Critiques

Jules et Joséphine : Si la cousine de Jules Verne était une aventurière

© Marie-Andrée Lemire

Depuis que Moana a répondu à l’affirmative à l’appel de la mer, les créateurs et créatrices d’histoires et récits initiatiques à l’intention d’un public jeunesse ont compris que les héroïnes féminines savaient être d’excellentes navigatrices et de bonnes raconteuses. Et, tant mieux pour la diversité du répertoire : les héritières de Fifi Brindacier, Dora l’exploratrice et les autres prennent leur place et réécrivent les mythes et légendes de la découverte des territoires et océans.

La pièce Jules et Joséphine, à l’affiche de la scène Fred-Barry, s‘inscrit avec brio dans cette lignée d’œuvres jeunesse qui fait la belle part à l’exploration d’un point de vue féminin. Rendue avec fraîcheur et aplomb par Clara Prévost, la Joséphine en question tient une correspondance assidue avec son cousin français Jules (Yann Aspirot).

Elle est Québécoise. Il vit en France. Son cousin et elle chérissent des rêves d’aventures, s’abreuvent de récits de fiction, nourrissent le rêve de découvrir des mondes inconnus. Il et elle décident qu’il est temps d’enfin faire connaissance en sol français. La quête de Joséphine débute avec un pari : celui de traverser l’Atlantique d’ici la prochaine lune, et d’accoster à Nantes, avec à ses trousses son acolyte de navigation, qui est son meilleur ami Jacquot (David Noël). La raison d’y parvenir ? Contourner la destinée qui leur a été tracée par l’atavisme pour plutôt s’inventer à leur guise. Elle est promise à une vie de femme au foyer rangée, il doit faire avocat. Les deux ont décidé de rebrasser les cartes en espérant réécrire leur destin à l’image de leurs rêves d’explorateur et d’exploratrice des mondes et des livres.

© Marie-Andrée Lemire

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L’évocation est au cœur de cette odyssée d’un peu plus d’une heure, qui prend forme sur une scène dominée par un escalier en colimaçon. Une habile mise en scène de Frédéric Bélanger permet d’amalgamer sans lourdeur des éléments historiques et fictifs. L’intrigue du texte de Philippe Robert est enlevante, les costumes sont sublimes, l’éclairage et ses jeux d’ombres nous transportent en des univers tantôt mystiques, tantôt anciens. Et les agiles interprètes Milène Leclerc et Yann Aspirot se métamorphosent en personnages typés qui servent à merveille cette traversée riche en péripéties, en métaphores et en initiations aux rudiments de la mer et de la vie.

Jules et Joséphine s’appuie aussi sur quelques références qui mettront la puce à l’oreille aux féru·es d’histoire. Joséphine, au début de la pièce, monte à bord du Montreal and Lachine Railroad, qui a été le premier train au Canada. Des rideaux du Theatre Royal sont récupérés et transformés en un ballon rouge conçu par Jacquot.

L’ambitieuse traversée débute par une énigme qui implique le pied du Mont-Royal, et qui amène les protagonistes sur la route d’une foule de personnages imaginaires aux vertus poétiques. Du Saint-Laurent jusqu’à la Loire, les navigateur·trices en herbe rencontrent une série de spectres, de légendes et d’obstacles marins, s’accrochant les pieds aux îles de la Madeleine avant d’être propulsé·es à travers le Rocher Percé.

Destinée aux 10 ans et plus, cette création de la compagnie Advienne que pourra est inspirée et inspirante, dans sa manière de s’approprier la force imaginative de l’œuvre de Jules Verne. Philippe Robert et les artisan·nes de la pièce s’approprient avec joie et doigté l’univers de ceux et celles qui osent faire des paris impossibles, au nom de la liberté de s’émanciper, de rêver d’ailleurs, de créer leur destinée et aller à la rencontre de soi-même.

On ressort rajeuni·e et regaillardi·e de cette invitation au voyage, tout en se rappelant que l’histoire se change par des Joséphines qui sortent de l’ombre pour mieux inventer leur mappemonde.

© Marie-Andrée Lemire

Jules et Joséphine

Texte : Philippe Robert. Mise en scène : Frédéric Bélanger. Assistance et régie : Pier-Luc Legault. Assistance : Maïa Ménard-Bélanger. Scénographie : Francis Farley-Lemieux. Costumes : Jonathan Beaudoin. Accessoires : Julie Measroch. Décor : Francis Farley-Lemieux. Direction technique : Kyllian Maheu. Lumières : Kylian Mahieu. Avec Yann Aspirot, Milène Leclerc, David Noël, Clara Prévost. Une production du Théâtre Advienne que pourra, présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 8 mars 2024.