Le tango fait vibrer, communier et bouger la planète entière. En dépit de la réputation macho de cette danse à deux qui fait les belles nuits de Buenos Aires, cet art né de la rue réinvente les rapports intergénérationnels et les relations hommes-femmes. Sa force d’attraction, en croissance exponentielle, s’alimente sans doute de sa faculté à se réinventer sans perdre son intégrité à Montréal, New York ou Berlin, tout en créant des communautés d’appartenance.
Le tango infuse de la chaleur humaine et un art de vivre où la musique a raison des frontières de langue, d’opinion politique et de classes sociales. Dans une milonga montréalaise, un homme d’affaires divorcé peut se retrouver dans les bras d’une infirmière allemande retraitée, avant d’entreprendre un intense pas de deux avec une artiste contemporaine mexicaine. Cette même ritournelle nocturne se reproduit probablement en même temps à Stockholm, à Tokyo ou à Istanbul.
C’est cette quasi-utopie d’un globalisme inclusif que recrée la chorégraphe argentine Agustina Videla, avec Social Tango Project, qui faisait salle comble samedi dernier sous le chapiteau du Festival des Arts de Saint-Sauveur. De retour au Québec pour une seconde fois, le spectacle se posait au FASS alors qu’il entame ce mois-ci une tournée de sept villes canadiennes.
Forte d’une mise en scène empreinte de candeur et d’une rafraîchissante authenticité, ce spectacle parfaitement adapté à la saison estivale est à la fois divertissant, engageant et d’une énergie contagieuse. Le FASS bénéficie de l’ambiance estivante de Saint-Sauveur et a judicieusement enrobé le spectacle de diverses prestations et activités évoquant l’univers de Piazzola. Par conséquent, les festivalier·ères en tenues estivales étaient plus que réceptif·ves pour cette prestation qui allie agilement chorégraphies en duo exécutées avec agileté, avec une improvisation dansée, assurée par des tangerios et tangerias issus de la communauté locale (les Montréalais·es du Studio Tango, en l’occurrence).
Abrazos planétaires
La trame narrative du spectacle, quoique simple, transmet la vision d’Augustina Videla, elle-même tangeria passionnée qui croit fermement dans le pouvoir rassembleur de cet art. Une jeune femme urbaine arrive sur la scène, avec à l’arrière-plan un écran qui diffuse des images de ville anonyme. Sur ce même écran, on diffuse plus tard des témoignages de danseurs et danseuses âgé·es chevronné·es qui, arrivé·és à l’âge de la retraite, trouvent dans les milongas d’autres perspectives, des ami·es et une communauté d’appartenance. La vie de cette jeune femme en habits de ville se transforme progressivement, alors qu’elle s’immerge dans les chaussures à talon et la culture d’échanges et de plaisir des milongas.
Le giron d’une école de tango est donc un beau prétexte pour déployer les figures de danse agiles et la trajectoire d’une nouvelle venue qui s’initie à cette danse sociale. On y retrouve des couples dépareillés, une femme qui danse avec une femme, des gens de divers âges et niveaux, une prof qui transmet la technique, des figures exécutées avec brio, de la solidarité, de la sensualité, l’expression d’émotions qui se passent de mots.
Cette portion chorégraphiée du spectacle se laisse regarder sans trop d’efforts, comme une agréable ode à la culture latine, animée par un chanteur, un pianiste, un bandonéoniste, un violoniste et un double bassiste. Les soixante-dix minutes (sans entracte) de léger envoûtement sont ensuite ponctuées par l’arrivée de protagonistes amateur·trices – les danseurs et danseuses du Studio Tango de Montréal –, des passionné·es tangueros, qui apportent sur la scène un souffle de vérité. Ces transmetteurs et transmettrices de culture argentine (d’âges, apparences, styles divers) apportent donc la couleur locale du tango, rappelant qu’on n’est jamais trop vieux (ou trop jeune), pour se lancer dans la danse.
