation nous invitent à plus d’empathie.
Un décor multifacette comme profondeur de champ
L’ingénieuse scénographie dynamique, signée Dominique Giguère, propose une cartographie du territoire physique et mental où le récit se déploie. Une façade postiche de maison occupe le fond de la scène. Le reste du décor présente de lourds modules qui sont de meubles usuels. Cette illusion de décor s’animera au fil du temps et des événements. La façade devient écran de projection, elle se lève en dévoilant une chambre au second étage. Les modules se transforment en piscine, en bureau de travail, en cour de banlieue, en bus… la forme initiale se modifie au gré des épisodes, symbolisant le cheminement intérieur de l’auteure.
Aux réactions du public, on comprend que plusieurs ont lu le livre et l’ovation spontanée est venue confirmer que les attentes ont été comblées. Sa découverte du Québec s’alimente avec Passe-Partout, son héros Pierre Dufresne, Le temps de bouffons et sa rencontre avec Pierre Falardeau. Ses études en sociologie affûtent son regard et lui procurent le vocabulaire pour parler de nous à travers son filtre, développant ainsi une grande connivence avec son pays d’accueil. Ce que Pepin organise sur le ton de la confidence où tout est emboîté et fluide. Les interprètes témoignent d’une histoire partagée, il et elles ne sont pas en représentation théâtrale. Il et elles affirment d’ailleurs cette posture en recevant les applaudissements sans s’incliner ni saluer. Belle cohérence qui abat définitivement le quatrième mur.
Roman de Caroline Dawson (publié aux Éditions du remue-ménage). Adaptation : Michel Nadeau. Mise en scène : Guillaume Pepin. Assistance à la mise en scène : Mélissa Bouchard. Décor et accessoires : Dominique Giguère. Costumes : Laurie Carrier. Lumières et vidéo : Keven Dubois. Musique : Pascal Asselin. Régie : Jacopo Gulli et Abel Longuépée. Assistance pour les accessoires : Marie-Pascale Chevarie. Construction des décors : Conception Alain Gagné. Habilleuses : Marie-Pascale Chevarie et Églantine Mailly. Photos du programme de soirée : Nicola-Frank Vachon. Photo image de saison : Frec Gervais (Consulat). Remerciements : Famille Dawson San Martin ; Natalia, Alfredo, Jim, Nicholas. Avec Ines Syrine Azaiez, Gaïa Cherrat Naghshi, Mathilde Eustache, Nathalie Fontalvo, Carla Mezquita Honhon, Raphaël Posadas, Kathy-Alexandra Retamal Villegas. Présenté à la Bordée du 31 octobre au 25 novembre 2023.
Le récit de Caroline Dawson porté au théâtre suscitait beaucoup d’attentes. L’histoire de cette jeune Chilienne, poussée, elle et sa famille, vers l’exil sous le régime Pinochet, avait connu un succès instantané à sa sortie en 2020. Elle y décrit le parcours du combattant qui doit rompre avec le passé pour s’intégrer dans un pays nordique où les obstacles sont quotidiens. L’adaptation pour la scène de Michel Nadeau, actuel directeur artistique de la Bordée, transpose le roman en une fidèle ligne narrative s’appuyant sur des moments charnières où se concentre l’essentiel. Au détriment de quelques gifles (séjour à Cuba, par exemple) qui sont autant de révélateurs de son identité en construction.
La mise en scène de Guillaume Pepin (Le Projet HLA, 2020) repose sur six comédiennes et un comédien issu·es de l’immigration. Ce choix judicieux permet de distribuer le texte autobiographique dans toutes les bouches. Un peu confondant au départ, ce subterfuge suggère un transfert du cheminement personnel de Dawson à chaque immigrant·e : l’arrachement au pays d’origine, la perte des repères, l’acquisition d’une nouvelle langue, le mimétisme social, les vexations quotidiennes, l’humiliation pour un accroc phonétique, pour un lunch aux couleurs douteuses, les sacrifices des parents qui doivent vivre de petits boulots et se soumettre à des patrons et patronnes souvent racistes et arrogants. Le récit de Dawson rend compte d’un processus douloureux qui va du rejet d’une culture à l’appropriation d’une nouvelle. Il y a ici un phénomène d’aliénation qu’on ne peut transcender que par une intégration socioculturelle et économique totale. Au passage, la conscience de classe et le désaveu du passé chilien poussent la jeune fille à la condescendance envers sa mère, pourtant éducatrice de la petite enfance dans son pays.
