Critiques

Coup de vieux : En attendant… la fin

© Stéphane Bourgeois

Troublante proposition et déstabilisante à souhait que cette nouvelle pièce de Larry Tremblay, dont l’œuvre a toujours brillé par sa complexité et sa finesse, du Dragonfly of Chicoutimi et Abraham Lincoln va au théâtre à ses romans L’Orangeraie et Tableau final de l’amour, qui furent adaptés avec bonheur pour la scène. Cette fois, le portrait de la vieillesse que trace Coup de vieux se révèle excessivement pathétique et déprimant, bien que l’humour et le talent des interprètes sauvent la mise d’une représentation qui, malgré tout, risque de laisser perplexe une partie du public. Que l’on soit jeune ou plus près de la réalité décrite, le miroir qu’on nous tend choque.

Dès l’entrée en salle, un jeune mime-clown (suave Thomas Boudreault-Côté) arpente la scène, reluque les gens qui rejoignent leur place, lance « allô » à l’une ou à l’autre, se lave les mains, joue de la batterie, trébuche, tout cela avec quelques bruits assortis produits par sa bouche ou préenregistrés. Puis, dans un lieu au début non identifié, des personnages dont on ne découvre d’abord que les prénoms — Pierre, Lucie, William, plus tard Adèle et Géraldine — échangent des propos décousus, râlent ou se plaignent, confrontent leurs souvenirs qui ne concordent pas toujours et livrent peu à peu de petites parts de leur vie passée et présente. Constats sombres de désirs non réalisés, de trahisons du destin, d’un présent inconsistant où l’on s’ennuie et d’un avenir bouché par ses incapacités grandissantes.

Chacun·e arrive à l’étape de son existence où ses facultés cognitives déraillent, où la santé physique se voit de plus en plus hypothéquée. Un sentiment d’exclusion affleure également, lorsque, par exemple, on leur demande leur « opinion » par le biais d’un sondage téléphonique où toutes les réponses sont à choix multiples : « d’accord », « en partie d’accord », « totalement en désaccord ». « Rappelez-moi, dira Pierre, j’ai le temps de vous parler. » En vérité, qui s’intéresse vraiment à leur avis ? Ces êtres vieillissants — dont la démarche, la parole, vacillent de plus en plus — sont en rupture avec les nouvelles valeurs de leur société et les commentent fort superficiellement. Leurs réparties, cela dit, font souvent mouche et provoquent les rires de l’assistance.

© Stéphane Bourgeois

Théâtre absurde

Le metteur en scène Claude Poissant, qui a accouché avec succès plusieurs pièces de Larry Tremblay, a choisi ici une approche minimaliste. Sans décor, à part un piano droit et un pan de rideau rouge — qui dévoilera une grande fenêtre avec vue sur une tempête de grêle perçue comme « la fin du monde » par ces gens fragilisés —, il a misé avant tout sur le jeu, distancié par un langage décalé où l’on prononce toutes les négations, créant une étrangeté signifiante. Il faut une maîtrise, un tonus de tous les instants à ces grands noms de la scène que sont Sylvie Drapeau, Jacques Girard, Jacques Leblanc, Marie Gignac et Linda Sorgini pour maintenir la tension malgré la vacuité des conversations, où on sent bien l’impuissance, le manque d’emprise sur quoi que ce soit.

L’intervention silencieuse de Clovis le clown, apparition furtive à quelques reprises, puis présence plus marquée vers la fin, image de jeunesse et symbole de la mort, participe au décalage ressenti entre la réalité de celles et ceux qu’on devine à présent résident·es d’une maison pour personnes âgées. L’approche de leur fin, l’attirance du suicide, hantent ces dernières minutes. Difficile de ne pas se dire, devant ce tableau cruel, que l’on connaît des vieux et des vieilles encore enthousiastes, énergiques, aux nombreux projets. Oui, mais tôt ou tard, même ces exceptions arriveront à destination et verront leurs forces décliner. C’est le sort de la très grande majorité, auquel on ne peut échapper. D’où, sans doute, le malaise ressenti devant ce théâtre de l’absurde, qui n’est pas sans évoquer Beckett, dont l’auteur dit s’être inspiré.

© Stéphane Bourgeois

Coup de vieux

Texte : Larry Tremblay. Mise en scène : Claude Poissant, assisté d’Andrée-Anne Garneau. Scénographie : Jean Bard. Lumière : Philippe Lessard Brunet. Environnement sonore : Joris Rey. Costumes : Virginie Leclerc, assistée de Danielle Boutin. Accessoires : Marie McNicoll. Maquillages : Élène Pearson. Coiffures : Florian Van Wambeke, avec la collaboration de Sarah Tremblay. Conseil au mouvement : Josiane Bernier. Avec Thomas Boudreault-Côté, Sylvie Drapeau, Marie Gignac, Jacques Girard, Jacques Leblanc, Linda Sorgini. Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et du Théâtre du Trident, présentée à la salle Michelle-Rossignol du CTD’A jusqu’au 13 avril 2024.