Loin du faste légendaire de la cour de Versailles, avec ses lustres, ses dorures, ses jardins, ses fontaines et ses spectacles à grand déploiement, la production à l’affiche du Théâtre Denise-Pelletier se démarque par le choix du dépouillement, concentrant l’action et la tension dramatique entre de rares personnages, cinq au total, ainsi qu’une discrète narratrice. S’appuyant sur une impeccable direction d’acteurs, le spectacle s’intéresse à la relation historique entre trois esprits forts; Louis XIV, Lully et Molière, ayant tous œuvré à la grandeur artistique et politique de la France au 17e siècle. Cela envers et contre des forces conservatrices qu’il aura bien fallu pourfendre.
La pièce d’à peine une heure trente, libre adaptation du scénario du film Le Roi danse (2000), consiste en une fable au rythme télescopé où défilent, en d’innombrables raccourcis, les époques d’un règne qui a duré… 72 ans ! Période féconde et riche s’il en est, dont les huit premières années sous la régence d’Anne d’Autriche, la mère de Louis, femme de pouvoir incarnée ici par une Marie-Thérèse Fortin en pleine maîtrise. Ainsi, en quelques répliques naît Louis-Dieudonné, fils de Louis XIII, qui à la mort de celui-ci accède au trône, alors qu’il n’a pas cinq ans, puis à 13 ans décide de gouverner seul et rencontre le musicien italien Giovanni Battista Lully, jeune « baladin » allant nu-pieds, joué avec vivacité et éclat par Simon Landry-Désy.
L’autre Jean-Baptiste, Poquelin dit Molière, complète le trio et déride l’assistance par des numéros comiques tout en onomatopées et en grimaces, avant d’émettre enfin quelques vers du Tartuffe, du Bourgeois gentilhomme et du Malade imaginaire… mais on en est déjà presque à la fin. Les démêlés entre lui et Lully, imbu de son propre talent musical et ne voulant rien céder au théâtre, sont épiques, et la maladie, cette toux accablant Molière, interprété par un Jean-François Nadeau bien investi, aura bientôt raison du dramaturge.
L’œuvre a le mérite indéniable de faire voir un Louis XIV jeune, propulsé sur le trône alors que seuls la danse, la musique, le théâtre et… la chasse l’intéressent. Dans le rôle-titre, Mattis Savard-Verhoeven, affublé d’éléments de costumes féminins, mais jamais efféminé, cape de dentelles où domine le blanc et bientôt l’or, montre une force d’interprète polyvalent. Joueur, mais sérieux, pieux attaché aux plaisirs, il affronte sa mère avec aplomb comme il sait émettre ses exigences à ses complices artistiques. Le comédien Marcel Pomerlo, dont le personnage acerbe de dévot suit pas à pas l’ex-régente, le seul à porter la perruque d’époque au début, lance ses flèches avec brio, provoquant le rire parfois par un seul grognement, faisant contrepoint à l’insolente liberté des libertins.
Les ors du théâtre
Puisqu’on ne pouvait, faute de moyens importants, reproduire la munificence de Versailles — quoique des projections de décors auraient pu été envisagées sur l’écran en fond de scène —, on a choisi d’évoquer la cour à l’aide de quelques éléments significatifs. Une courte balustrade centrale délimitant l’ouverture d’un escalier d’où les personnages émergent comme d’un étage inférieur se révèle comme l’unique morceau fixe. Un petit socle tournant, quelques chaises qu’on déplace, et des effets de lumière découpés complètent le dispositif. À l’occasion de l’inauguration du château, le cadre de scène et les colonnes dorées du Théâtre Denise-Pelletier illuminés concourent à l’évocation, ingénieuse récupération de fragments architecturaux somptueux.
L’ensemble se déroule donc sur un plateau nu, où le jeu très physique des interprètes, notamment dans les scènes dansées des comédies-ballets, l’apport musical d’indispensables extraits d’œuvres de Lully, sans oublier les interrelations passionnées entre les protagonistes, font toute la force d’une représentation sans temps morts. Un épilogue, où apparaît pour la première fois sur scène la narratrice, semble vouloir faire un parallèle entre l’ère du Roi Soleil et une société contemporaine, où naîtraient « dans 100 ans, dans 1000 ans, des idées qui n’existent pas encore ». On ne peut s’empêcher de se dire que si nos dirigeants avaient aujourd’hui une telle préoccupation de l’art et de la beauté, sans doute investiraient-ils ailleurs leurs octrois faramineux…
Texte et adaptation (d’après le scénario du film de Gérard Corbiau, Andrée Deltour-Corbiau et Ève de Castro, lui-même inspiré du roman Lully ou le musicien du Soleil de Philippe Beaussant) : Emmanuelle Jimenez. Mise en scène : Michel-Maxime Legault, assisté de Charlotte Ménard. Scénographie : Jean Bard. Costumes : Daniel Fortin, assisté de Marc-Antoine Roux. Éclairages : Sonoyo Nishikawa. Mouvement : Janie Richard et Sara Harton. Accessoires : Mayumi Ide-Bergeron. Musique et environnement sonore : Antoine Bédard, assisté de Marie-Frédérique Gravel. Musique : Susan Napper (viole de gambe), Corinne René (percussions) et Frédérike Bédard (chant). Maquillages-coiffures : Suzanne Trépanier. Avec Marie-Thérèse Fortin, Sharon Ibgui, Simon Landry-Désy, Jean-François Nadeau, Marcel Pomerlo et Mattis Savard-Verhoeven. Une production du Théâtre Denise-Pelletier présentée du 14 novembre au 9 décembre 2023.
