S’installant dans la salle, le public découvre sur l’écran, qui constitue une grande part du décor, une citation d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin (l’insolente linguiste) : « Le français est, au Québec, le principal vecteur d’identité. Car la langue, c’est beaucoup plus qu’un simple moyen de communication. C’est un outil social et culturel. […] Dénigrer sa propre langue, donc, c’est dénigrer son identité. » Le propos de la pièce, l’insécurité linguistique au Québec, est ainsi affiché. Et dès l’entrée en scène de la comédienne et autrice, le ton est donné : ce ne sera pas triste.
La pièce commence comme une conférence faisant état des recherches effectuées par Klervi Thienpont pour son mémoire de maîtrise portant sur l’oralité de la langue au théâtre. Ce cadre sera rapidement débordé, détourné, telle la langue dans le titre. Plutôt que de suivre un chemin bien tracé, la pièce fera plusieurs détours. Sans jamais se perdre, cependant.
Le plan de la représentation, tant dans son contenu que sa forme, est annoncé par la conférencière qui en quatre points résume ce qu’elle a appris à l’université : « Faire des PowerPoint, du montage son, entrer en dialogue avec des chercheuses et des chercheurs, préciser ma pensée. » Tout cela est mis en œuvre dans (Dé)tourner sa langue par des montages visuels et sonores qui mêlent entrevues et anecdotes. Des poèmes, des karaokés, des saynètes parsèment la trame narrative d’une pièce qui conjugue des capsules linguistiques de Guy Bertand avec Africa chanté par Rose Laurens (« A-fri-ca » devient ici « af-fri-quées », comme le sont, au Québec, les consonnes [dz] ou [ts] devant les i ou les u). Entre autres amalgames réussis. Petit à petit, de rendez-vous chez la psy aux souvenirs d’enfance parsemés de faux dialogues téléphoniques avec une amie imaginaire, l’actrice-autrice précise sa pensée. « La langue au Québec, c’est politique. Si tu dis bonjour-hi dans un magasin, c’est politique. »
Lisette de Courval et moi
Klervi Thienpont se pose comme sujet de sa pièce. Non seulement comme autrice de ce mémoire qui est à l’origine du spectacle, mais aussi dans diverses postures liées à ses origines (belge et québécoise), à sa pratique (actrice), à sa vie de mère et de citoyenne. Pourtant, rien de narcissique dans cette démarche grâce à une bonne dose d’autodérision, qui permet de saisir la pertinence de ses réflexions.
Pourquoi, sur nos scènes, dès qu’il ne s’agit plus d’interpréter une pièce québécoise, doit-on adopter le français dit normatif ? Celui-ci est-il vraiment parlé quelque part ? Pourquoi ne reconnaissons-nous pas comme une richesse la diversité des accents en français, alors que cette même diversité, qui existe dans toutes les langues, ne gêne pas les locuteurs et locutrices anglophones, hispanophones… ?
Autant de questions qui trouvent la réponse, selon Klervi Thienpont, dans l’insécurité linguistique que vit le Québec devant l’omniprésence de l’anglais. La comédienne et autrice ne manque pas de souligner notre ambivalence sur cette question alors que, aux prises avec un statut de langue minoritaire sur ce continent, les gouvernements québécois refusent toujours de reconnaître la place des langues autochtones.
La pièce soulève surtout, comme manifestation de l’insécurité linguistique, les jugements moraux sur la qualité de la langue québécoise posés par ses propres locutrices et locuteurs. Pourquoi devrait-on corriger des expressions comme « tirer des roches à quelqu’un » par « le lapider » (extrait d’une capsule linguistique qui a fait éclater la salle de rire) ? Pourquoi est-il si difficile de reconnaître et accepter nos multiples accents ? Sur ce plan aussi, les attitudes peuvent être ambiguës. Ainsi, Klervi Thienpont raconte qu’elle a repris sa fille qui prononce des voyelles façon « hochelag », elles qui habitent Rosemont (autre éclat de rire), alors que « quand des acteurs et des actrices québécoises sonnent “Français de France”, [elle] trouve que ça fait “Lisette de Courval” dans Les Belles-sœurs. »
(Dé)tourner sa langue est un plaidoyer pour la reconnaissance du français québécois et particulièrement d’une norme linguistique québécoise qui permettrait qu’on parle « avec notre accent dans une pièce qui se déroule ailleurs ». La boule disco que Klervi Thienpont tient à un moment dans la pièce, alors qu’on entend Les gens de mon pays, la métaphorise fort bien : une boule aux multiples facettes, questions, accents.
Texte, conception visuelle et sonore, mise en scène et interprétation : Klervi Thienpont. Assistance de création : Guillaume Deman. Direction de recherche : Marie-Christine Lesage. Conception d’éclairage, direction technique et régie : Thomas Godefroid. Conseil artistique et dramaturgie : Philippe Ducros. Poésie : Hélène Frédérich. Une production d’Hôtel-Motel présentée dans six Maisons de la culture jusqu’au 16 avril 2024 dans le cadre du CAM en tournée.
