Série de tableaux de jonglerie où tournoient puis éclatent les fruits, Smashed2 arrive au Québec en ce début d’été comme un cocktail vitaminé, avec une pointe d’amertume. La compagnie britannique Gandini Juggling sait comment se faire aimer simplement en captant l’air du temps, sans miser sur les prouesses ou les discours complexes.
Sur la scène, devant une rangée de chaises où sont placés des melons d’eau, des oranges dessinent une grille légèrement déconstruite. En vêtements foncés et formels comme ceux d’un ensemble baroque pour un concert d’été, les interprètes entrent en scène, s’emparent des agrumes et se mettent à enchaîner mouvement de danse et jonglerie. Les sept femmes et deux hommes créent tout de suite un lien avec le public, par des sourires et des regards lancés sans détour.
Diagonales, synchronisme, symétrie, variations, enchaînement, canons : la chorégraphie est inspirée des codes de la danse contemporaine et du ballet, en un peu plus relâchée et échevelée. Gandini Juggling s’est d’ailleurs inspiré du travail de Pina Bausch et de son Tanztheater. On pense aussi, à certains moments, à l’univers surréaliste de Magritte et à sa toile Le Fils de l’Homme, voire à l’ironie loufoque et aux préceptes déconstruits dans le roman Les oranges ne sont pas les seuls fruits de Jeannette Winterson.
La trame sonore entraînante, dans laquelle s’enchaîne western swing, pièces classiques, musique de cabaret, bossa nova, quelques bribes de techno et une finale rock, joue pour beaucoup dans l’attrait de la proposition. Elle renforce le principe de succession de tableaux, alors que le cirque contemporain tend souvent à défaire l’enchaînement de numéros. On a un peu l’impression de passer d’un univers à l’autre comme dans une succession de vidéos — un vieux western, une scène comique, le vidéoclip d’une ballade pop en clair-obscur. Hormis la présence des fruits, l’accumulation d’images et d’univers manque toutefois un peu de liant.
De l’étourdissement à la bacchanale
La succession d’oranges qui tournoient dans deux, quatre, six mains a un effet légèrement hypnotique. Les interprètes s’amalgament pour former des créatures à plusieurs bras, interrompre le rythme, intervenir, détourner les cycles. Les melons d’eau, eux, seront à l’honneur dans une séquence qui ressemble à un ballet aquatique, où les jongleuses, en cercle au sol, gardent les masses en équilibre et les font rouler sur leur corps.
Hors de ces moments de symbiose concentrés, l’interprétation est accrocheuse, parfois presque enfantine. Les interprètes multiplient les œillades, boudent, racolent, paradent. Les deux interprètes masculins quémandent de l’attention, enchaînent les gestes intrusifs qui leur valent des mines outrées. Il s’agit des restes de « machisme ordinaire » que la compagnie a exploré dans Smashed, et qu’elle se fait un plaisir de clouer au pilori dans Smashed2.
Le moment attendu arrive aux trois quarts de la représentation : une interprète enfonce ses doigts dans une orange pour percer l’écorce. Le jus gicle, la chair éclate, et s’ensuit une bacchanale où les femmes laissent exploser leur colère et vont jusqu’à se venger, dans un violent exutoire, des représentants du sexe « fort ».
Une déferlante d’effluves d’orange, puis de melon, enveloppe peu à peu la salle. On oscille entre léger malaise et légère jubilation, espérant, peut-être, un contrepoint qui viendrait ajouter un peu de tendresse, de nuances. Mais le temps des nuances est passé, il fallait les saisir au vol dans la danse. Le temps de la vengeance est arrivé — et les fruits iront au compostage.
Mise en scène : Sean Gandini et Kati Ylä-Hokkala. Regard extérieur : Ben Duke. Création lumières : Guy Dickens. Avec Kati Ylä-Hokkala, Sakari Männistö, Luke Hallgarden, Yu-Hsien Wu, Erin O’Toole, Francesca Poppi Mari, Valeria Jauregui, Frederike Gerstner et Lynn Scott. Une production de Gandini Juggling présentée du 27 au 29 juin 2024 au Diamant et du 3 au 7 juillet à la TOHU dans le cadre de Montréal complètement cirque.