Loin du faste légendaire de la cour de Versailles, avec ses lustres, ses dorures, ses jardins, ses fontaines et ses spectacles à grand déploiement, la production à l’affiche du Théâtre Denise-Pelletier se démarque par le choix du dépouillement, concentrant l’action et la tension dramatique entre de rares personnages, cinq au total, ainsi qu’une discrète narratrice. S’appuyant sur une impeccable direction d’acteurs, le spectacle s’intéresse à la relation historique entre trois esprits forts; Louis XIV, Lully et Molière, ayant tous œuvré à la grandeur artistique et politique de la France au 17e siècle. Cela envers et contre des forces conservatrices qu’il aura bien fallu pourfendre.
La pièce d’à peine une heure trente, libre adaptation du scénario du film Le Roi danse (2000), consiste en une fable au rythme télescopé où défilent, en d’innombrables raccourcis, les époques d’un règne qui a duré… 72 ans ! Période féconde et riche s’il en est, dont les huit premières années sous la régence d’Anne d’Autriche, la mère de Louis, femme de pouvoir incarnée ici par une Marie-Thérèse Fortin en pleine maîtrise. Ainsi, en quelques répliques naît Louis-Dieudonné, fils de Louis XIII, qui à la mort de celui-ci accède au trône, alors qu’il n’a pas cinq ans, puis à 13 ans décide de gouverner seul et rencontre le musicien italien Giovanni Battista Lully, jeune « baladin » allant nu-pieds, joué avec vivacité et éclat par Simon Landry-Désy.
L’autre Jean-Baptiste, Poquelin dit Molière, complète le trio et déride l’assistance par des numéros comiques tout en onomatopées et en grimaces, avant d’émettre enfin quelques vers du Tartuffe, du Bourgeois gentilhomme et du Malade imaginaire… mais on en est déjà presque à la fin. Les démêlés entre lui et Lully, imbu de son propre talent musical et ne voulant rien céder au théâtre, sont épiques, et la maladie, cette toux accablant Molière, interprété par un Jean-François Nadeau bien investi, aura bientôt raison du dramaturge.
L’œuvre a le mérite indéniable de faire voir un Louis XIV jeune, propulsé sur le trône alors que seuls la danse, la musique, le théâtre et… la chasse l’intéressent. Dans le rôle-titre, Mattis Savard-Verhoeven, affublé d’éléments de costumes féminins, mais jamais efféminé, cape de dentelles où domine le blanc et bientôt l’or, montre une force d’interprète polyvalent. Joueur, mais sérieux, pieux attaché aux plaisirs, il affronte sa mère avec aplomb comme il sait émettre ses exigences à ses complices artistiques. Le comédien Marcel Pomerlo, dont le personnage acerbe de dévot suit pas à pas l’ex-régente, le seul à porter la perruque d’époque au début, lance ses flèches avec brio, provoquant le rire parfois par un seul grognement, faisant contrepoint à l’insolente liberté des libertins.
Les ors du théâtre
Puisqu’on ne pouvait, faute de moyens importants, reproduire la munificence de Versailles — quoique des projections de décors auraient pu été envisagées sur l’écran en fond de scène —, on a choisi d’évoquer la cour à l’aide de quelques éléments significatifs. Une courte balustrade centrale délimitant l’ouverture d’un escalier d’où les personnages émergent comme d’un étage inférieur se révèle comme l’unique morceau fixe. Un petit socle tournant, quelques chaises qu’on déplace, et des effets de lumière découpés complètent le dispositif. À l’occasion de l’inauguration du château, le cadre de scène et les colonnes dorées du Théâtre Denise-Pelletier illuminés concourent à l’évocation, ingénieuse récupération de fragments architecturaux somptueux.
L’ensemble se déroule donc sur un plateau nu, où le jeu très physique des interprètes, notamment dans les scènes dansées des comédies-ballets, l’apport musical d’indispensables extraits d’œuvres de Lully, sans oublier les interrelations passionnées entre les protagonistes, font toute la force d’une représentation sans temps morts. Un épilogue, où apparaît pour la première fois sur scène la narratrice, semble vouloir faire un parallèle entre l’ère du Roi Soleil et une société contemporaine, où naîtraient « dans 100 ans, dans 1000 ans, des idées qui n’existent pas encore ». On ne peut s’empêcher de se dire que si nos dirigeants avaient aujourd’hui une telle préoccupation de l’art et de la beauté, sans doute investiraient-ils ailleurs leurs octrois faramineux…
Le roi danse
Texte et adaptation (d’après le scénario du film de Gérard Corbiau, Andrée Deltour-Corbiau et Ève de Castro, lui-même inspiré du roman Lully ou le musicien du Soleil de Philippe Beaussant) : Emmanuelle Jimenez. Mise en scène : Michel-Maxime Legault, assisté de Charlotte Ménard. Scénographie : Jean Bard. Costumes : Daniel Fortin, assisté de Marc-Antoine Roux. Éclairages : Sonoyo Nishikawa. Mouvement : Janie Richard et Sara Harton. Accessoires : Mayumi Ide-Bergeron. Musique et environnement sonore : Antoine Bédard, assisté de Marie-Frédérique Gravel. Musique : Susan Napper (viole de gambe), Corinne René (percussions) et Frédérike Bédard (chant). Maquillages-coiffures : Suzanne Trépanier. Avec Marie-Thérèse Fortin, Sharon Ibgui, Simon Landry-Désy, Jean-François Nadeau, Marcel Pomerlo et Mattis Savard-Verhoeven. Une production du Théâtre Denise-Pelletier présentée du 14 novembre au 9 décembre 2023.