Critiques

La serre Concorde : « Se diriger vers le bon côté du monde »

© Serena Henson

Une dizaine d’adolescent·es arpente la scène de la petite salle de l’Usine C lorsque le public gagne les gradins. Arborant un attirail vestimentaire à la fois typique à cette tranche d’âge et spécifique à chaque personnage, constitué entre autres de pantalons en denim, de chandails écourtés et d’espadrilles, ces jeunes raconteront l’histoire imaginée par le dramaturge ontarien Jordan Tannahill, que la traduction d’Olivier Sylvestre situe en contrée lavalloise.

En plus d’aborder plusieurs sujets tels l’éveil de leur sexualité et le deuil, ils et elles exposeront à quel point leur conscience les taraude. Or se constater amèrement imparfait·es ne les empêche pas de s’espérer meilleur·es, ce qui, en soi, émeut. « Une vie sans beauté, c’est insupportable! », scanderont les protagonistes dans un élan de candeur désarmant.

Sans trop en révéler quant à l’intrigue — car il s’agit bien d’une œuvre à suspense et celui-ci s’avère franchement bien ficelé — disons que deux jeunes filles croient apercevoir un cadavre dans l’une des fosses de l’ancienne serre Concorde, abandonnée et servant de repaire à leur bande, et que cette découverte aura un impact critique sur la dynamique du groupe et sur l’état d’esprit de chacun de ses membres. Ceux-ci et celles-ci emprunteront l’allégorie de la peste — le Décaméron étant alors à l’étude dans leur classe — pour décrire la noirceur qui teintent et lestent peu à peu leurs âmes.

Œuvre chorale

La partition protéiforme proposée par Tannahill — et adroitement traduite par Sylvestre — jouxte dialogues, adresses au public et narration. Notons que celle-ci est assurée par la serre elle-même (incarnée par une comédienne), témoin des expérimentations de jeunes adultes en devenir, s’affranchissant plus ou moins ardûment de la chrysalide de l’enfance. La parole est également offerte à une renarde, mécontente de voir son territoire envahi par ces humain·es, et même à un divan, qui en a long à révéler sur ceux et celles qui l’ont occupé.

Fait écho à cette choralité l’utilisation de l’espace orchestrée par la metteuse en scène Raphaële Thiriet, qui multiplie sans excès ni lourdeur les mouvements de groupe. Par exemple, chaque chapitre s’amorce, annoncé par la narratrice, alors que les acteurs et actrices forment une ligne au fond du plateau. Tout au long du spectacle, ils et elles habitent pleinement l’aire de jeu, entourée d’un tapis gazonné, mais dénuée de toute composante scénographique.

Seuls quelques éléments sont efficacement suggérés par les astucieux éclairages de Stéphane Ménigot : des carrés de lumière figurent les maisons du quartier, des clignotements frénétiques évoquent l’affolement d’un oiseau s’étant lui-même piégé dans la cafétéria de l’école et désespérant, jusqu’à se blesser en percutant à répétition les fenêtres, de s’en échapper. Éloquente métaphore du sentiment d’impuissance dévastatrice qui ronge les étudiant·es.

Comme on pouvait peut-être s’y attendre, le jeu, somme toute convaincant, se révèle tout de même inégal selon les interprètes, l’intelligibilité de quelques répliques ayant même été compromise hier, soir de première. Or une œuvre d’art n’a pas à être parfaite pour être vibrante et prégnante. Et celle-ci l’est assurément.

La serre Concorde

Texte : Jordan Tannahill. Mise en scène : Raphaële Thiriet. Traduction : Olivier Sylvestre. Assistance à la dramaturgie : Lucille Thévenot. Scénographie : Raphaële Thiriet. Assistance artistique : Emie Raymond. Assistance aux costumes : Violette Lorchat. Conception sonore : Theatre Junction. Éclairages : Stéphane Ménigot. Avec Livia Bouchard, Talya Daras, Megan De Luca, Lilo Henein, Shani Maassa, Arthur Méthot-Boudreau, Margot Montel-Landais, Abou Pion Laberge, Myrianne Thiam ainsi que Eve Berger et Nora Gendron (en alternance). À l’Usine C du 10 au 13 avril 2024.