Certains passages dits en chœur soulignent que ces voix diverses n’en forment qu’une. Une longue litanie de types de femmes, mères, sorcières, ménagères, pyromanes et pompières… affirme avec fureur la position féministe guerrière de Dawson. « Je me rangerai toujours du côté des humiliés. C’est là où je me terre. »
Dans la métamorphose accélérée du Québec sous la pression d’une immigration multiethnique, souvent exacerbée par les récentes crises humanitaires — Syrie-Daesh, Ukraine-Russie, Israël-Palestine, etc. —, cette pièce devient un puissant outil de sensibilisation. Nous savons désormais ce qu’implique la transition vers une nouvelle vie. Le ton, le débit, la simplicité et la clarté du propos que nous recevons comme une confidence sans acrimonie ni accusation nous invitent à plus d’empathie.
Un décor multifacette comme profondeur de champ
L’ingénieuse scénographie dynamique, signée Dominique Giguère, propose une cartographie du territoire physique et mental où le récit se déploie. Une façade postiche de maison occupe le fond de la scène. Le reste du décor présente de lourds modules qui sont de meubles usuels. Cette illusion de décor s’animera au fil du temps et des événements. La façade devient écran de projection, elle se lève en dévoilant une chambre au second étage. Les modules se transforment en piscine, en bureau de travail, en cour de banlieue, en bus… la forme initiale se modifie au gré des épisodes, symbolisant le cheminement intérieur de l’auteure.
Aux réactions du public, on comprend que plusieurs ont lu le livre et l’ovation spontanée est venue confirmer que les attentes ont été comblées. Sa découverte du Québec s’alimente avec Passe-Partout, son héros Pierre Dufresne, Le temps de bouffons et sa rencontre avec Pierre Falardeau. Ses études en sociologie affûtent son regard et lui procurent le vocabulaire pour parler de nous à travers son filtre, développant ainsi une grande connivence avec son pays d’accueil. Ce que Pepin organise sur le ton de la confidence où tout est emboîté et fluide. Les interprètes témoignent d’une histoire partagée, il et elles ne sont pas en représentation théâtrale. Il et elles affirment d’ailleurs cette posture en recevant les applaudissements sans s’incliner ni saluer. Belle cohérence qui abat définitivement le quatrième mur.
Là où je me terre
Roman de Caroline Dawson (publié aux Éditions du remue-ménage). Adaptation : Michel Nadeau. Mise en scène : Guillaume Pepin. Assistance à la mise en scène : Mélissa Bouchard. Décor et accessoires : Dominique Giguère. Costumes : Laurie Carrier. Lumières et vidéo : Keven Dubois. Musique : Pascal Asselin. Régie : Jacopo Gulli et Abel Longuépée. Assistance pour les accessoires : Marie-Pascale Chevarie. Construction des décors : Conception Alain Gagné. Habilleuses : Marie-Pascale Chevarie et Églantine Mailly. Photos du programme de soirée : Nicola-Frank Vachon. Photo image de saison : Frec Gervais (Consulat). Remerciements : Famille Dawson San Martin ; Natalia, Alfredo, Jim, Nicholas. Avec Ines Syrine Azaiez, Gaïa Cherrat Naghshi, Mathilde Eustache, Nathalie Fontalvo, Carla Mezquita Honhon, Raphaël Posadas, Kathy-Alexandra Retamal Villegas. Présenté à la Bordée du 31 octobre au 25 novembre 2023.