La prestation est suivie d’une petite classe de tango pour le grand public, puis d’une mini-milonga où les danseurs et danseuses se mêlent à la foule.
S’il faut être deux pour danser le tango, le Social Tango Project crée un monde où la collaboration, l’échange, la beauté, la passion et l’ouverture vers l’autre sont de réels antidotes à l’isolement, l’anxiété et l’austérité. Spectateurs et spectatrices de tant d’espoir, on en vient presque à oublier les guerres, les préjugés, la xénophobie, l’avidité qui dominent nos écrans.
Le monde des milongas n’est sans doute pas un eldorado exempt d’humaineries, rien n’étant parfait dans ce monde. Mais offrir à l’autre un abrazo le temps d’une chanson est un geste de poésie qui vaut son pesant d’or. Et le Social Tango Project nous donne le goût de polir nos chaussures de danse et d’applaudir ceux et celles qui ont le courage d’offrir leurs plus beaux ronds de jambe, dans ce monde où personne n’est épargné par la vie.
Direction artistique et chorégraphie : Agustina Videla. Direction exécutive : Ramon de Oliveira Cezar. Direction musicale : Fulvio Giraudo. Directeur de plateau : Pablo Destito. Musiciens : Ariel Varnerin, Fulvio Giraudo, Horacio Romo, Humberto Ridolfi, Critian Basto. Danseurs : Lucia Aspiroz Larrosa, Emmanuel Casal, Lily Chenlo, Cinthia Diaz, Ana Zoraida Gomez, Bruno Mayo, Yanina Muzyka, Lucia Ohyama, Jorge Padilla, Roberto Zuccarino. Présenté dans le cadre du Festival des Arts de Saint-Sauveur le 27 juillet, puis en tournée au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke le 5 novembre, à la salle Pauline-Julien de Sainte-Geneviève le 9 novembre et au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts le 13 novembre 2024.
Le tango fait vibrer, communier et bouger la planète entière. En dépit de la réputation macho de cette danse à deux qui fait les belles nuits de Buenos Aires, cet art né de la rue réinvente les rapports intergénérationnels et les relations hommes-femmes. Sa force d’attraction, en croissance exponentielle, s’alimente sans doute de sa faculté à se réinventer sans perdre son intégrité à Montréal, New York ou Berlin, tout en créant des communautés d’appartenance.
Le tango infuse de la chaleur humaine et un art de vivre où la musique a raison des frontières de langue, d’opinion politique et de classes sociales. Dans une milonga montréalaise, un homme d’affaires divorcé peut se retrouver dans les bras d’une infirmière allemande retraitée, avant d’entreprendre un intense pas de deux avec une artiste contemporaine mexicaine. Cette même ritournelle nocturne se reproduit probablement en même temps à Stockholm, à Tokyo ou à Istanbul.
C’est cette quasi-utopie d’un globalisme inclusif que recrée la chorégraphe argentine Agustina Videla, avec Social Tango Project, qui faisait salle comble samedi dernier sous le chapiteau du Festival des Arts de Saint-Sauveur. De retour au Québec pour une seconde fois, le spectacle se posait au FASS alors qu’il entame ce mois-ci une tournée de sept villes canadiennes.
Forte d’une mise en scène empreinte de candeur et d’une rafraîchissante authenticité, ce spectacle parfaitement adapté à la saison estivale est à la fois divertissant, engageant et d’une énergie contagieuse. Le FASS bénéficie de l’ambiance estivante de Saint-Sauveur et a judicieusement enrobé le spectacle de diverses prestations et activités évoquant l’univers de Piazzola. Par conséquent, les festivalier·ères en tenues estivales étaient plus que réceptif·ves pour cette prestation qui allie agilement chorégraphies en duo exécutées avec agileté, avec une improvisation dansée, assurée par des tangerios et tangerias issus de la communauté locale (les Montréalais·es du Studio Tango, en l’occurrence).
