Critiques

Une plante verte, verte, verte : Oser l’horreur comique

© Marie-France Falardeau

Si la menace des robots s’arrogeant le contrôle de la planète a fait les belles heures de la science-fiction, c’est le règne végétal qui étend ses tentacules, dans la pièce écrite par Jean-Philippe Lehoux pour le Petit Théâtre du Nord (PTDN), afin d’asseoir sa funeste hégémonie. En résulte une comédie aux accents caustiques, quelque peu échevelée, mais rafraîchissante, multipliant les références cinématographiques et sociétales.

Ce récit choral débute au PTDN, à Boisbriand, sans quatrième mur. Ce prologue installe un climat d’étrangeté teinté de suspense et expose la complexité sous-estimée de la constitution des plantes. La reconnaissance de la présence du public et du fait d’être au théâtre tombera néanmoins dans l’oubli par la suite, sauf en ce qui concerne une narration en voix hors champ – admirablement rendue par Luc Bourgeois – qui ponctuera les prémices et la conclusion de l’histoire.

Il est permis de se demander si ce préambule n’apporte pas plus de confusion que de réels bénéfices. Car, ensuite, la trame des événements, même si elle se divise en plusieurs ramures et verse lestement dans l’absurde, tient bien la route d’un point de vue narratif. Il y a d’abord une famille drolatique (comprenant un grand-père délirant et deux adolescent·es tout aussi exaspéré·es qu’exaspérant·es) qui s’égare en forêt sur le chemin les menant au PTDN. Leur périple inclura une fâcheuse rencontre avec une plante carnivore et des hallucinations induites par de mystérieuses baies.

En parallèle, dans un laboratoire secret de la Zone 51, des expérimentations ont cours auprès d’un spécimen végétal qui tente de communiquer par un langage fait de cliquetis et qui semble être à l’origine de la grève de la photosynthèse (rappelant le scénario du film The Happening de M. Night Shyamalan) s’opérant à l’échelle mondiale. Pendant ce temps, le ministre canadien de l’Environnement et son assistante sont coincé·es lors d’une « alarme de l’apocalypse » dans la Réserve mondiale de semences du Svalbard, en Norvège. Enfin sont exposés les déboires amoureux d’un couple formé d’un homme et d’une plante, dont la fin tragique s’inspirera de celle de Roméo et Juliette.

Tout cela est sans compter l’« interlude », l’un des segments les plus réussis d’Une plante verte, verte, verte. Un trio policier de Sorel-Tracy trouve la réplique végétale d’une serveuse – c’est ainsi, comme dans le classique du cinéma d’horreur Invasion of the Body Snatchers, que la flore entend éradiquer l’espèce humaine – et se voit, sur la scène de crime, incapable d’articuler le moindre mot de français. Il s’avérera que tout ce qu’il reste dans leurs cerveaux se résume à des souvenirs de séries Netflix. Une charge aussi mordante qu’amusante.

© Marie-France Falardeau

Théâtre de genre

Bien sûr, tout n’est pas d’une égale drôlerie – voire d’un intérêt aussi indéniable – dans le dernier opus signé par Lehoux et mis en scène par Charles Dauphinais, duo qui nous a offert Deux pièces pour Étienne Pilon en 2019. Les délires hallucinatoires de la mère de famille, par exemple, ne présentent qu’un très modeste apport sur le plan dramaturgique et ne possèdent pas l’originalité désarmante et, de là, l’irrésistible comique d’autres tableaux tels l’interlude ou encore la première scène d’amour entre le végétosexuel et sa conquête, à qui il raconte sa journée au bureau et qu’il asperge de vin rouge.

Les membres de la distribution œuvrent avec conviction à déployer tout le potentiel comédique de la proposition et leur empressement s’avère fécond. Notons que les élans délicieusement clownesques (et sans excès cabotins) de Carl Béchard font particulièrement mouche. Les interprètes ont à se mettre sous la dent un amalgame d’humour absurde, métaréférentiel, satirique, agrémenté d’un soupçon (superflu) de scatologie et d’un éventail de clins d’œil. Citons ce ministre de l’Environnement obtus et imbu de sa propre importance, se réjouissant à l’idée d’aller plonger près des oléoducs de la compagnie Shell dans la mer du Nord et envers lequel son adjointe lancera ces mots assassins : « Je ne peux pas croire que j’ai déjà cru que tu pouvais changer les choses. »

Il convient, en outre, de souligner la qualité des éclairages créés par Nat Descôteaux, qui maintiennent un climat de tension, auquel concourt aussi largement l’environnement sonore élaboré par Sarah Leblanc-Gosselin, composé de maints bruits insolites, parfois saisissants, mais également de chansons populaires et rassembleuses dont l’irremplaçable « The Final Countdown », du groupe Europe.

Sur la scène trifrontale (au fond de laquelle trône une serre, coiffée d’un écran, notamment utilisé pour situer les lieux dans lesquels déferlent les diverses péripéties), les nombreux déplacements orchestrés par Dauphinais, nécessaires à ce que s’y succèdent les membres de la coterie de loustiques imaginée par Lehoux, relèvent d’une gymnastique on ne peut plus fluide. La vivacité de la mise en scène, le ressort des comédien·nes, le rythme soutenu du récit, les atours susmentionnés du texte et l’ambiance comico-angoissante régnant tout au long du spectacle font d’Une plante verte, verte, verte une expérience théâtrale inusitée et fort sympathique.

© Marie-France Falardeau

Une plante verte, verte, verte

Texte : Jean-Philippe Lehoux. Mise en scène : Charles Dauphinais. Assistance à la mise en scène : Martine Richard. Scénographie et accessoires : Camille Walsh. Costumes : Rosemarie Levasseur. Éclairages : Nat Descôteaux. Son et musique : Sarah Leblanc-Gosselin. Vidéo : Maude Carone-Girard. Avec Mathieu Richard, Carl Béchard, Mélanie St-Laurent, Sébastien Gauthier, Andréanne Daigle et la participation vocale de Luc Bourgeois. Une production du Petit Théâtre du Nord, présentée au Centre de création de Boisbriand jusqu’au 24 août 2024.