Deux pierres et quatre arbres dialoguent dans Because of the Mud. Cette étrange et sympathique pièce de Nate Yaffe, spectacle pluridisciplinaire en langue anglaise (surtitré en français), questionne ce que pourraient penser des changements climatiques les différents éléments naturels, dans une perspective queer intéressante.
Il pleut sur les planches de La Chapelle; une petite bruine quasi ininterrompue représentant une pluie torrentielle qui dure depuis des semaines. Saturé d’eau depuis longtemps, le bosquet de trembles se plaint, s’étonne et se chamaille en attendant que le soleil revienne. Chacun des troncs fait partie du même organisme, du même arbre, et son nom, aussi leur nom et le nom de chacun·e, est Roberta (et peut-être aussi Robert). Grâce aux alternances entre les dialogues et les apartés, on apprend à connaître un peu plus la personnalité de chacun·e et sa réaction aux aléas météorologiques.
Alors que la plus vieille pense que tout passera et qu’il faut avoir confiance en l’avenir, la plus jeune se sent paniquée face à toute cette eau. Mais comment un arbre peut-il éprouver de la panique ? Et tout bien considéré, cette pluie dérange-t-elle tant que ça ou ne finira-t-elle pas par passer, comme tout le reste ? Des réflexions bien poussées pour un végétal, dira-t-on, et pourtant la sauce prend. Capitalisant beaucoup sur la répétition et la variation, le jeu des quatre Roberta fait rire et méditer, tour à tour, et ce, malgré un rythme généralement lent, qui gagnerait à être resserré. Le questionnement sur le groupe, le moi et l’aliénation fonctionne étonnamment bien dans cette situation inusitée, malgré un jeu assez inégal, et parfois trop feutré (on doit quelques fois tendre l’oreille) des quatre artistes.
Un peu plus loin, dans le lit d’une rivière asséchée, un morceau de quartz et un morceau de granit reposent au même endroit depuis des millénaires. Habitué·s l’un à l’autre, Elias et Emmanuel·le conversent, alternant eux ou elles aussi entre dialogues et adresse au public. Le duo comique, dans lequel on retrouve une Alexis O’Hara très en verve malgré la petitesse regrettable de son rôle, opère aussi la console de son, mixant et échantillonnant au fur et à mesure que l’action se déroule.
Trouble dans l’écosystème
On reprochera d’ailleurs à l’ambiance sonore, originale et minimaliste, de créer une atmosphère duveteuse et confortable qui, ajoutée au bruit blanc de la pluie, peut engendrer une certaine somnolence. C’est qu’il y a beaucoup d’espace entre les répliques, comme si on attendait quelque chose ou qu’on laissait de la place au silence.
On se réjouit toutefois du décor et des costumes, joliment bancals dans une esthétique DIY, qui arrivent avec beaucoup de facilité à bien représenter la nature de chaque personnage. Peu compréhensible au premier abord, la gestuelle des arbres finit par prendre racine dans l’esprit du public. On y découvre alors l’expression individuelle de chacun·e, ce qui ajoute, avec un rien de bizarrerie fort bienvenue, de l’étoffe à la relation qui les lie.
À travers toutes ces interactions se dessine également une proximité entre des êtres-choses fondamentalement différent·es, et même différent·es les un·es des autres. Chaque tronc du bosquet est unique, bien que tous fassent partie du même organisme. Une Roberta peut souffrir pendant qu’une autre peut avoir une tolérance beaucoup plus grande au même problème. Bien qu’ils et elles interagissent, Roberta et Elias ne se situent pas du tout sur la même échelle de temps (l’une compte en décennies et en siècles et l’autre, en millions d’années) ni sur la même branche du vivant. Les deux cailloux n’ont pas la même constitution, la même forme, la même origine. Et pourtant, toutes et tous participent du même écosystème.
Il y a là un certain regard sur la communauté queer et sur la notion de différence qui est assez bien développé, sans trop appuyer ni plonger dans une vision naïve. Tous ces « individus », malgré leurs différences marquées et leurs petites querelles intestines, se regroupent lorsqu’ils sont confrontés à une pression extérieure constante qui met leur existence même en danger. Un message pertinent en cette époque de bouleversements climatiques et de recul des droits des minorités.
Mise en scène et chorégraphie : Nate Yaffe. Texte : Corinne Donly. Conception musicale : Moe Clark et Alexis O’Hara. Scénographie et costumes : Atom Cianfarani. Lumière : Darah Miah. Traduction et création des surtitres français : Elaine Normandeau. Régie surtitres : Danielle Laurin. Aide à la production : Emmalie Ruest. Avec Ivanie Aubin-Malo, Anne Caines, Moe Clark, Sophia Gaspard, George Longshadow et Alexis O’Hara. Une production de Le Radeau présentée à La Chapelle Scènes Contemporaines du 19 au 22 février 2024.