Abrazos planétaires
La trame narrative du spectacle, quoique simple, transmet la vision d’Augustina Videla, elle-même tangeria passionnée qui croit fermement dans le pouvoir rassembleur de cet art. Une jeune femme urbaine arrive sur la scène, avec à l’arrière-plan un écran qui diffuse des images de ville anonyme. Sur ce même écran, on diffuse plus tard des témoignages de danseurs et danseuses âgé·es chevronné·es qui, arrivé·és à l’âge de la retraite, trouvent dans les milongas d’autres perspectives, des ami·es et une communauté d’appartenance. La vie de cette jeune femme en habits de ville se transforme progressivement, alors qu’elle s’immerge dans les chaussures à talon et la culture d’échanges et de plaisir des milongas.
Le giron d’une école de tango est donc un beau prétexte pour déployer les figures de danse agiles et la trajectoire d’une nouvelle venue qui s’initie à cette danse sociale. On y retrouve des couples dépareillés, une femme qui danse avec une femme, des gens de divers âges et niveaux, une prof qui transmet la technique, des figures exécutées avec brio, de la solidarité, de la sensualité, l’expression d’émotions qui se passent de mots.
Cette portion chorégraphiée du spectacle se laisse regarder sans trop d’efforts, comme une agréable ode à la culture latine, animée par un chanteur, un pianiste, un bandonéoniste, un violoniste et un double bassiste. Les soixante-dix minutes (sans entracte) de léger envoûtement sont ensuite ponctuées par l’arrivée de protagonistes amateur·trices – les danseurs et danseuses du Studio Tango de Montréal –, des passionné·es tangueros, qui apportent sur la scène un souffle de vérité. Ces transmetteurs et transmettrices de culture argentine (d’âges, apparences, styles divers) apportent donc la couleur locale du tango, rappelant qu’on n’est jamais trop vieux (ou trop jeune), pour se lancer dans la danse.
La prestation est suivie d’une petite classe de tango pour le grand public, puis d’une mini-milonga où les danseurs et danseuses se mêlent à la foule.
S’il faut être deux pour danser le tango, le Social Tango Project crée un monde où la collaboration, l’échange, la beauté, la passion et l’ouverture vers l’autre sont de réels antidotes à l’isolement, l’anxiété et l’austérité. Spectateurs et spectatrices de tant d’espoir, on en vient presque à oublier les guerres, les préjugés, la xénophobie, l’avidité qui dominent nos écrans.
Le monde des milongas n’est sans doute pas un eldorado exempt d’humaineries, rien n’étant parfait dans ce monde. Mais offrir à l’autre un abrazo le temps d’une chanson est un geste de poésie qui vaut son pesant d’or. Et le Social Tango Project nous donne le goût de polir nos chaussures de danse et d’applaudir ceux et celles qui ont le courage d’offrir leurs plus beaux ronds de jambe, dans ce monde où personne n’est épargné par la vie.
Social Tango Project
Direction artistique et chorégraphie : Agustina Videla. Direction exécutive : Ramon de Oliveira Cezar. Direction musicale : Fulvio Giraudo. Directeur de plateau : Pablo Destito. Musiciens : Ariel Varnerin, Fulvio Giraudo, Horacio Romo, Humberto Ridolfi, Critian Basto. Danseurs : Lucia Aspiroz Larrosa, Emmanuel Casal, Lily Chenlo, Cinthia Diaz, Ana Zoraida Gomez, Bruno Mayo, Yanina Muzyka, Lucia Ohyama, Jorge Padilla, Roberto Zuccarino. Présenté dans le cadre du Festival des Arts de Saint-Sauveur le 27 juillet, puis en tournée au Centre culturel de l’Université de Sherbrooke le 5 novembre, à la salle Pauline-Julien de Sainte-Geneviève le 9 novembre et au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts le 13 novembre 2024.