S’installant dans la salle, le public découvre sur l’écran, qui constitue une grande part du décor, une citation d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin (l’insolente linguiste) : « Le français est, au Québec, le principal vecteur d’identité. Car la langue, c’est beaucoup plus qu’un simple moyen de communication. C’est un outil social et culturel. […] Dénigrer sa propre langue, donc, c’est dénigrer son identité. » Le propos de la pièce, l’insécurité linguistique au Québec, est ainsi affiché. Et dès l’entrée en scène de la comédienne et autrice, le ton est donné : ce ne sera pas triste.
La pièce commence comme une conférence faisant état des recherches effectuées par Klervi Thienpont pour son mémoire de maîtrise portant sur l’oralité de la langue au théâtre. Ce cadre sera rapidement débordé, détourné, telle la langue dans le titre. Plutôt que de suivre un chemin bien tracé, la pièce fera plusieurs détours. Sans jamais se perdre, cependant.
Le plan de la représentation, tant dans son contenu que sa forme, est annoncé par la conférencière qui en quatre points résume ce qu’elle a appris à l’université : « Faire des PowerPoint, du montage son, entrer en dialogue avec des chercheuses et des chercheurs, préciser ma pensée. » Tout cela est mis en œuvre dans (Dé)tourner sa langue par des montages visuels et sonores qui mêlent entrevues et anecdotes. Des poèmes, des karaokés, des saynètes parsèment la trame narrative d’une pièce qui conjugue des capsules linguistiques de Guy Bertand avec Africa chanté par Rose Laurens (« A-fri-ca » devient ici « af-fri-quées », comme le sont, au Québec, les consonnes [dz] ou [ts] devant les i ou les u). Entre autres amalgames réussis. Petit à petit, de rendez-vous chez la psy aux souvenirs d’enfance parsemés de faux dialogues téléphoniques avec une amie imaginaire, l’actrice-autrice précise sa pensée. « La langue au Québec, c’est politique. Si tu dis bonjour-hi dans un magasin, c’est politique. »
Lisette de Courval et moi
Klervi Thienpont se pose comme sujet de sa pièce. Non seulement comme autrice de ce mémoire qui est à l’origine du spectacle, mais aussi dans diverses postures liées à ses origines (belge et québécoise), à sa pratique (actrice), à sa vie de mère et de citoyenne. Pourtant, rien de narcissique dans cette démarche grâce à une bonne dose d’autodérision, qui permet de saisir la pertinence de ses réflexions.
Pourquoi, sur nos scènes, dès qu’il ne s’agit plus d’interpréter une pièce québécoise, doit-on adopter le français dit normatif ? Celui-ci est-il vraiment parlé quelque part ? Pourquoi ne reconnaissons-nous pas comme une richesse la diversité des accents en français, alors que cette même diversité, qui existe dans toutes les langues, ne gêne pas les locuteurs et locutrices anglophones, hispanophones… ?
Autant de questions qui trouvent la réponse, selon Klervi Thienpont, dans l’insécurité linguistique que vit le Québec devant l’omniprésence de l’anglais. La comédienne et autrice ne manque pas de souligner notre ambivalence sur cette question alors que, aux prises avec un statut de langue minoritaire sur ce continent, les gouvernements québécois refusent toujours de reconnaître la place des langues autochtones.
La pièce soulève surtout, comme manifestation de l’insécurité linguistique, les jugements moraux sur la qualité de la langue québécoise posés par ses propres locutrices et locuteurs. Pourquoi devrait-on corriger des expressions comme « tirer des roches à quelqu’un » par « le lapider » (extrait d’une capsule linguistique qui a fait éclater la salle de rire) ? Pourquoi est-il si difficile de reconnaître et accepter nos multiples accents ? Sur ce plan aussi, les attitudes peuvent être ambiguës. Ainsi, Klervi Thienpont raconte qu’elle a repris sa fille qui prononce des voyelles façon « hochelag », elles qui habitent Rosemont (autre éclat de rire), alors que « quand des acteurs et des actrices québécoises sonnent “Français de France”, [elle] trouve que ça fait “Lisette de Courval” dans Les Belles-sœurs. »
(Dé)tourner sa langue est un plaidoyer pour la reconnaissance du français québécois et particulièrement d’une norme linguistique québécoise qui permettrait qu’on parle « avec notre accent dans une pièce qui se déroule ailleurs ». La boule disco que Klervi Thienpont tient à un moment dans la pièce, alors qu’on entend Les gens de mon pays, la métaphorise fort bien : une boule aux multiples facettes, questions, accents.
(Dé)tourner sa langue
Texte, conception visuelle et sonore, mise en scène et interprétation : Klervi Thienpont. Assistance de création : Guillaume Deman. Direction de recherche : Marie-Christine Lesage. Conception d’éclairage, direction technique et régie : Thomas Godefroid. Conseil artistique et dramaturgie : Philippe Ducros. Poésie : Hélène Frédérich. Une production d’Hôtel-Motel présentée dans six Maisons de la culture jusqu’au 16 avril 2024 dans le cadre du CAM en tournée.