Deux pierres et quatre arbres dialoguent dans Because of the Mud. Cette étrange et sympathique pièce de Nate Yaffe, spectacle pluridisciplinaire en langue anglaise (surtitré en français), questionne ce que pourraient penser des changements climatiques les différents éléments naturels, dans une perspective queer intéressante.
Il pleut sur les planches de La Chapelle; une petite bruine quasi ininterrompue représentant une pluie torrentielle qui dure depuis des semaines. Saturé d’eau depuis longtemps, le bosquet de trembles se plaint, s’étonne et se chamaille en attendant que le soleil revienne. Chacun des troncs fait partie du même organisme, du même arbre, et son nom, aussi leur nom et le nom de chacun·e, est Roberta (et peut-être aussi Robert). Grâce aux alternances entre les dialogues et les apartés, on apprend à connaître un peu plus la personnalité de chacun·e et sa réaction aux aléas météorologiques.
Alors que la plus vieille pense que tout passera et qu’il faut avoir confiance en l’avenir, la plus jeune se sent paniquée face à toute cette eau. Mais comment un arbre peut-il éprouver de la panique ? Et tout bien considéré, cette pluie dérange-t-elle tant que ça ou ne finira-t-elle pas par passer, comme tout le reste ? Des réflexions bien poussées pour un végétal, dira-t-on, et pourtant la sauce prend. Capitalisant beaucoup sur la répétition et la variation, le jeu des quatre Roberta fait rire et méditer, tour à tour, et ce, malgré un rythme généralement lent, qui gagnerait à être resserré. Le questionnement sur le groupe, le moi et l’aliénation fonctionne étonnamment bien dans cette situation inusitée, malgré un jeu assez inégal, et parfois trop feutré (on doit quelques fois tendre l’oreille) des quatre artistes.
Un peu plus loin, dans le lit d’une rivière asséchée, un morceau de quartz et un morceau de granit reposent au même endroit depuis des millénaires. Habitué·s l’un à l’autre, Elias et Emmanuel·le conversent, alternant eux ou elles aussi entre dialogues et adresse au public. Le duo comique, dans lequel on retrouve une Alexis O’Hara très en verve malgré la petitesse regrettable de son rôle, opère aussi la console de son, mixant et échantillonnant au fur et à mesure que l’action se déroule.
Trouble dans l’écosystème
On reprochera d’ailleurs à l’ambiance sonore, originale et minimaliste, de créer une atmosphère duveteuse et confortable qui, ajoutée au bruit blanc de la pluie, peut engendrer une certaine somnolence. C’est qu’il y a beaucoup d’espace entre les répliques, comme si on attendait quelque chose ou qu’on laissait de la place au silence.
On se réjouit toutefois du décor et des costumes, joliment bancals dans une esthétique DIY, qui arrivent avec beaucoup de facilité à bien représenter la nature de chaque personnage. Peu compréhensible au premier abord, la gestuelle des arbres finit par prendre racine dans l’esprit du public. On y découvre alors l’expression individuelle de chacun·e, ce qui ajoute, avec un rien de bizarrerie fort bienvenue, de l’étoffe à la relation qui les lie.
À travers toutes ces interactions se dessine également une proximité entre des êtres-choses fondamentalement différent·es, et même différent·es les un·es des autres. Chaque tronc du bosquet est unique, bien que tous fassent partie du même organisme. Une Roberta peut souffrir pendant qu’une autre peut avoir une tolérance beaucoup plus grande au même problème. Bien qu’ils et elles interagissent, Roberta et Elias ne se situent pas du tout sur la même échelle de temps (l’une compte en décennies et en siècles et l’autre, en millions d’années) ni sur la même branche du vivant. Les deux cailloux n’ont pas la même constitution, la même forme, la même origine. Et pourtant, toutes et tous participent du même écosystème.
Il y a là un certain regard sur la communauté queer et sur la notion de différence qui est assez bien développé, sans trop appuyer ni plonger dans une vision naïve. Tous ces « individus », malgré leurs différences marquées et leurs petites querelles intestines, se regroupent lorsqu’ils sont confrontés à une pression extérieure constante qui met leur existence même en danger. Un message pertinent en cette époque de bouleversements climatiques et de recul des droits des minorités.
Because of the Mud
Mise en scène et chorégraphie : Nate Yaffe. Texte : Corinne Donly. Conception musicale : Moe Clark et Alexis O’Hara. Scénographie et costumes : Atom Cianfarani. Lumière : Darah Miah. Traduction et création des surtitres français : Elaine Normandeau. Régie surtitres : Danielle Laurin. Aide à la production : Emmalie Ruest. Avec Ivanie Aubin-Malo, Anne Caines, Moe Clark, Sophia Gaspard, George Longshadow et Alexis O’Hara. Une production de Le Radeau présentée à La Chapelle Scènes Contemporaines du 19 au 22 février 2024.