JEU des 5 questions

Cinq questions à Camille Paré-Poirier, autrice, comédienne, poète

© Julie Artacho

Je viendrai moins souvent de Camille Paré-Poirier a remporté le Prix d’écriture du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui en 2022-2023. Cette pièce « pandémique », basée sur une expérience personnelle, est en tournée depuis ce temps, dont chez Duceppe.

Que de chemin parcouru avec ce projet depuis le work in progress, le balado, la création de la pièce, le prix… difficile d’imaginer mieux pour un sujet très personnel et plutôt intime qui semble beaucoup toucher les gens ?

J’ai commencé à développer ce projet en 2017, bien avant la pandémie. Et en 2020, par hasard, les sujets du vieillissement et de la proche aidance ont été propulsés à l’avant-scène. Je n’avais pas prévu ça, et j’ai été en quelque sorte chanceuse dans ma malchance. La malchance de vivre de près la démence et les pertes cognitives de ma grand-mère, mais la chance d’avoir un espace pour en parler. C’est effectivement un sujet très intime puisque le matériau principal du projet, ce sont des enregistrements audio de conversations avec ma grand-mère. Et c’est vulnérabilisant de m’entendre parler et laisser les gens entendre ça. Mais je me suis dit que si je vous présentais Pauline comme ça, sans pudeur, dans les beaux et moins beaux moments, je devais être capable de faire la même chose avec moi. C’est un genre de contrat que j’ai signé avec elle dans ma tête.

© Valérie Remise

Dans tout ce processus, justement, y a-t-il quelque chose qui a changé en vous en rapport à votre grand-mère, les relations entre les générations et le vieillissement ?

Le projet a coïncidé avec le décès de ma grand-mère, que j’appréhendais. Elle est décédée quelques mois avant la production et diffusion du balado. Ça m’a fait réaliser qu’on n’échappe pas au deuil, peu importe à quel point on se sent prêt∙e. En enregistrant Pauline, en l’accompagnant dans ces derniers moments… malgré tout ce que j’ai fait pour ne pas avoir de regrets, une absence est une absence et elle s’est fait ressentir.

Par rapport aux relations intergénérationnelles et au vieillissement, je crois que ce projet m’a permis de réaliser que nous sommes sensiblement la même personne en vieillissant, et ce qui change, c’est surtout le regard des autres sur nous. Les peines, les joies, l’espoir. Tout ça, c’est la même chose, peu importe notre âge. Et c’est une des choses que j’ai essayé de montrer avec ce projet.

Au début de la pièce, il y avait une envie de théâtre documentaire, envie qui s’est transformée sans se dénaturer. Est-ce que le plaisir de la recherche et le réel vous intéressent toujours ?

Oui ! C’est fou comme le réel est riche. Quand on dit que la réalité dépasse la fiction, c’est souvent le cas dans ma vie, ou du moins c’est comme ça que je la vois, ma vie. Ce que je suis aujourd’hui est une suite d’accidents improbables, et c’est ce que je trouve merveilleux. J’ai l’impression que chaque anecdote, chaque personne qu’on rencontre, chaque soirée entre ami∙es, tout ça a le potentiel de faire partie d’une histoire. Tout ce qu’il faut, c’est porter attention, et essayer de trouver quel sens se dégage de ce qui nous arrive. Quel personnage serions-nous dans une fiction ? Se souvenir ou se projeter dans le futur, ce sont des outils que nous avons pour nous situer dans le temps et ils empruntent à la fiction. Nous créons un sens à ce que nous faisons grâce à notre imagination, aux images qui nous frappent, et ça n’arrêtera pas de me toucher et m’inspirer. Je ne sais pas si c’est limpide, mon affaire ? Haha ! Je pense que j’aime me commettre dans mes projets et que ça me traverse. Pour moi, ça emprunte le chemin de l’autofiction et du documentaire.

© Valérie Remise

Est-ce que vous pensez continuer à travailler de cette façon en multiplateformes, mais avec des thèmes personnels ou autres ?

C’est vraiment ce que je préfère. Je réalise que chaque médium (la poésie, le balado, le théâtre) a ses forces et ses faiblesses, et que la forme d’un projet influence son contenu, sa trajectoire. J’adore avoir l’opportunité de développer un projet dans la durée, à travers différentes étapes et plusieurs médiums. Ça me donne l’occasion d’approfondir mes réflexions et de complexifier le projet et les thèmes qu’il aborde. Je vois ça comme une « écologie » de la pensée. La création, l’écriture… ça peut devenir usant. Il y a beaucoup de contenu produit chaque jour. D’ailleurs, j’adore ce mot fourre-tout : contenu même si c’est un peu vide, ironiquement.

Bref, j’essaie très fort que mes projets apportent un regard nouveau sur les sujets que j’aborde. J’aime mieux faire moins, mais travailler plus longtemps, et occuper plusieurs rôles, apprendre à faire des choses comme la scénarisation, la réalisation, la production, etc.

Est-ce que l’écriture, poétique ou autre, continueront de vous habiter aussi ?

J’espère. La poésie, c’est ma forme préférée. Ça, c’est de l’écologie de mots ! Comment dire beaucoup avec peu. Dans ma vie, le geste poétique vient plus naturellement que d’autres styles d’écriture. Je commence à mieux comprendre et maîtriser mon identité d’autrice, les sujets que j’aime aborder et comment. Mon humour à l’écrit aussi. J’apprends beaucoup et même si, parfois, c’est souffrant écrire, quand ça ne fonctionne pas, que je manque d’inspiration, ou que je trouve le travail en solitaire difficile… C’est là où je sens que je m’exprime le mieux. Il y a vraiment de magnifiques états de grâce en écriture, des moments cadeaux, que je n’ai jamais vécus ailleurs.

Je viendrai moins souvent est présenté du 23 au 27 avril 2024 à la Cinquième salle de la Place des Arts.