Critiques

Mon conte de feu – À vélo entre les bombes : Entre rats et loups

© David Ospina

Les conflits armés, omniprésents cette saison sur les planches montréalaises, se sont frayé un chemin jusqu’à la scène jeunesse – bien que Mon contre de feu se présente comme un « spectacle pour adultes et enfants à partir de 8 ans ». Dans l’Allemagne des années 1940, le petit Felix passera brusquement de la boue de son jardin à celle des tranchées d’entraînement. Trois actrices-manipulatrices de talent (Marcelle Hudon, Anne-Marie Levasseur et Marie-Ève Trudel) narrent et illustrent l’histoire de la jeunesse du pionnier de la marionnette contemporaine Felix Mirbt (décédé au Québec, où il s’était établi, en 2002), telle qu’il l’a racontée dans son journal.

Ce n’est pas le premier spectacle qui soit tiré de ces écrits. En 2011, Marcelle Hudon, Francis Monty et Olivier Ducas proposaient Die Reise ou les visages variables de Felix Mirbt, élaboré à partir des marionnettes héritées du maître. Certaines de celles qui composent Mon conte de feu renvoient d’ailleurs directement à son esthétique. Pensons, par exemple, aux tiges de bois coiffées d’une tête ou aux chaussures fixées à des bâtons. À ces figures métonymiques s’ajoutent des masques d’animaux en carton, du théâtre d’ombres et de la manipulation d’objets.

Or la production écrite et mise en scène par Francis Monty constitue moins un spectacle hommage qu’une œuvre de fiction à part entière, inspirée des pérégrinations du jeune Mirbt dans l’Europe de la Seconde Guerre mondiale. Il ira d’abord à l’école militaire, où l’on forme « des machines de guerre », puis s’enfuira pour rejoindre son père à Berlin, avec lequel il entamera un épique périple nocturne à bicyclette. Il est question d’une mystérieuse mission impliquant le transport d’une somme fort conséquente d’argent… tandis que le messager et son rejeton préadolescent n’ont rien à se mettre sous la dent pendant plusieurs jours de leur odyssée.

© David Ospina

Forme maîtrisée

À la fois quête et parcours initiatique, ce conte est en outre habité de tout un bestiaire. Éléphants, lapins, loups, dragons et rats (vrais et faux !) peuplent la trame narrative, au point où il devient quelque peu ardu de s’orienter dans les méandres symboliques de ces allégories. En revanche, la structure du récit se révèle fort simple et un brin usitée. Or comme, en outre, le rythme des péripéties tend à ralentir au fil de la représentation, certains spectateurs et spectatrices pourront expérimenter un éventuel déclin d’intérêt.

Pourtant, le spectacle démarre sur les chapeaux de roue. La soldate narratrice (Marie-Ève Trudel) subjugue le public par son jeu exquisément clownesque — voire bédéesque — aux gestes, aux intonations et à l’articulation outrés. Si le phrasé du texte de Monty ajoute au comique du discours par sa recherche ludique, l’entièreté de la mise en scène s’avère aussi réjouissante.

Qu’il s’agisse de splendides jeux d’ombre, de gratte-ciels de papier se transmuant en masque d’éléphants, d’immeubles intacts basculant vers leur version bombardée ou du rideau de scène faisant office de cape gigantesque revêtue par le dragon ennemi, l’ingéniosité des procédés captive. Et toutes ces astuces formelles se trouvent magnifiquement mises en lumière par Thomas Godefroid, dont on appréciera tout particulièrement l’usage des tons de rouge, qui créent des effets saisissants.

Cette histoire que l’on qualifie de « conte de fées » moderne possède effectivement une dose d’horreur — ce n’est certes pas ce qui manque en contexte de guerre — comme peuvent le faire les créations originales des frères Grimm ou de Charles Perrault. Même que certaines scènes pourraient s’avérer quelque peu anxiogènes pour les plus jeunes spectateurs et spectatrices, comme lorsque Felix, son père et d’autres citoyens risquent l’asphyxie sous les décombres causés par un obus. Ou quand le colossal dragon déploie sa voix électroniquement modifiée sous les accords terrifiants — en l’occurrence — de la « Danse des chevaliers » du Roméo et Juliette de Sergeï Prokofiev. Le reste de l’auditoire savourera la puissance de ces tableaux, qui bonifient grandement l’expérience proposée par ce Conte de feu.

© David Ospina

Mon conte de feu – À vélo entre les bombes

Texte et mise en scène : Francis Monty. Assistance à la mise en scène : Martine Richard et Julie Brosseau-Doré. Collaboration artistique : Olivier Ducas et Marcelle Hudon. Scénographie, objets et costumes : Julie Vallée-Léger. Assistance à la scénographie : Gabrielle Chabot. Conseils dramaturgiques : Jonathan Cusson. Éclairages : Thomas Godefroid. Musique : Mathieu Doyon. Maquillages : Audrey Trottier. Avec Marcelle Hudon, Anne-Marie Levasseur, Marie-Ève Trudel. Une production du Théâtre de la Pire Espèce, en coproduction avec le Festival Petits et Grands et le Théâtre à la coque — Centre National des Arts de la Marionnette, au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 26 mars 2024.