Série de tableaux de jonglerie où tournoient puis éclatent les fruits, Smashed2 arrive au Québec en ce début d’été comme un cocktail vitaminé, avec une pointe d’amertume. La compagnie britannique Gandini Juggling sait comment se faire aimer simplement en captant l’air du temps, sans miser sur les prouesses ou les discours complexes.
Sur la scène, devant une rangée de chaises où sont placés des melons d’eau, des oranges dessinent une grille légèrement déconstruite. En vêtements foncés et formels comme ceux d’un ensemble baroque pour un concert d’été, les interprètes entrent en scène, s’emparent des agrumes et se mettent à enchaîner mouvement de danse et jonglerie. Les sept femmes et deux hommes créent tout de suite un lien avec le public, par des sourires et des regards lancés sans détour.
Diagonales, synchronisme, symétrie, variations, enchaînement, canons : la chorégraphie est inspirée des codes de la danse contemporaine et du ballet, en un peu plus relâchée et échevelée. Gandini Juggling s’est d’ailleurs inspiré du travail de Pina Bausch et de son Tanztheater. On pense aussi, à certains moments, à l’univers surréaliste de Magritte et à sa toile Le Fils de l’Homme, voire à l’ironie loufoque et aux préceptes déconstruits dans le roman Les oranges ne sont pas les seuls fruits de Jeannette Winterson.
La trame sonore entraînante, dans laquelle s’enchaîne western swing, pièces classiques, musique de cabaret, bossa nova, quelques bribes de techno et une finale rock, joue pour beaucoup dans l’attrait de la proposition. Elle renforce le principe de succession de tableaux, alors que le cirque contemporain tend souvent à défaire l’enchaînement de numéros. On a un peu l’impression de passer d’un univers à l’autre comme dans une succession de vidéos — un vieux western, une scène comique, le vidéoclip d’une ballade pop en clair-obscur. Hormis la présence des fruits, l’accumulation d’images et d’univers manque toutefois un peu de liant.
De l’étourdissement à la bacchanale
La succession d’oranges qui tournoient dans deux, quatre, six mains a un effet légèrement hypnotique. Les interprètes s’amalgament pour former des créatures à plusieurs bras, interrompre le rythme, intervenir, détourner les cycles. Les melons d’eau, eux, seront à l’honneur dans une séquence qui ressemble à un ballet aquatique, où les jongleuses, en cercle au sol, gardent les masses en équilibre et les font rouler sur leur corps.
Hors de ces moments de symbiose concentrés, l’interprétation est accrocheuse, parfois presque enfantine. Les interprètes multiplient les œillades, boudent, racolent, paradent. Les deux interprètes masculins quémandent de l’attention, enchaînent les gestes intrusifs qui leur valent des mines outrées. Il s’agit des restes de « machisme ordinaire » que la compagnie a exploré dans Smashed, et qu’elle se fait un plaisir de clouer au pilori dans Smashed2.
Le moment attendu arrive aux trois quarts de la représentation : une interprète enfonce ses doigts dans une orange pour percer l’écorce. Le jus gicle, la chair éclate, et s’ensuit une bacchanale où les femmes laissent exploser leur colère et vont jusqu’à se venger, dans un violent exutoire, des représentants du sexe « fort ».
Une déferlante d’effluves d’orange, puis de melon, enveloppe peu à peu la salle. On oscille entre léger malaise et légère jubilation, espérant, peut-être, un contrepoint qui viendrait ajouter un peu de tendresse, de nuances. Mais le temps des nuances est passé, il fallait les saisir au vol dans la danse. Le temps de la vengeance est arrivé — et les fruits iront au compostage.
Smashed2
Mise en scène : Sean Gandini et Kati Ylä-Hokkala. Regard extérieur : Ben Duke. Création lumières : Guy Dickens. Avec Kati Ylä-Hokkala, Sakari Männistö, Luke Hallgarden, Yu-Hsien Wu, Erin O’Toole, Francesca Poppi Mari, Valeria Jauregui, Frederike Gerstner et Lynn Scott. Une production de Gandini Juggling présentée du 27 au 29 juin 2024 au Diamant et du 3 au 7 juillet à la TOHU dans le cadre de Montréal complètement cirque.