JEU des 5 questions

Cinq questions à Maria Kefirova, performeuse et chorégraphe

© Kinga Michalska

Chorégraphe d’origine bulgare établie à Montréal, Maria Kefirova crée des œuvres expérimentales en faisant de la scène un laboratoire complice du public. Sa nouvelle pièce The Beach and Other Stories est une performance ludique jouant sur l’ambiguïté entre la fiction et la réalité bulgare postcommuniste.

Depuis la présentation de The Beach and Other Stories au FTA le printemps dernier, y a-t-il eu des modifications au spectacle ?

Pas vraiment. Mis à part le fait que le texte original, en anglais, est traduit et performé également en français.

Dans cette démarche hybride, vous réduisez le « grand écart » entre la danse et la performance. Comment avez-vous procédé lors de la conception du spectacle ?

La plupart de mes productions jouent avec les frontières entre la danse, la performance, l’art visuel et la philosophie. Alors, en ce sens, The Beach and Otcher Stories est la continuation de ma démarche. Cependant, je crois que tous ces différents médiums sont toujours filtrés par ma pratique et sensibilité de danseuse et de chorégraphe. Dans The Beach…, je cherchais à me défaire de toute forme d’abstraction en me tournant vers quelque chose de très concret : l’écriture d’une histoire fictionnelle. Pour l’écrire, je me suis ancrée dans d’une réalité tangible et déjà existante : les photographies représentant un quotidien bulgare dans les années 1996-1998. J’ai eu le plaisir de partager cette écriture avec l’auteur Michael Martini. Nous devions demeurer à l’intérieur du cadre photographique en faisant abstraction du contexte socioculturel ou de l’époque. Nous avons passé environ une heure à écrire sur chaque image et l’idée était de les faire parler en nous attribuant des rôles et en explorant les différentes adresses au public. Cet exercice m’a permis d’absorber le contenu des photographies, et d’articuler une réalité corporelle à partir d’images, des mots, des relations, et de l’histoire.

© Vanessa Fortin

Vous donnez l’impression d’une quête personnelle avec cette pièce. En même temps, comme public, on ressent une certaine ambiguïté ?

Oui. Je ne sais pas pourquoi, mais on dirait que je suis conditionnée à l’ambiguïté… En effet, mon intention était de créer une fiction. Je ne voulais aucunement faire référence à ma propre identité. Je voulais utiliser les photos comme prétexte pour réécrire une histoire alternative et commune, à repartager les rôles, à resituer le temps. Je sais que le résultat final peut donner l’impression de quête personnelle, mais j’aime dire que c’est accidentel, et que je travaille sur un mécanisme social et non sur mon identité. La quête personnelle vise davantage à libérer ma propre imagination.

L’Amérique apparaît bien loin du pays et des gens dont vous nous parlez. Est-ce qu’on peut y voir une certaine forme de mélancolie ou de tristesse ?

Absolument, une géographie de la mélancolie. Je suis étonnée d’apprendre que certain∙es spectateurs et spectatrices, souvent des immigrant∙es, ont eu envie de pleurer en assistant à la performance. Mais plus le temps passe, plus je réalise que le « jeu » dans lequel je me suis engagée ouvre la porte à des spectres, des endroits et une époque dans lesquels les gens ne sont plus.

Le jeu entre fiction et réalité fait toute la différence. La pièce prend des allures de fable, pas du tout moralisatrice, mais plutôt amusante ?

Haha, je l’espère ! Je suis contente que vous ne l’ayez pas trouvée moraliste. Mon désir de subversion et l’humour m’aident à atteindre l’objectif de ce travail qui est la libération et la réappropriation de mon/notre imaginaire et de mon/notre histoire.

The Beach and Other Stories est présentée à La Chapelle Scènes Contemporaines du 16 au 19 novembre 2023.

© Kinga Michalska