JEU des 5 questions

Cinq questions à Charles Bender, Jean-Frédéric Messier et Philippe Lambert

© La Licorne

La Semaine de la dramaturgie autochtone à La Licorne survient grâce à la volonté commune du directeur du théâtre Philippe Lambert, du comédien et metteur en scène Charles Bender et de l’auteur et metteur en scène Jean-Frédéric Messier de faire découvrir, au public québécois, des textes d’auteurs et autrices de la dramaturgie autochtone canadienne anglaise.

Le Québec rattrape peu à peu le temps perdu dans la connaissance des cultures autochtones. Comment est né le projet ?

La Manufacture a une longue tradition de présenter des pièces traduites venant de l’Irlande, l’Écosse ou de l’Angleterre. En discutant avec les deux commissaires, Charles Bender et Jean-Frédéric Messier, sur une façon de faire découvrir la dramaturgie autochtone, il y avait une cohérence avec notre mission et l’idée d’offrir en traduction des textes issus de la dramaturgie autochtone canadienne-anglaise. D’autant que ce corpus, très étoffé, est méconnu ici au Québec. La souplesse de la formule de lectures publiques, en présentant plusieurs pièces en quelques soirs, nous permettait d’exposer la grande diversité des paroles et du même coup, de mettre en lumière de nombreux artistes autochtones. Nous avons donc choisi trois créations qui reflètent la richesse des écritures autant dans les formes utilisées que dans les thèmes abordés. Il y avait aussi un souci de représenter différents territoires et communautés. Nous voyagerons donc de l’Ontario à la Saskatchewan en passant par le Manitoba, avec des personnages tantôt historiques, tantôt fictifs.

Avec des centaines de nations autochtones au Canada, contre 11 au Québec, le champ des possibles était vaste pour faire vos choix de textes ?

Notre choix s’est fait tout d’abord en fonction des textes auxquels nous avions accès, ce qui signifiait dans ce cas-ci des œuvres qui avaient été publiées ou produites. Charles et Jean-Frédéric ont lu et discuté d’une vingtaine de pièces au total. Au fil des rencontres, ils ont identifié les textes qui les inspiraient le plus et, rapidement, le souci d’offrir un portrait varié est apparu. Ces choix ont été partagés avec Philippe Lambert et c’est en trio qu’ont été sélectionnés les trois textes qui seront présentés en lecture.

On connaît les dramaturges Kevin Loring et Drew Hayden Taylor qui ont été joués ici, en quoi les textes choisis ressemblent aux préoccupations/démarches de ces deux auteurs ?

Ce qui rassemble toutes ces œuvres, c’est sans doute l’humour qui est présent, même s’il se manifeste de manière distincte chez chacun∙e de ces artistes. Drew a un humour frontal, qui se sert beaucoup de l’ironie et du sarcasme. Kevin, de son côté, utilise l’humour comme contraste à la noirceur de ce que les personnages ont vécu et ce qu’ils ont a révélé. Kenneth Williams, lui, y va d’un humour clownesque. On sent très bien la relation clown rouge — clown blanc classique qui lie ses deux personnages. Quant à Daniel D Moses, il nous sert un humour très noir qui fait grincer des dents. Le seul rire permis est un rire malaisant. Frances Koncan, par l’entremise d’une lecture féministe de l’histoire, inverse une situation triste en la rendant drôle. Elle propose une ironie existentielle qui nous fait rire jaune. Il y a sans doute la sélection des trois textes proposés à La Licorne, une forme ou une autre d’audace formelle qui les distingue d’écritures construites autour du drame psychologique. Les univers proposés dans ces textes font une grande part à l’imaginaire et à l’absurde.

Parlez-nous un peu de vos collaborateurs à ces mises en lecture.

L’équipe est un mélange d’artistes autochtones et allochtones. Charles et Jean-Frédéric ont déjà travaillé avec bon nombre d’entre eux, tandis que pour d’autres, c’est une première fois. Ce projet constitue en lui-même une forme de rencontre et les distributions ont été construites en tenant compte des identités culturelles des comédien∙nes et de leurs personnages. Un des avantages des lectures, c’est qu’elles sont moins chronophages que les productions régulières, c’est donc plus facile de trouver des artistes disponibles. Au bout du compte, ce projet dans son ensemble réunit des équipes très talentueuses qui contribuent énormément à la qualité des présentations de ces textes.

Est-ce que votre initiative risque d’avoir des suites à La Licorne ou ailleurs ?

L’objectif derrière un événement de lectures publiques est clairement de mettre en lumière plusieurs textes à la fois et surtout de les entendre résonner devant un public à travers l’interprétation des acteurs et actrices. Ce retour en direct est précieux parce que pour un∙e directeur∙trice artistique, une telle présentation permet bien entendu de découvrir de nouvelles écritures, mais parfois aussi de confirmer et/ou valider des intuitions de programmation si ce sont des textes qu’on a déjà lus. Avant tout, un projet de ce genre permet de faire des rencontres, créer des liens et développer une synergie qui éventuellement pourra faire naître d’autres collaborations. C’est donc plutôt après l’événement et dans les prochaines saisons théâtrales qu’on pourra mieux évaluer s’il y a des retombées positives à la suite de cette initiative.

La Semaine de la dramaturgie autochtone est à l’affiche de La Licorne du 29 au 31 janvier 2024.