Critiques

13ᵉ Contes à passer le temps : Une chance qu’on s’a

© David Mendoza Hélaine

Dame nature a beau tarder à revêtir ses habits blancs, les Contes à passer le temps de La Vierge folle sont de retour pour nous mettre dans l’esprit des Fêtes. Le public peut goûter à une nouvelle fournée d’histoires drôles et tristes saupoudrée, pour cette 13e édition, d’une grosse pincée de chance.

La volonté de créer un rituel à la fois festif et réflexif est ancrée dans le concept des Contes à passer le temps depuis les débuts. Cette année, Maxime Robin et sa bande poussent cette idée encore un peu plus loin en proposant, pour inclure et clore les contes, un traumavertissement. Parfois, et particulièrement pour la version « Contes pour tous » présentée en 2022 au Théâtre jeunesse Les Gros Becs, la compagnie reçoit des messages de personnes troublées que les Contes ne contiennent pas que de la féérie et des dénouements heureux. Ce sont pourtant les contrastes (la vie et la mort, les calendes et les saturnales, les joies intenses et les douloureuses expériences) qui font de la fin de l’année une période qui laisse des souvenirs si vifs — et qui la rend si propice à générer des histoires.

La Vierge folle ne se contente pas d’énoncer cette leçon, elle en fait la démonstration. Dans l’introduction toute simple, le metteur en scène, interprète et auteur Maxime Robin prend la parole pour expliquer, à travers des souvenirs très personnels, comment l’ambivalence sert de fondement à ses créations. Il en profite pour nous donner les référents qui nous permettront d’apprécier tout le côté déjanté de la scène finale, où les personnages de son film de Noël fétiche, Le Chant du Missouri (Meet Me in St. Louis) prennent le plancher. L’improbable apparition de la Vierge, munie d’un sac de randonnée, force l’arrêt du tournage. On vous laisse deviner qui incarne la Madone…

Ce mariage de cinéma hollywoodien et d’histoire de la Bible est un autre filon porteur. En passant du sacré au profane, de la tradition chrétienne à la culture populaire, cette édition des Contes reflète bien le pot-pourri que chaque personne concocte pour que Noël ait du sens et dégage un peu de magie.

© David Mendoza Hélaine

Quatre histoires colorées

Seulement quatre contes composent le cœur de cette 13e édition, mais nous n’avons pas l’impression de perdre au change par rapport aux années plus fournies. Les histoires sont développées avec un soin particulier, tant par les auteurs et autrices que par les interprètes. Le spectacle dure plus de deux heures, qu’on traverse presque sans s’en rendre compte, le légendaire bar à gâteaux et la convivialité des voûtes de la Maison Chevalier aidant à rendre l’expérience chaleureuse. Le tout est ponctué de chants éclectiques à souhait et de judicieuses interventions musicales de Frédéric Brunet.

Il y a d’abord Peau de lièvre de Nadia Girard Eddahia (cofondatrice de La Trâlée), livré par Gaïa Cherrat Naghshi, recrue de la distribution qui mélange les générations. Le récit d’une jeune femme malmenée par la vie, nouvellement emménagée au centre du quartier Saint-Roch, prend peu à peu des airs de Magicien d’Oz. Au fil d’un périple en pyjama, elle rencontre une série de personnages étranges et attachants qui l’accompagnent jusqu’à un banquet, sous les échangeurs de béton de l’îlot Fleurie. La livraison un peu rapide pourrait gagner en relief, mais on embarque tout de même dans ce récit qui montre que parfois, il suffit de suivre la route de pierres rondes pour passer de la malchance solitaire à la magie solidaire.

Dans Célébrer sa chance, la plume aiguisée d’Érika Soucy et la prestation vive et comique de Danielle Le Saux-Farmer nous gardent au bout de notre siège. Débarquée comme une tornade dans un dépanneur la veille de Noël, une femme qui en voit de toutes les couleurs en rénovant son condo du quartier Saint-Jean-Baptiste s’achète un billet Célébration. Le récit rocambolesque de son passage à la télé, où elle devient l’incarnation « acceptable » de la crise du logement, est tout simplement savoureux, et se conclut sur une note bienveillante surprenante.

Le cœur est un oiseau de Sophie Grenier-Héroux nous amène dans le quartier Limoilou, plus précisément au centre Ferland, où les cours d’aquaforme sont l’occasion de nouer de torrides affaires. Ornithologique amateur et cupidon aveugle, le personnage joué par Denis Marchand, doyen de la troupe, est comique et attachant. En tentant d’aider sa nouvelle voisine, immigrée du Brésil, il accumule les maladresses touchantes et les métaphores colorées.

Valérie Boutin signe et interprète Un ange passe. De ses cinq ans où elle était éblouie par les prouesses pailletées d’Isabelle Brasseur et Lloyd Eisler, à un moment de grâce dans l’œil d’une tempête à l’entrée du quartier Saint-Sauveur, elle dresse un bilan sensible, qui fait écho à celui de Maxime Robin livré au début de la soirée. La vie est une épopée, jalonnée de moments tendres et d’épreuves, qu’on traverse avec ceux et celles qui composent notre tribu.

S’il n’y a qu’une morale à tirer de cette 13e édition des Contes à passer le temps, ce serait celle de saisir toutes les occasions qui nous permettent d’être ensemble, dans les rues, en famille et entre voisins, par hasard ou par choix.

© David Mendoza Hélaine

Contes à passer le temps

Texte : Valérie Boutin, Nadia Girard Eddahia, Jean-Michel Girouard, Sophie Grenier-Héroux, Maxime Robin et Erika Soucy. Mise en scène : Maxime Robin. Direction artistique : Sophie Thibeault. Conception sonore : Frédéric Brunet. Avec Valérie Boutin, Frédéric Brunet, Gaïa Cherrat Naghshi, Danielle Le Saux-Farmer, Denis Marchand et Maxime Robin. Une production de La Vierge folle présentée à la Maison Chevalier jusqu’au 30 décembre 2023.